Chapitre 45 : Un sabre pour tous (1/2)

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Pour dissiper ses craintes, il en parla le soir même à Sophie qui lui répondit :

— On s'est déjà expliqué avec Lander à ce sujet. Je n'arrête pas de dire à Vlad d'oublier cette histoire. En tout cas, s'il les a sermonnés tous les deux, c'est parce qu'ils ont joué à la balle à l'intérieur de l'orphelinat ! La réprimande était tout à fait justifiée : Ingrid a sauvé de justesse l'un des bustes en marbre ! Tu n'as pas à t'inquiéter, Lander n'est pas un bourreau d'enfants.

— C'est vrai... Tu as raison.

Si Kyle n'avait pas davantage insisté, il se promit en son for intérieur de toujours garder un œil sur l'orphelinat et son magnanime directeur.

***

Six mois s'écoulèrent depuis la mort d'Enmyo. Plus rien ne subsistait de son héritage d'union et de sa volonté de paix mondiale. L'alliance se disloqua en une myriade de factions sous l'impulsion des démons de Cerberus, d'une pléthore d'officiers supérieurs ou même de soldats lambda. Aucun n'avait accepté l'auto-proclamation de Ludwig Ethan comme maître du monde. Une poignée de ses opposants lui reprochait l'escalade de violence avec les Phoenix et souhaitait maintenant emprunter une voie diplomatique ; la plupart, en revanche, jalousait simplement sa place. Ils n'obéissaient qu'au vulgaire appât du pouvoir, cherchant à s'emparer du monde, d'une ville ou d'un carré de terre.

Ce déferlement de légions sans nom engloutit dans ses flots belliqueux les dernières grappes rebelles et le bloc allié mené par Ethan. Pour satisfaire leurs efforts de guerre contre tous et chacun, ces nuées pillèrent les dernières ressources encore à disposition, spolièrent les survivants des cités jusqu'à leur liberté et s'approprièrent par la force des armes le moindre mur vaillant. Les populations des gigapoles, des banlieues et des bourgs tentèrent de se protéger en formant des milices ; celles qui ne finirent pas broyer se firent parasiter par les idéaux d'un groupuscule ou par les intérêts personnels d'un riche chef d'entreprise, de guerre ou de gang. Elles se dénaturèrent une à une en cohortes plus viles que celles combattues.

Ce chaos abyssal écopa du nom de Guerre des Cendres. L'humanité s'y fit traîner, s'y enfonça, s'y abîma sans plus avoir la force de broncher, sans plus réagir aux pires ignominies par la faute d'une dérisoire poignée de ses semblables. Elle sombra mollement dans la période la plus tragique de son histoire.

Une ère qui risquait fort de marquer sa fin.

Toutefois, des bulles de quiétude existaient encore. Elles enveloppaient les régions aussi isolées que les Terres Désolées de Sibérie. Saned et ses alentours se trouvaient épargnés du fléau des milices, des pillards et des séditieux.

La sphère de plénitude des retrouvailles de Kyle, Sophie et Vlad, en revanche, se creva sous les crocs des obligations quotidiennes. L'absence de son bras gauche constituait toujours un handicap de taille dans leur accomplissement. Outre les fourmillements, parfois extrêmement douloureux, qui envahissaient son membre fantôme, c'était la lenteur et l'approximation de ses gestes par rapport aux autres qui le frustraient le plus. Heureusement, le docteur Zed tint parole. Une caravane de marchands ramena une prothèse. Le morceau d'alliage et de plastique articulé provenait – à en juger à ses éraflures, chocs et traces tenaces – d'une décharge. Mais un bon coup de décapage lui rendit sa première jeunesse puis un passage dans l'atelier de Levgueni Sobolev permit de l'adapter avec un système de sangle à l'avant-bras de Kyle. Un aimant fut même incorporé dans la paume artificielle afin de l'aider dans la préhension des objets métalliques.

Il fallut un peu de temps à Kyle pour s'adapter à cette excroissance. Pour qu'elle devienne peu à peu le prolongement naturel de son corps. Il se sentit alors apte à affronter son énorme charge de travail. Entre les réparations de sa maison, les tâches d'entretien des systèmes de survie collectifs, ses longues journées de chasse et le dépeçage du gibier, les préoccupations ne manquaient pas : parviendrait-il à réparer une fuite de la plomberie ? Les panneaux solaires sur le toit de l'orphelinat tiendraient-ils le choc d'un nouvel hiver ? Et ramènerait-il assez de gibier lors de sa prochaine traque pour nourrir tout le monde ?

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Where stories live. Discover now