Chapitre 43 : Le taudis des uns est le foyer des autres

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— Ky... Kyle ?

— Sophie...

Il dévorait du regard son charme toujours aussi envoûtant. Sa douceur de poupée en porcelaine s'était sculptée en une force et une assurance qui s'exprimaient à travers chaque nouvelle ride de sa peau. Elle avait mûri, grandi et jamais elle ne s'était montrée aussi belle qu'en cet instant. L'attention de Sophie, quand à elle, s'arrêta sur le moignon de son bras gauche.

— Ton bras ! Qu'est-ce qui s'est passé ?!

— Une longue histoire.

Kyle releva du bout des doigts le menton de Sophie. Ils se noyèrent dans le regard de l'autre, tels deux amants se découvrant pour la première fois. Les corps s'aimantèrent, s'attirèrent l'un contre l'autre. Les poitrines se plaquèrent l'une contre l'autre. Les mains coururent dans les dos. Les joues se caressèrent. Les lèvres s'effleurèrent avant de s'unir. Délicatement. Tendrement. Puis langoureusement.

— Maman ?

La voix de l'enfant les tira de l'étreinte passionnée. Kyle n'osait y croire. Il en avait le souffle coupé et les larmes aux yeux. Il se tenait face à un reflet temporel. Un mini-lui de cinq ans qui aurait hérité de la couleur ténébreuse des cheveux de sa mère ainsi que de son pétillement d'intelligence et de malice dans les yeux.

— Maman !

Le petit garçon toisait Kyle d'un air méfiant tout en tirant sa mère par la manche.

— C'est qui ? Et tu faisais quoi avec lui ? Dis maman, c'est qui ?

— Viens-là, répondit-elle en l'agrippant par l'épaule. Bon... Tu te souviens de toutes les histoires que je t'ai raconté sur ton papa ? Tu te souviens de la manière dont elles se terminent ?

Une flamme d'espoir crépita dans les prunelles noires de l'enfant.

— Il... il revient avec nous ?

— Tout à fait. Le voici, Vlad. Il est enfin rentré. C'est ton papa.

La petite tête de l'enfant tourna alternativement entre Kyle et sa mère, incertain du comportement à adopter.

Comme face à un parfait étranger...

— Ne sois pas timide, l'encouragea Sophie de sa voix cristalline, dis-lui bonjour !

— Bonjour P... Papa...

— Bonjour, Vlad.

Kyle s'agenouilla dans la boue pour se mettre à sa hauteur. Il tenta d'approcher son bras mais se ravisa face au mouvement de recul de l'enfant. Toutes les phrases qu'il avait préparées durant sa longue route s'étaient volatilisées sous le choc des retrouvailles.

— Je suis désolé de t'avoir abandonné, Vlad, balbutia-t-il maladroitement. Mais c'est fini. À partir de ce jour, je serai toujours là pour toi. Pour ta mère. Pour nous trois. Et seulement pour nous trois.

Face à ce serment, Vlad inclina la tête, perplexe, tandis qu'un sourire creusait les joues de Sophie.

— Ne t'inquiète pas, répondit-elle à sa place. Il lui faut juste un peu de temps. Ensuite, tu n'en reviendras pas... Je suis sûre que tu regretteras l'époque où il était si timide ! Hein que c'est vrai, notre petit garçon ?

Les joues de Vlad se gonflèrent à la manière de poissons globes.

— Je suis pas petit, moi ! Moi, je suis costaud ! Costaud comme papa !

L'enfant – avec les bras en l'air pour exhiber ses biceps – et Kyle s'échangèrent un sourire timide. Un peu plus en confiance, Vlad s'avança de son propre chef d'un pas, ses grands yeux vifs scrutant chaque détail de son géniteur.

— Maman, pourquoi papa il a qu'un bras ?

— Pose-lui toi même la question, il ne mord pas !

— Papa... pourquoi t'as qu'un bras ? Il est passé où l'autre ?

— C'était le prix à payer pour vous revoir, ta mère et toi.

Face aux sourcils poupins qui s'arquèrent d'incertitude, il se sentit obligé d'ajouter :

— Disons que c'était un accident.

— Un accident ? répéta Vlad à mi-voix, songeur. Comme quand maman elle fait le dragon ?

Une moue relativement agacée tordit les lèvres de cette dernière.

— Quand j'ai fait le dragon, c'est que j'avais laissé le repas brûlé et enfumé la cuisine. Mais je n'arrive pas à croire qu'il s'en souvienne ! Ce n'est arrivé qu'une fois et il y au moins deux ans !

Un rire s'échappa de la gorge de Kyle et se communiqua à Vlad. Le garçon s'approcha d'un nouveau pas. Il ne jetait plus de regard en coin à sa mère. Il osa même lever sa main potelé pour toucher le bout du nez de son père. Kyle l'imita et partagea un nouveau sourire. Il eut tout juste le temps d'ouvrir les bras pour recevoir la chair de sa chair contre sa poitrine. Il ne sut comment l'expliquer mais il ressentit, par ce simple contact, toute la force du lien qui l'unissait à ce petit être. Qui l'avait toujours uni. Et qui l'unirait à jamais.

— Papa ? demanda à brûle-pourpoint Vlad. Tu as cassé les monstres ? Tu as cassé les méchantes machines ? T'as gagné, papa ? Parce que tu es un héros ? C'est vrai, hein maman ? Papa est un héros !

— Oui... souffla-t-elle, aussi amusée qu'attendrie.

— Dis papa, c'est comment dehors le village ? Maman elle dit que c'est très trèèès grand ! Mais c'est grand comment ? Plus que la forêt ? Parce que ça fait déjà peur ! Elle dit aussi que...

— Et si tu allais chercher les dessins que tu as fait pour papa ? intervint Sophie, devinant certainement que le flot de questions n'était pas prêt de se tarir. Ça lui ferait plaisir de les voir !

— Oh oui ! Mes beaux dessins ! Maman, ils sont où mes beaux dessins ?

— Dans ta chambre, voyons !

Le petit garçon sauta des bras de son père dans un état de surexcitation électrique. Il fonçait déjà en bond de diable vers l'escalier de la maison. Kyle le regarda disparaître au sommet des marches, la fatigue de son long voyage transfigurée en une expression béate. De le voir ainsi tira un rire angélique à Sophie.

— Il est friand d'histoires, commenta-t-elle en l'aidant à se relever, à tel point que j'ai très vite épuisé tous nos livres. J'ai donc dû en inventer. La radio m'a pas mal aidé pour créer celles avec un héros du nom de Kyle Godraon.

— Notre petit monstre... Je crevais de trouille à l'idée qu'il puisse m'en vouloir. Grâce à toi, c'est tout l'inverse.

Ils s'échangèrent un nouveau baiser, encore une fois interrompu par des cris de Vlad à l'étage, une peur panique dans la voix :

— Maman ? MAMAN ! Ils sont où mes beaux dessins ? Ils sont pu là !

— J'arrive !

Elle se tourna vers Kyle.

— Tu rentres, mon grand héros ?

— Je te suis.

Ils franchirent la porte de leur maison plus heureux que jamais. Si pour beaucoup, l'amas composite d'éléments de récupération aurait en tout point collé à la description d'un taudis, pour eux, il s'agissait d'un foyer.

Leur foyer. Enfin au complet.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Where stories live. Discover now