Epilogue

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Herr Florimond ?

Il pose son pinceau dans le pot en fer accroché à l'échafaudage, s'essuie les mains dans son chiffon et tourne un sourire amène vers le petit homme grisonnant cintré dans son pourpoint impeccable.

— Qu'y a-t-il, Claus ?

— Le messager vient d'apporter le courrier. Vous avez une lettre, de Paris.

Le coin de ses lèvres remonte encore plus haut, au risque de s'envoler. Il saisit les montants de l'échelle et se laisse glisser jusqu'au sol dans une descente fort peu protocolaire. Si Francesco le voyait, il aurait droit à une superbe démonstration de grimace constipée. Heureusement, Francesco Melzi se trouve à des lieues d'ici, bien trop nombreuses pour être comptées, sans doute en train de houspiller ses propres apprentis. Le clerc du conseil municipal se contente, plus stoïquement, de hausser un sourcil et de lui tendre le pli.

Florimond s'en empare, piqué d'une impatience un peu juvénile. Il reconnaît le sceau de Bléré avec ses trois trèfles et, juste à côté, les aigles aux ailes déployées. Il décachette le tout sans plus attendre, survole les lignes serrées d'une écriture à l'élégance familière, saute à la signature.

— C'est de Léonore ! s'exclame-t-il, prêt à embrasser le digne secrétaire.

Claus pourrait s'en offusquer. Les baisers sont moins en vogue dans le Saint-Empire qu'à la cour de France. En revanche, il connaît quelqu'un qui ne refusera pas et se réjouira autant que lui. Il s'empare de son béret, en coiffe ses boucles et fonce vers la porte.

Herr, das Fresko ? rappelle le clerc dans son dos.

Keine Sorge ! La peinture doit sécher, je reviendrai ce soir ! lance-t-il par-dessus son épaule.

Il dévale les marches du Rathaus et enfile les rues pavées de Rosheim sous le glorieux soleil d'été, les bribes d'une chanson aux lèvres. Il court sans trébucher et s'accorde, comme à chaque fois, une pensée émue pour le bottier qui a su reproduire ses croquis de semelle surélevée à la perfection.

Quelques passants le reconnaissent et le saluent au passage. Il leur renvoie la politesse d'un signe du chapeau. Le parfum inimitable du pain chaud flotte près de l'échoppe du boulanger. Quelques compères partagent une chope autour d'une table devant la taverne. Ils l'invitent en levant leur verre, mais Florimond décline poliment.

Il a l'impression d'habiter dans cette ville libre d'Alsace depuis une éternité. Pourtant, moins de trois ans auparavant, sa toute récente épouse et lui traversaient le royaume de France sur l'invitation respectueuse de Josel ben Gershon pour démarrer une nouvelle vie, libre de menaces.

Après les multiples tractations auprès des princes-électeurs, les cajoleries, les promesses, les richesses dilapidées, François de France a finalement échoué à obtenir le trône qu'il convoitait. Plus pragmatique, son rival s'est contenté de lettres de change – à collecter à l'issue du scrutin – et d'une armée en bonne et due forme aux portes de la ville. Une stratégie somme toute assez proche de celle envisagée par Eochu.

Paradoxalement, c'est Jean d'Andigné qui a évoqué le premier le Saint-Empire et la charte de protection accordée par Charles d'Espagne aux juifs du royaume, peu après son élection. Sur ses recommandations, une certaine jeune femme a écrit à celui que l'on surnomme – hors de portée des oreilles trop rigides – le « gouverneur des juifs ». Le nom de Salomon Sagreda a fait merveille ; la proposition était une aubaine. Florimond a suivi.

Amboise lui manque un peu, bien sûr : tout le décor de son enfance, les berges langoureuses de la Loire, les briques rosées du Cloux, sans oublier les plantureux repas de Mathurine. Sa mère a versé un déluge de lamentations ; il a dû promettre de lui écrire souvent pour l'apaiser. Cependant, depuis la mort de maître Leonardo, à peine deux mois après l'incendie du château de Candé, la ville avait perdu un élément indéfinissable pour lui, comme si une étincelle de merveilleux s'était éteinte en même temps que l'artiste.

Trois coups de pinceau pour un songeजहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें