Chapitre 49 : De brume et de sang (1/3)

Depuis le début
                                    

Scar jouait avec lui. Il se contentait de s'amuser. Le duel n'était pour lui qu'un jeu sadique. D'ailleurs, en guise de provocation, ce psychopathe imita le balancier d'un pendule avec son poignard.

— Tic Tac, Tic Tac, Tic tac BOUM !

Kyle suivit le macabre regard de son tourmenteur. Un frisson d'effroi le glaça. Les Bois Sombres crachaient des flaques d'encre humaines. D'abord trois, puis neuf, pour s'arrêter à une douzaine. Les ténèbres dégoulinèrent en une simple ombre sous la lumière de la lune. Se dévoilèrent le camouflage des treillis et les éclats des armes.

Les renforts des pillards arrivaient.

Telle une sinistre meute de loup, ils dévorèrent la distance les séparant de leurs proies. Quelques uns jetèrent un regard à la dérobée sur le duel suspendu. La majorité ne perdit pas une seule seconde. Prestes et furtifs, ils s'évanouirent derrière la maison.

Kyle devait les arrêter. À n'importe quel prix. Aucun ne toucherait un cheveu de Sophie ou de Vlad !

Il s'élança, une sourde terreur broyant ses intestins, la rage pulsant au cœur. Scar anticipa sa réaction comme s'il lisait en lui avec la même aisance qu'un livre. Il s'interposa, un index réprobateur dressé.

— Je suis toujours...

— TA GUEULE !

Sans ralentir, de la pleine puissance de sa charge, le katana balaya la dague. Un revers manqua de crever le ventre de Scar. Il esquiva d'une dérobade sur le côté qui permit à Kyle un passage en force. Une résistance sur sa prothèse le retint de quitter le terrain d'entraînement. Avant même de pouvoir se retourner, il fut brutalement projeté en arrière, s'écrasant au sol.

— Les règles, légende...

Le râle de Scar se chargeait de vibrations furibondes. Jamais il n'avait été si dissonant. Plus lugubre, plus pulsant et plus caverneux que si un musicien fou maltraitait avec brutalité les cordes d'une contrebasse désaccordée. Les grondements des abîmes frappèrent Kyle en une onde de frayeur.

Lorsqu'il se releva, la vision qui s'imprégna sur sa rétine le tétanisa. Au dessus de Scar, ombre de folie où scintillaient deux fragments de pure fureur, une vague carmine parcourait la lune. L'astre de la nuit, si énorme qu'il paraissait sur le point de s'écraser sur les lignes hachées des montagnes, se couvrit d'un océan écarlate. Ses rayons peignirent le monde de leurs teintes sanglantes, comme si la colère de Scar s'exhalait de ses fibres pour corrompre l'univers entier. Comme si cet être s'avérait capable de putréfier la féerie lunaire en un cauchemar infernal.

— Les règles étaient pourtant simples... Ne pas troubler notre duel... le mener jusqu'à son terme... Sans interruption... Et tu cherches pourtant à le fuir ! Un tel écart mérite sanction ! Et je crois l'entendre survenir !

Des crissements de pas lointains chiffonnèrent le subit silence. Les pillards réapparurent. Vlad et Sophie étaient dans leurs rangs. Bâillonnés. Ligotés. Tuméfiés. Ils marchaient maladroitement, bousculés de tous côtés par les hommes qui les encerclaient. La horde s'arrêta devant les barrières du potager. Leurs otages furent violemment projetés dans la neige. Les suppliques de désespoir exprimés par leurs yeux agrandis de terreur transpercèrent Kyle aux tréfonds de sa chair.

Il ne put supporter de les voir ainsi. Les larmes coulèrent. Son impuissance le rendit malade. La terre de givre tangua sous ses bottes. Une chape de désespoir l'écrasa.

— Arrêtez... Stop ! J'accepte de vous suivre ! Libérez-les !

Ces cris éraillés jaillirent de ses poumons sans même qu'il en ait conscience.

— Non, légende, rétorqua Scar d'un timbre doucereux. Notre duel n'est pas terminé.

Le pillard à la jambe mutilée claudiqua jusqu'à lisière du terrain d'entraînement.

— Scar ! Il se rend ! Vous pouvez arrêter votre... jeu. Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin. Ne perdons pas plus de temps. Je vous rappelle que le Dragon Rouge nous...

Sans même se retourner, Scar le désigna d'un index osseux.

— Tuez-moi cette vermine.

— Que...

— Tuez-le, répéta-t-il en un murmure des plus terrifiants, ou je vous massacre tous.

Les chaînes d'hésitation qui entravaient la horde de forbans se brisèrent. Le sifflement d'une balle silencieuse se perdit dans le crâne de l'éclopé. Il s'enfonça dans le tapis neigeux en un simple crissement.

— À présent, larves, rendez-vous utiles. La légende a besoin de motivation. Devenez son épée de Damoclès. Qu'une lame se pose sur la gorge de sa femme.

L'armoire à glace qui avait fait feu rengaina son pistolet. Il força Sophie à se redresser sur les genoux. Sa grosse main se perdit parmi la chevelure en fibres de nuit, tirant sa tête en arrière pour exposer sa gorge. Les longs crocs carnassiers d'un couteau de combat s'immobilisèrent contre la peau diaphane. Si la terreur figea jusqu'à la respiration de Sophie, celle de son tortionnaire s'accéléra en un souffle bestial. La jouissance de la domination encrassa son visage adipeux. Sa poitrine se gonfla tellement de convoitise poisseuse qu'il ne put en contenir une giclée :

— Scar ! Cette pute a buté deux des nôtres ! L'égorger, ce serait trop facile ! Trop doux ! Faut qu'elle souffre ! Qu'on la déchire de l'intérieur ! Laissez-nous s'amuser avec elle ! Qui sait ? Ça motivera p'têt un peu plus votre héros !

— Peu importe, larve. Du moment que ta lame reste sur sa gorge, fais-en ce que tu veux. De toute façon, rien ne vous empêche de vous en délecter ensuite. Après tout, certains aiment leur viande froide !

Un rire à glacer le sang jaillit de la gorge de Scar. Il trouva écho dans celles des pillards. Deux d'entre eux vinrent prêter main forte à leur compagnon dont la main glissa de la sombre crinière pour s'abattre sur un sein. Le bâillon étouffa un cri. Les cordes qui entravaient Sophie furent sectionnés. Des forces implacables lui immobilisèrent les bras et les jambes.

Les hommes se muèrent en ombres monstrueuses.

Face à l'horreur, Vlad se releva, hurlant à travers le linge entravant sa bouche. Les poings liés dans le dos, il ne put se défendre contre l'avalanche de coups qui le plaqua au sol. Le terrible craquement d'une jambe, sec et sonore, le réduisit à une masse inerte.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant