Chapitre 28

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L'évidence me frappa, nous allions devoir traverser, nous n'avions pas d'autres solutions.

-Ok écoutez, il va falloir traverser un par un. Le premier qui passera sera assuré, nous lui nouerons une corde à la taille qu'il attachera ensuite de l'autre côté au cas où le pont céderait.

Ils acquiescèrent.

-Qui commence ? 

Tous les regards se tournèrent vers Maé, c'était la plus légère. Elle hocha la tête :

-Très bien j'y vais.

Antonin noua donc une corde autour de sa taille dont nous accrochâmes l'autre extrémité à l'arbre le plus proche. Antonin se saisit de la corde qui coulissa dans ses mains lorsque Maé s'avança vers le pont.

Je m'approchai de Maé et pris sa tête entre mes mains.

-Tu peux le faire, d'accord. Ne regarde pas en bas.

-Reçu cinq sur cinq, me répondit-elle. 

Je souris, son courage m'impressionnait. Elle posa un pied sur le pont puis l'autre. Nous retînmes notre souffle. Puis comme une danseuse sur scène, elle fila sur le pont effleurant à peine les planches. Nous écarquillâmes les yeux. Elle semblait voler. Malgré le balancement du pont elle réussit à le franchir. Une fois à terre elle attacha solidement l'autre bout de la corde à un arbre proche. Arthur se lança sur le pont, d'un pas plus hésitant, il s'accrochait à la corde tendue pour plus de sécurité. Suivirent Arellys, Antonin. Arthur avait atteint l'autre côté. Je sentais un sentiment d'angoisse monter en moi. J'avais peur du vide comme toujours. Mais après le saut en parachute il ne pouvait pas y avoir pire me dis-je. Je remerciais en silence Simon de m'avoir habituée à la hauteur si petite soit-elle. Je tournai mon regard vers Mino resté avec moi.

-Vas-y, me dit-il. Je reste derrière toi.

-Il faut d'abord que tu saches une chose, je ne serai pas rapide.

Il me regarda avec étonnement.

-Pourquoi donc ?

Je ne répondis pas, et je pris une grande inspiration.

-Tu as peur du vide ? ajouta-t-il.

Je hochai la tête.

-Ouah toi Elea, je pensais que tu n'avais peur de rien vraiment, dit-il avec un sourire amusé. 

Je secouai la tête et je m'avançai. Je m'agrippai de chaque côté des barrières du pont. Je posai un pied sur la première planche puis un autre. La peur me noua le ventre. Puis je m'obligeai à mettre un pied devant l'autre en me concentrant sur le dos d'Antonin juste devant moi.

-C'est bien continue comme ça ! me cria Mino.

Mon pas se fit plus assuré. Ma main droite attrapa la corde tendue par Maé. Mes cheveux en bataille venaient me cacher la vue. Dès gouttes de pluie dégoulinaient le long de mon visage. Je retirai ma main gauche de la corde pour remettre en arrière mes cheveux et essuyer d'un revers de main les gouttes. Je crois que la meilleure chose pour effacer une peur c'est d'y faire face. Au fil du temps on s'habitue. Je dirai même on l'apprécie. Mon nœud au ventre se détendit. Je suivais le balancement du pont sous le vent. J'étais à la moitié. C'est un sentiment excitant que de se retrouver à une centaine de mètres du sol, seulement séparé du vide par une pauvre planche. Alors j'osai, j'osai regarder en bas. L'adrénaline monta en moi en un éclair. Je retins mon souffle. C'était immense je ne voyais pas le sol. Je me sentais comme le maître du monde, là sous la pluie et le vent. Je souris et je criai. Mino se joint à moi. Arellys avait atteint la terre. Antonin n'était qu'à quelques mètres lorsqu'une planche craqua. Un cri d'épouvante, ce n'était ni le mien ni celui de Mino. Antonin devant n'était retenu que par la corde que Maé avait tendue. Ses jambes balançant dans le vide, il voulut reposer ses pieds un peu plus loin. La planche céda aussi. Pour couronner le tout le vent se mit à souffler plus fort. C'est alors que tout se précipita. Je me mis à courir pour l'aider, ainsi que Mino. Les autres tentaient d'attraper Antonin. Je n'étais plus qu'à une dizaine de mètres lorsque l'inévitable se produisit. Les deux cordes tenant le pont cédèrent. Les secondes semblèrent se ralentir. Les cordes avaient lâché là où nous étions un peu plus tôt. Mes deux mains se refermèrent sur la corde de Maé. Je sentais la pluie entre mes doigts glissants. Alors je sus que je ne tiendrais pas. En un élan Mino qui m'avait rattrapé sauta sur moi. Mes mains lâchèrent la corde sous son poids. Nous chutions, par instinct j'attrapais les planches de bois devant moi. Cela nous sauva la vie. Le pont était toujours maintenu au niveau de l'autre falaise. Nous cognâmes la falaise avec violence. Je failli tout lâché sous l'impact mais Mino me retint. J'avais les mains en sang et ma blessure au bras se rouvrit. Nous nous agrippions à la planche de toutes nos forces. Combien de temps le pont allait-il encore pouvoir tenir ? Je levai les yeux. Antonin était toujours suspendu à la corde. Avec la force de ses bras il réussit à avancer avant qu'Arellys ne l'attrape. 

J'attrapai la planche devant moi et je me hissai malgré la douleur dans mon bras. Toutes ces heures d'escalade me servaient enfin. Elles m'avaient prodiguée des muscles aux bras vigoureux. Planche par planche, nous montions, Mino et moi. Je comprenais maintenant pourquoi Mino m'avait obligé à lâcher la corde. Je n'aurais eu aucune chance si j'étais restée accrochée à la corde en haut. Je fatiguais, je n'en pouvais plus. Mino me cria de continuer. Mais je ne l'entendis pas, ni lui ni les autres nous encourageant, nous criant de ne pas lâcher. Dans ces moments-là, je m'isole. Je me concentre sur ma respiration, la pluie qui vient mouiller mes doigts pleins d'échardes, les gouttes de pluie contre ma peau. Enfin je sentis des mains me saisirent et me soulever...

Ma Pierre de luneWhere stories live. Discover now