Tyreese est reparti. « Il faut éviter la famine. Les porcs donnaient le lait pour le petite. » Ils étaient destinés aux jours maigres, comme aujourd'hui. Il a longuement parlé à Ginny. Elle a secoué la tête. Pas son problème. Dans la nuit, il a passé ses mains sur mes joues. J'ai lu dans ses yeux.

- Donne moi quelque chose pour me défendre, j'ai chuchoté.

- On en arrivera pas là.

J'accuse le coup.

- Tu es inquiet.

- Rick se porte garant, nuance t-il. Tu fais des progrès.

- Je fais ma part. C'est pas ma faute.

- Je sais.

Mes mains accrochent ses poignets.

- Tyreese, j'ai besoin d'un couteau.

- Je la connais. Il presse ses doigts sur mes cernes. Elle veut juste protéger sa sœur. Le pire que tu puisses faire, ça serait de te montrer menaçante. Fais profil bas. Je serais de retour dans dix jours.

J'envoie la roue valser de nouveau. Ginny me jette des coups d'œil.

Elle sait ce qui nous attend toutes les deux.

- Je vous dérange ?

Maggie apparaît dans la noirceur du sous-sol. Les deux folles s'entre-regardent.

- Je peux te l'emprunter ? elle demande en me montrant du doigt. Mon père veut la voir.

Ses yeux ne trompent pas. Je passe une main sur ma gorge.

- J'ai besoin d'elle en cuisine, rétorque Ginny.

- Daryl n'a pas fait mouche aujourd'hui. Ça ne prendra pas longtemps.

La grosse dame hésite. La lumière tranche la scène en deux, me découpant les jambes. Elle agit comme un miroir. Ginny, grosse, grande, musclée, se place derrière le billot. Elle fait glisser le manche du couteau sur le bois rayé. Dans sa main calleuse, il s'emboîte. À sa droite, perdue dans la pénombre, j'ai l'air d'une poupée hantée ; la bouche ouverte en « o ».

- Ton père viendra la chercher lui-même, assène t-elle.

Le couperet s'abat sur l'écureuil. Les minuscules organes, comme de petits haricots brillants et doux, éclatent sous l'impact.

- Écoutez, on est pas obligé d'en faire un drame, raisonne Maggie. Je veux juste lui parler. Seule à seule.

Ginny s'apprête à rétorquer mais elle ajoute :

- C'est à propos de Beth.

- Bien sûr que c'est à propos de Beth ! je m'écrie.

Comme si c'était une invitation, Maggie se glisse plus profondément dans la pièce. Elle contourne le billot et vient se placer tout près de la roue que j'ai relancé. Lentement, elle se penche. Ses ongles, qu'elle garde longs comme des griffes, font tinter les rayons.

- Très bien, accorde t-elle. Nous ferons ça ici. Je sais quand ma sœur me ment, débute t-elle.

Elle fait une pause. Toujours sans un regard, elle se lève, la roue dans la main. Du coin de l'œil, je vois Ginny se raidir mais ses mains sont désespérément vides. Tremblantes, elles ont abandonné le réconfort des couteaux pour saisir de chaque côté le plateau du billot.

Maggie entre dans mon champ de vision. Majestueuse, elle fait tomber la roue à mes pieds. Elle est déjà brisée mais le fracas du métal contre le béton, le léger bruit de pneu qui se dégonfle, le cri du frein m'interpellent encore plus que son regard, encore plus que sa voix. Comme si, au fond, Maggie n'était déjà plus qu'un grand et long sanglot.

Anthologie de la finKde žijí příběhy. Začni objevovat