16. Quand vient l'heure de prendre congé (2/3)

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... et il atterrit sur les dalles de pierre d'une salle de banquet, repeintes de la familiarité chaleureuse d'un cercle de chandelles. Il cligne des paupières, tel le rêveur réveillé en sursaut, sonné par la normalité fracassante de ce coin de château seigneurial. Il oscille, puis recouvre ses esprits sous la douche glacée de ses souvenirs. Léonore !

Elle n'a pas bougé d'un cheveu, toujours allongée sur son dais dans l'attente endormie du prince de ses rêves. Il se précipite, la secoue.

— Léonore, réveille-toi !

Il fronce les sourcils de concentration. Qu'a dit la reine fantomatique, déjà ?

— Brigit ! Bouichgue ! Douizgue ! tente-t-il d'un timbre un brin nasillard.

Miracle ! Les lèvres de la jeune fille frémissent. Ses cils papillonnent d'un battement délicat avant de s'entrouvrir sur deux iris, délicieusement rassurants dans leur différence.

— Florimond ? s'ébroue-t-elle d'une voix lointaine, encore robée des brumes d'un songe. J'ai rêvé... d'une ville, d'une pierre. J'ai rêvé ... qu'un loup vous dévorait.

Elle se redresse sur un coude avec plus de vigueur et pose une paume aussi douce qu'un duvet sur sa joue.

— Ce sang, vous êtes blessé ! s'effare-t-elle d'un ton bien plus ancré dans des préoccupations immédiates.

Il essuie sur sa manche une goutte sombre de son nez tuméfié. Sa chute dans les fougères depuis le haut d'un pilier de glaise a laissé quelques traces. Rien de grave. Il écarte l'inquiétude d'un rictus bravache.

— Oh, ce n'est rien, j'ai raté une marche.

Il s'apprête à l'exhorter, avec toute la diplomatie nécessaire, à quitter céans l'hospitalité trop prévenante du seigneur de Candé, mais elle lui enlève les mots de la bouche avec bien moins de circonvolutions.

— Je dois fuir ce château au plus vite ! Pouvez-vous m'aider ?

Avant même qu'il ait pu tendre le bras en galant chevalier, elle a bondi du dais, prête à charger elle-même les mécréants qui se dresseraient sur sa route. Toutefois, peut-être a-t-elle présumé un peu trop de ses forces. Elle porte la main à ses yeux avec une grimace, vacille. Il la rattrape de justesse entre des bras alarmés.

— Comment vous sentez-vous ? demande-t-il dans un regain d'anxiété. Êtes-vous fiévreuse ?

— Non, je ne crois pas. Je vais bien...

Elle s'interrompt et regarde autour d'elle avec un air égaré. Son iris bleu luit dans la pénombre.

— Où sommes-nous ? Qu'est-il arrivé au château ? Les murs...

Sa voix se brise sur une note désemparée.

Florimond s'autorise un tour d'horizon des deux hautes cheminées blasonnées, de la rangée de fenêtres à croisée, des pierres léchées de la danse des flammes, mais ne décèle rien de nature à l'affoler plus qu'il ne l'est déjà. Alors, pourquoi son cœur démarre-t-il comme un étalon piqué des talons ? Il plonge dans les pupilles dilatées d'incompréhension de la demoiselle. La fièvre lui a-t-elle dérangé l'esprit ? Une question fort pertinente de la part d'un garçon qui voit des fils partout depuis qu'il a reçu un coup sur la tête ! Ils sont deux fêlés tentant d'échapper aux griffes d'un dément assoiffé de conquête. Vraiment, un beau duo !

Léonore pivote vers la fresque comme appelée par des mots inaudibles. Son regard se voile d'une étrange langueur.

— Le passage est ouvert. Eochu arrive, je le sens qui approche. Il vient me chercher.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now