30. Sur les ailes de la providence (2/2)

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Sans plus de transition, Rachel pose Filou à ses pieds, tâte les membres avec une délicatesse qui contraste avec l'épée toujours serrée dans sa main, et – comble de l'improbable – lui grattouille la tête sur un soupir.

— Patte cassée. Cet escrafe t'a pas raté, mon vieux. Pour une fois que tu sautes au milieu du grabuge.

L'animal se ravive sous la caresse, entrouvre un œil larmoyant et la gratifie d'un ruban baveux.

— Eh, qu'est-ce que t'as là ?

Rachel récupère un petit objet scintillant entre les babines. Intrigué, Florimond se rapproche, non sans surveiller les vibrations insistantes de la porte d'un œil méfiant. La tour a été conçue pour la défense, mais combien de temps le chêne résistera-t-il à la violence de l'assaut ?

La mercenaire roule des yeux devant un anneau doré serti d'une pierre laiteuse comme s'il s'agissait du plus précieux des rubis ou, au contraire, d'un scorpion prêt à mordre. Florimond entortille une de ses boucles au bout de son doigt. Qu'est-ce que ce bijou a donc de si extraordinaire ?

— Une bague. La bague d'Achéric, commente-t-elle d'un timbre indéfinissable.

Filou bat la mesure de sa fierté sur les dalles. Ses babines s'étirent de la même satisfaction que lorsqu'il rapporte une botte moisie repêchée au fond de l'étang. Rachel le dévisage avec une expression qui n'est pas loin d'évoquer celle d'une autre jeune femme devant le même animal.

— Tu l'as arrachée à ce sagouin. Mais t'es quoi, en vrai, La Saucisse ?

— La Saucisse ? intervient-il, ahuri. Comment ça, La Saucisse ? Tu connais ce chien ?

La mercenaire relève une grimace comme si elle se rappelait seulement à l'instant sa présence.

— Sûr que je le connais ! Il me colle aux basques depuis des années.

Les yeux de Florimond plongent sur les babines retroussées dans une mimique penaude. Une bouffée d'indignation lui chatouille le nez. Le filou porte bien son nom ! Il s'est invité au château, a attendri la cuisinière, a reniflé partout, et tout ce temps, il était quoi, une sorte d'espion à quatre pattes ? Voilà pourquoi il n'a pas aboyé sur la voleuse ! Il ne s'appelle même pas Filou...

— La Saucisse, commente-t-il à voix haute, c'est pas un nom, ça !

Rachel referme le poing sur la bague, se relève, hausse les épaules.

— Il en a l'apparence et il en raffole. C'est doublement adapté.

Satisfaite d'avoir clos le sujet, elle balaie la pièce du regard et se dirige vers un carré de bois encastré au sol. Florimond secoue la tête, désorienté. Cent autres questions se bousculent sur ses lèvres.

— Rachel, qu'est-ce que tu faisais dans ce château ?

L'interpellation la coupe dans son élan. Elle pivote d'un mouvement brusque ; un feu s'éveille dans ses prunelles.

— Je pourrais te retourner la question, le boiteux. Et je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler ainsi.

Une bouffée de ressentiment lui pique le nez. Il ne s'attendait pas à des effusions chaleureuses de sa part, mais un simple « Merci » aurait paru adapté. Sa langue fuse avant même d'avoir amorcé le moindre tour de bouche.

— Et si je préfère t'appeler Rachel, en quoi ça te gêne ?

Sa réplique la prend au dépourvu. Elle cligne des paupières. Le regard de Florimond glisse sur l'épée ensanglantée toujours fichée dans sa poigne et sa colère s'évapore aussi vite qu'elle est venue. Encore une fois, il lui doit la mise. Sans elle, il terminait en brochette.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now