18. Une poignée de brins fragiles (2/3)

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La mercenaire vacille sous le choc.

Florimond ouvre des yeux effarés. Comment peut-elle espérer remporter ce combat inégal ? Elle va se faire éventrer, rôtir, croquer ! Saint Georges affronte le dragon, seul, sur un destrier vermoulu, sans même un bouclier. Sous une bouffée de honte, un élan déraisonnable s'empare de son corps. Sa main se serre sur sa vieille branche ; il se relève d'une impulsion.

La tête de serpent plonge sur la sonneuse de tocsin. La Flèche tente un écart et manque de peu une baignade improvisée. La crête effilée amorce un virage pour l'éventrer. Florimond assène son bâton sur les narines trop pressantes. Ses bras, certes encore grêles, se lestent d'une saine révolte. L'arme de fortune se brise avec un craquement plaintif. La créature se rétracte, plus de surprise sous cet assaut d'avorton, que d'une quelconque blessure.

Florimond contemple son moignon avec un pincement de regret. À force de maltraiter cette pauvre branche, cela devait finir par arriver.

— Recule, imbécile ! Tu vas te faire embrocher ! remercie la douce voix de La Flèche.

Un instinct de survie chevillé à ses tripes n'est pas loin de lui donner raison. Cependant, ses lèvres formulent déjà leur propre réponse.

— Pas question ! À deux, on peut la prendre en tenaille !

L'espèce de boule velue le fixe du regard qu'un brochet réserverait à un insolent asticot. Elle ouvre sa gueule sur une inspiration au relent d'œufs pourris.

Oh, oh !

Florimond se laisse tomber à genoux dans une prière fébrile. Un mini brasier s'allume dans les airs à la place qu'il occupait l'instant d'avant et lui roussit quelques boucles. Quand il songeait à un bon feu de cheminée pour se délasser devant les jeux de lune, ce n'était pas tout à fait ce qu'il avait en tête.

La barque ballotte ; une botte de cuir manque de lui écraser les doigts. Un tintement d'enclume signe une nouvelle tentative de découper la bestiole en rondelle, sans plus d'effet que la première.

— En tenaille ! Et avec quoi ? raille-t-elle sans lui accorder un regard. Une pincée de poudre de perlimpinpin, peut-être ?

Florimond se débarrasse de son moignon inutile et colle ses fesses contre le rebord pour éviter de récolter un coup perdu. Il doit bien avouer se trouver à court d'arguments frappants. Une grimace désabusée lui tord les lèvres. Qui cherche-t-il à protéger ? Léonore ? La Flèche ? Il ferait mieux de se soucier de sa propre peau ! De l'autre côté du banc survivant, la princesse en détresse lui jette un regard affolé, ou peut-être effaré de tant de stupidité.

Pourtant, une idée insolite naît dans son esprit, ensemencée par la plaisanterie douteuse de la mercenaire. Elle ne tarde pas à prospérer sur le terreau fertile de son imagination. De la magie, pour lutter contre une créature magique. Voilà la solution !

Il s'humecte les lèvres tout en galopant derrière le train de ses réflexions. À plusieurs reprises, ces derniers jours, il a entraperçu ces mystérieux fils dorés. Il est même parvenu à s'y suspendre le temps d'un saut impossible. S'il retrouvait son étrange vision, pourrait-il les utiliser pour piéger le monstre ? Qu'est-ce qui déclenche cette apparition ? Abracadabra ? Hocus pocus ?

Pendant qu'il médite sur l'essence du monde, La Flèche se glisse sous une nouvelle agression de crête tranchante. La barque se balance comme un joyeux tonneau. Ce jeu de chat et de souris risque hélas de vite trouver ses limites dans l'espace confiné. C'est même un miracle que la mercenaire ne soit pas encore passée par-dessus bord.

La miraculée profite d'une nouvelle amorce de frappe pour rejoindre le poitrail velu. Elle enfonce sa lame entre les piques luisantes avec un cri de guerre, une clameur du fond des tripes. Las, vu la réaction obtenue, elle pourrait tout aussi bien chatouiller la panse du bœuf-hérisson. Est-il donc aussi immortel que hideux ?

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now