1. Banquet, boulette et bal plané (1/2)

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— Allez-y !

Avec ces deux mots, lancés d'une voix tonitruante par le roi François, la journée tant attendue vire à la catastrophe.

Dans la cour gravillonnée, devant les briques rosées du château du Cloux, la foule des invités délaisse les mets raffinés et les vins capiteux servis par les valets. Gentes dames, nobles seigneurs, hommes d'Église, bourgeois et autres ambassadeurs se rassemblent dans un froissement de soieries à prudente distance du clou du spectacle. Les regards convergent vers le duo en charge des réjouissances. Le souverain dépasse d'une bonne tête le vieil artiste-savant-architecte voûté à sa droite, à la barbe aussi fournie que son imagination. Le chahut des conversations s'atténue sur un murmure expectatif. Seul le clapot de la fontaine poursuit sa chansonnette, sous le ciel radieux d'un mars naissant.

Florimond recule de son pas bancal, le pouce levé en guise de signal. Une excitation bat dans sa poitrine. Combien de fois a-t-il rêvé de cet instant triomphant depuis que le roi François a émis le désir d'une démonstration, à l'occasion du premier anniversaire du Dauphin ? La construction de la vis aérienne a nécessité une semaine fébrile de mesures précises, de montage minutieux, d'invectives excédées, de nuits blanches éprouvantes pour un résultat grandiose : une spirale de toile aussi large qu'une nappe, actionnée par un ingénieux mécanisme de pédales et de poulies, capable d'emporter un homme dans les airs !

Sur le tabouret de bois à l'aplomb de l'axe porteur, le chanceux pilote prend note d'un imperceptible signe de tête, sans même l'ombre d'un sourire. L'honneur de cet essai ne pouvait revenir à nul autre que le disciple fidèle du grand Leonardo da Vinci : Francesco Melzi, peintre appliqué, ingénieur médiocre et tourmenteur patenté d'un broyeur de couleurs maladroit. Florimond ne connaît pas d'homme plus austère. Rien ne parvient à le dérider. Il a toujours la grimace aux lèvres sous sa cascade de cheveux blond cendré, comme s'il était né constipé et n'avait jamais réussi à se déboucher les intestins depuis.

Par déférence pour la solennité de l'instant et la haute distinction du public, Florimond refrène son sourire et s'applique à un masque d'une dignité irréprochable. Ce n'est pas le moment d'une crise de fou rire.

Francesco lui jette un œil suspicieux, écarte les pans de son manteau et pousse sur les pédales. Au-dessus de sa tête, le serpentin de toile s'ébranle dans une lente rotation. Sous ses efforts vigoureux, le mouvement prend de l'ampleur. Le public retient son souffle. Toute la structure en osier vibre d'impatience. Florimond trépigne avec elle, le nez en l'air.

Il remarque alors l'une des cordes de transport encore nouée autour du mât et se retient de se frapper le front. L'oubli stupide ! Le chanvre s'enroule à chaque coup de pied avec la lenteur trompeuse d'un serpent en chasse. Florimond baisse la tête, suit le filin des yeux. Il se termine sur une boucle, lovée entre ses galoches ; son sourire se crispe avec une pression sur ses intestins.

Tout s'accélère.

Le piège se referme sur la cheville innocente. Florimond tente de s'échapper d'un bond, mais une fois de plus, sa jambe trop courte lui joue un mauvais tour. Il trébuche, bat des mains, s'étale. Son menton pointu fait la connaissance frappante des graviers. Une poigne de chanvre s'empare de son pied et le soulève dans les airs ; le reste de sa carcasse maigrichonne décide unanimement de suivre l'impulsion.

Le temps d'un cri entre surprise et panique, Florimond éprouve l'insigne privilège d'une sensation d'apesanteur – sans toutefois l'état d'esprit adéquat pour l'apprécier. Déséquilibré par le poids imprévu, l'engin bascule dans un craquement. La corde relâche son emprise, propulsant son passager clandestin. Un vol hélas dépourvu de la grâce aérienne d'une hirondelle ou du piqué précis d'un faucon.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now