27. La guerre aux trois visages (1/3)

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Une main froide enserre la sienne.

« Es-tu certaine de ton choix ? » murmure une voix à la surface de ses pensées.

Léonore est tout sauf certaine, mais ce qu'elle sait en revanche, c'est que sa présence mettait ses amis en danger, et même donnait des armes à leur adversaire pour les dresser les uns contre les autres. Elle-même ne craint rien – du moins physiquement. Elle est protégée par l'intention d'Eochu de l'épouser. Si elle veut tout arrêter, elle doit lutter de l'intérieur, au plus près du mal.

Peut-être Brigit parviendra-t-elle à convaincre son époux de renoncer à ses projets de conquête ?

« Je peux essayer, mais je crains qu'il ne soit au-delà de toute raison. Il a toujours été fier, et ses siècles d'errance ont creusé une soif de réparation et de domination qu'aucune rivière ne saurait étancher. »

Les mots s'accompagnent d'un frémissement nostalgique, du lent éveil d'une aspiration, d'une vague de sentiments oubliés. Léonore s'ébroue d'un mouvement de tête et observe autour d'elle sans parvenir à retenir un frisson. Elle est revenue à son point de départ, dans la vaste salle de banquet du château de Candé, éclairée d'un orgueilleux cercle de chandelles.

La fresque, immense et déroutante, étale les arches élancées d'une Tír na nÓg au faîte de sa gloire couronnant les deux figures centrales. Un souffle lui refroidit la nuque. Un agencement de chiffons, pinceaux et coupelles, soigneusement entreposés pour la nuit, n'attend plus que la dernière touche de l'artiste. Déjà, une main diligente a réparé les dégâts causés par le bâton de Florimond en s'appuyant sur le modèle d'une esquisse au fusain. Un visage encore aveugle la contemple, tel un miroir inachevé. Il ne lui manque plus qu'un regard pour s'éveiller à la vie.

Léonore se masse l'arête du nez. Comment sont-ils arrivés là ? Un manteau de brumes enveloppe ses souvenirs de l'affrontement dans la chambre du roi, comme si elle se remémorait un songe. Brigit s'exprimait à sa place, mais accepter la main tendue a été sa décision. Ensuite, ils ont basculé dans un corridor de rêve. Et maintenant ?

Le seigneur de Candé l'observe avec ce sourire trompeur qui la plonge dans un tourbillon d'émotions contradictoires. Il la répugne et, pourtant, elle l'a aimé autrefois, il y a plus longtemps que de mémoire humaine. Elle ne sait plus si elle veut s'enfuir ou embrasser ces lèvres trop froides pour leur redonner un soupçon de chaleur.

Les deux trolls grognent juste à côté. Le plus gros porte sur son épaule nauséabonde un roi aussi immobile qu'une poupée de son. D'après Brigit, le breuvage servi par Urbain l'a plongé en léthargie, mais ne met pas ses jours en danger. Elle frémit. Au moins, elle pourra veiller sur son souverain en partageant sa captivité. À la lumière des récents événements, elle comprend enfin tout le projet terrifiant d'Eochu : voler l'apparence de François de France, puis s'emparer du trône du Saint-Empire en son nom, appuyé par les armes du Codex Atlanticus. Leur intervention dans la chambre a interrompu le sordide rituel, mais que se passera-t-il après ?

« Ce n'est pas un simple glamour qu'il tisse, une illusion quelconque. C'est un ancien charme de changeling, un reflet de réel. Il a besoin de lui en vie pour maintenir le mirage. »

Même si les mots de Brigit la rassurent sur le sort du roi, elle n'ose imaginer la couronne de France, puis les rênes de l'ancien Empire romain, entre les mains de ce mégalomane. Où s'arrêtera sa soif de conquête ? Il ne tardera pas à tourner ses visées contre Henry d'Angleterre ou Charles d'Espagne. Combien périront dans le sillage de ses guerres ?

Comme un prédateur attiré par l'aura apeurée de sa proie, Eochu s'approche. Il lui relève le menton avec délicatesse, se penche à sa rencontre. Ses lèvres glacées effleurent les siennes. Un fantôme de baiser.

Trois coups de pinceau pour un songeΌπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα