15. La belle au château dormant (1/3)

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 Florimond se tourne et se retourne dans son lit, sans parvenir à trouver le sommeil. Le matelas de plumes de l'impressionnant baldaquin est pourtant bien plus moelleux que sa paillasse d'apprenti au château du Cloux, mais un feu inaccoutumé lui chauffe les entrailles. Il serre les dents sur une bouffée de vindicte, se redresse et assène un poing sur l'oreiller.

— Broie les couleurs !

Un deuxième s'enfonce à la suite.

— Lave les pinceaux !

Un troisième fuse dans un nuage de fin duvet.

— Enduis cette toile !

Le cri lui râpe la gorge. Les réflexions acerbes de Francesco moquent ses efforts. Aucun des coups ne parvient à dénouer la tension de ses tripes.

Il halète, à genoux dans le désordre de draps.

Le faisceau argenté de la lune éclaire le creux matraqué. La vision se superpose à celle d'un visage pâle enfoui sous une pile de couvertures, encadré d'une auréole.

Léonore.

Florimond tremble de tous ses membres. À sa demande, le seigneur de Candé l'a conduit dans la chambre de la jeune fille. Elle dormait profondément, terrassée par la fièvre. Il n'a pas pu lui parler ; il n'a rien fait. Pourtant, il est venu ici pour elle, pour la sauver. Comment a-t-il pu l'oublier alors qu'il a passé toute la journée à peindre ses traits avec soin sur la fresque monumentale, en reproduction fidèle de son esquisse au fusain ?

Léonore.

Florimond glisse les doigts dans le fouillis de ses boucles à la recherche de ses questions égarées. Il gémit comme un vieux chiffon écartelé. Les yeux pâles du seigneur le félicitent pour son travail ; la mine ravagée de Jacques lui renvoie un reproche. Le frère protecteur s'angoissait. Comme lui. Pourquoi n'est-il pas d'abord rentré, pour s'assurer que le message avait bien été transmis ? Quelques coups de pinceau valent-ils plus que la vie d'un ange ?

Léonore.

Le chiffon craque sous la pression. Florimond vacille. Un filet haineux se déchire dans son esprit. Il se retrouve en pénitent sur son lit, étourdi de lucidité, baigné de lune, entre des pierres suintantes d'une menace larvée.

Une plainte au fond de la gorge, il se prend la tête entre les mains avec l'impression douteuse d'émerger d'une nuit de beuverie. Que lui arrive-t-il ? Il n'a pourtant bu qu'un peu de vin coupé d'eau au souper. Un brusque dégoût lui soulève l'estomac. Cette colère, cette rancœur ne lui ressemblent pas. Il n'apprécie pas beaucoup Francesco, mais ne lui veut aucun mal. Le disciple est aussi dévoué que lui au maître. Lui-même n'est que le broyeur de couleurs, avec encore tant à apprendre. La preuve : il n'a pas osé s'atteler aux yeux du portrait, par crainte de tout gâcher.

Il secoue sa tignasse et rassemble les pièces bancales de ses récentes décisions. Pourquoi est-il resté ? Mathurine va s'inquiéter, Francesco va se fâcher, Leonardo va être déçu. Il aurait dû rentrer à Amboise, vérifier que Jacques avait reçu le message, demander la permission de travailler pour Blaise Fayet. C'est comme cette histoire de Codex volé... L'explication ne tient pas debout. Le coup sur la tête lui a peut-être chamboulé la cervelle, mais il se souvient parfaitement des trois ombres franchissant le mur d'enceinte. Ensemble.

Florimond attrape ce brin de la pelote et le suit pas à pas. Sa nuque se hérisse à mesure que son esprit embrouillé se remet en branle. Une goutte de sueur espiègle se détache de son cou et prend ses aises le long de son échine. La fausse Ginon lui a tiré les vers du nez à la taverne au travers d'une belle comédie. La Flèche s'est emparée des dessins du maître et les a remis au seigneur de Candé. Ledit seigneur a aussitôt entrepris la construction des machines de guerre. L'ensemble débouche sur une unique signification : Blaise Fayet n'est autre que l'ignoble comploteur entendu par Léonore, celui qui lorgne le trône impérial, celui qui projette quelque sombre assassinat !

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now