9. Songe d'une nuit d'été (1/2)

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Le carrosse bringuebale dans les rues animées d'Amboise et se fraie un chemin en direction du pont de pierre qui enjambe la Loire. Le petit cortège aux armoiries de Bléré progresse dans la lenteur sirupeuse du flot de charrettes à bras, mules, marchands, paysans ou simples voyageurs. Quelques éclats de soleil musardent sur le cours placide d'un vert d'eau profond.

Une fois n'est pas coutume, Léonore dispose de l'intérieur capitonné pour elle seule et se laisse bercer par le ressac de ses pensées.

Pourquoi a-t-elle tout raconté à Florimond ? Elle avait pourtant promis à père de n'en toucher mot à personne. Sur le moment, cela lui a paru tout naturel. Le voleur des parchemins est sûrement mêlé au complot qu'elle a surpris. L'apprenti doit avoir à cœur, tout autant qu'elle, d'arrêter ces malfaiteurs ! Et puis, elle doit s'avouer que, depuis une semaine, le silence imposé pèse aussi lourd qu'un palais royal. Une épaule, même si elle est perchée sur des jambes bancales, offre un pilier appréciable pour l'aider à supporter ce secret.

Un coin de sourire force sa place sur ses lèvres. La candeur rafraîchissante du garçon, sa gaieté indéfectible et même ses touchantes maladresses parviennent à percer son voile d'inquiétude. Les simples mots échangés dans l'écrin du parc lui allègent déjà le cœur. Si elle osait, sans le fossé abrupt creusé par les convenances sociales, elle pourrait le considérer en ami.

Un pincement un peu honteux lui rappelle son sermon à Jacques, dans ce même parc. N'est-elle pas en train de sombrer précisément dans le travers contre lequel elle l'a mis en garde ? Pourtant, ce n'est pas pareil. Les circonstances sont inversées, et elle n'a certainement pas l'intention d'exploiter sa position pour causer le moindre tort au jeune homme.

En plus de disposer d'un doigté incomparable avec un crayon, il n'est pas aussi stupide qu'il l'affirme. Son hypothèse mérite d'être considérée. Qui pourrait prétendre au trône du Saint-Empire si François venait à mourir ? Henry d'Angleterre et Charles d'Espagne, à l'évidence. Le seigneur de Château-Renault est-il de mèche avec l'un d'eux ? Il a déployé de récents efforts pour s'approcher de son père et rentrer dans les bonnes grâces de Thomas Bohier, général des finances.

La couronne de France, quant à elle, échoirait au Dauphin, François le Deuxième. Qui assurerait la régence ? Sans doute pas la reine Claude, trop effacée. Plutôt sa mère, Louise de Savoie, comme lors de la campagne d'Italie, ou encore sa sœur, Marguerite d'Angoulême. L'une ou l'autre pourrait-elle briguer le titre impérial au nom de l'enfant ? Avec une armée à l'appui ? La voix sirupeuse entendue pouvait tout à fait appartenir à une femme.

Léonore ferme les yeux. Ses pensées virevoltent sans relâche, se heurtent à des murs, reviennent, explorent de nouvelles pistes. Ce carrousel infernal martèle ses tempes d'un début de migraine. Le sens qu'elle croit saisir un instant lui échappe dans la ronde d'après. Toute cette affaire va la rendre folle.

C'est alors qu'elle repense au chien.

La vision cauchemardesque s'imprime sur le noir de ses paupières. Tous ses nerfs se hérissent. Non, elle ne veut pas songer à ce qu'elle a vu ! Elle claquemure les portes de son esprit, verrouille l'accès et jette la clé dans les marais de l'oubli. Le sésame s'y enfonce avec un frémissement et quelques bulles remontées du fond de l'âme. D'abord ces empreintes fourchues au bord de l'étang, et maintenant ce délire. D'où viennent ces hallucinations ? A-t-elle attrapé la fièvre ? Est-elle en train, véritablement, de perdre l'esprit ?

Léonore se laisse aller en arrière sur la banquette avec un gémissement et se tamponne le front. Elle a besoin de prier, de s'alléger la conscience, de s'ouvrir à la paix du Seigneur. Cette visite au couvent lui redonnera la sérénité qui lui échappe.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now