Des sifflements lui vinrent aux oreilles. La table d'à côté s'ésclamait et même des applaudissements résonnaient dans le grand réfectoire.

"Une cafétéria immense, bondée. Il m'embrasse en public. En public !"

Le pichet métallique contre son ventre, Mattéo caressait les joues douces de Sy. Tandis que sa langue s'aventurait dans sa bouche, Sy n'entendait que les félicitations et commentaires gênants de ses camarades.

Mattéo libéra les lèvres délicieuses de Sy et la regarda d'une intensité déconcertante :

_Au cas où tu voudrais déclarer ta flamme à quelqu'un d'autre... Maintenant il sait que tu es à moi.

_"À toi", t'es sérieux ? Murmura-t-elle contre ses lèvres.

_Dépêches-toi de me ramener de l'eau. Tout ça m'a donné soif... Sourit-il sournoisement avant de repartir vers leur table.

"Que... Il... Quoi ? "

Sy resta bouche bée. Elle passa lentement sa langue sur ses lèvres, vérifiant que c'était bien le goût de Matt qu'elle sentait aux coins de sa bouche. Stoïque au milieu du refectoire bruyant, la lycéenne tentait de garder son impassibilité tandis qu'une vague chaude emplissait son bas-ventre.

_Alors vous êtes ensemble, tous les deux ?

Sybille se tourna vers le groupe attablé près d'elle. Ils la regardaient tous avec des yeux choqués et curieux.

_Bien sûr qu'ils sont ensemble. Pouffa une des filles du groupe. T'as déjà vu des amis se galocher comme ça ?

C'était bien l'effet recherché. Mattéo avait magnifiquement orchestré ce baiser pour que personne ne doute de leur relation. Une relation factice. Car jamais Sy n'aurait dû le laisser faire. Du moins en public.

Alors pourquoi ? Peut-être parce qu'inconsciemment, et paradoxalement, elle savait qui la regardait. Elle se doutait que laisser ce baiser langoureux s'opérer pouvait raviver la jalousie d'une certaine personne...

Sy fit danser ses sourcils en direction de ce groupe de lycéens ravi d'avoir été aux premières loges de ce dernier et croustillant potin. Puis elle reprit sa route vers les fontaines.

Réprimant un sourire satisfait, elle découvrit, en effet, son professeur d'art la fixer d'un regard assassin. Mais comme il se doutait que ses yeux furieux ne duperaient personne si jamais quelqu'un le surprenait, il tourna le dos à Sy et se reconcentra sur les distibuteurs de condiments.

Une boule aigre et piquante lui bloquait la gorge. Comment avait-elle osé ? Pourquoi laissait-elle cet abruti l'afficher devant tout ce putain de lycée ?! Léo appuya plus fort que nécessaire sur le levier du distributeur de moutarde et fit de grandes éclaboussures sur son assiette, la table et accessoirement son veston.

Le prof ferma les yeux une seconde pour ne pas exploser. Il inspira profondément et cria intérieurement pour se calmer. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il remarqua son élève à son côté. Elle plaça son pichet sous la fontaine et enclencha le débit d'eau.

Le bruit du filet d'eau contre le fer blanc retentissait comme des miliers de pierres fracassantes contre son crâne.

Il était assommé. Chao par cette scène surréaliste qu'il venait d'assister. Martelé par cette envie presque irrépressible de traverser la cantine et de casser la gueule à ce petit merdeux. Mais Léo se retint. Se vengeant en appuyant frénétiquement sur le distributeur de moutarde.

_Comment se passe votre journée, professeur ? Chantonna Sy en surveillant le niveau d'eau monter.

Elle jouait avec le feu. Elle reconnaissait la lueur brûlante dans les iris noires de son prof d'art. Elle savait qu'il faisait appel à tout son professionnalisme pour ne pas craquer ici. Alors pourquoi attiser la flamme ? Pourquoi s'acharner sur sa pauvre carcasse ?

Une règle venait d'être brisé. Sy avait ouvertement affiché une de ses aventures à une autre. Son statut de célibataire insaisissable venait d'être bafoué par simple... vengeance ?

Elle fronça les sourcils en réalisant que ce qu'elle venait de laisser faire était puéril, petit et principalement égoïste. Juste parce que Léo avait manqué de possessivité dans la classe de monsieur Lagno, Sy jouait la carte puérile.

Sy se mordit la lèvre, pour se punir d'être aussi immature. Elle ne cherchait pas sa jalousie. Elle ne voulait pas le frustrer ni le castrer en lui agitant Mattéo sous le nez. Alors pourquoi agissait elle ainsi ? Comme une parfaite idiote en quête d'attention...

Sa conscience lui suggéra une réponse aussi simple qu'évidente mais Sy la rejetta aussitôt.

_Léo je...

_Ce soir. Après les cours. Chez moi. La coupa Léo dans un grondement sans appel.

Sy tiqua et quitta un instant des yeux le pichet pour les poser sur son professeur à sa droite.

Ses muscles étaient contractés, sa mâchoire complètement crispée sous sa barbe et la lycéenne remarqua même une veine palpitante près de son oeil plissé. Et sa main qui s'évertuait à garnir généreusement son assiette de sauce ressemblait plutôt à un poing violent.

Mattéo n'aurait pas dû. Elle n'aurait pas dû.

Mais c'est quand Léo la gratifia enfin de poser ses yeux meurtriers sur elle qu'elle déscellait autre chose. Une chose qu'elle n'avait vu que quelque fois auparavant : Une lueur nocive dans l'iris d'un homme qui la connaissait par coeur et qui avait le pouvoir de lui faire mal. Très mal.

Sy hoqueta en déchiffrant cette même lueur dans les yeux de son professeur. Il lui réservait quelque chose. Une bombe qui attendait sagement d'exploser. Il allait lui faire mal. Et elle n'allait pas lui donner ce plaisir.

Sybille décrocha difficilement de la profondeur abyssale de son prof et reprit contrôle d'elle-même :

_Pas ce soir. J'ai une soirée pyjama.

_T'as pas une excuse encore plus pourrie à me sortir ? Ricana gravement Léo entre ses dents.

_Je suis lycéenne. Les lycéennes font ce genre de soirées.

_Rien à foutre. Décommandes.

Sy appuya à nouveau sur le bouton de la fontaine, le pichet maintenant rempli à ras bord.

_Non. Dit-elle avant de le laisser seul avec son autorité mal placée.

Elle ne voulait pas le voir. Temps qu'il serait dans cet état, du moins. Peut-être plus tard. Elle avait attisé le feu, elle tentait maintenant de l'étouffer. Mais ce n'était pas seulement cette ardente flamme dans les yeux de Léo. Non, il y avait aussi ce dangereux brasier dans son ventre que la jeune fille tentait d'éteindre. Sy porta sa main libre à son ventre alors qu'elle retournait à sa table.

Mais étrangement, les brûlures n'étaient pas dans son estomac. Mais plus haut dans sa poitrine. Là où se trouvait son coeur.

Alors, j'ai eu raison de publier plus tôt ?

J'attends avec impatience vos réactions. Gros bisous.

A.

L'art de la Nudité {Terminé}Where stories live. Discover now