5. En visite sur les bords du Cher (1/2)

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Florimond tente d'aplanir ses boucles châtains, réajuste les lacets de son haut-de-chausses sous sa tunique enfilée à la hâte et se masse les tempes avec une plainte résignée. Tout un attelage de chevaux caracole sous son crâne, sans aucun égard pour l'heure matinale. Il n'a pas assez dormi, ou bien la troisième chope était de trop.

Sur une profonde inspiration, il pousse la porte de l'atelier.

Une lumière grisée coule par les fenêtres et noie toiles et inventions sous un voile blafard. Le beau soleil de la veille, sans doute fatigué d'avoir trop brillé à la fête, a décidé de rester aujourd'hui blotti sous une couverture moutonneuse. Le chanceux pendard ! Un certain broyeur de couleurs l'aurait volontiers imité pour oublier sa double déconvenue.

À son entrée, une figure ridée de mille idées se détourne du tableau qu'elle s'applique à perfectionner de petites touches.

— Vous vouliez me parler, maître ? demande-t-il en étouffant un bâillement.

La longue barbe se fend d'un sourire accueillant. Leonardo da Vinci repose le pinceau avec soin et l'invite d'un geste de la main gauche. La droite, comme toujours depuis quelques mois, reste immobile sur son genou.

— Ah, Florimond ! Tu es réveillé, approche, piccolo mio.

Réveillé est un bel euphémisme ; tiré du lit par les douces vociférations de Francesco serait plus proche de la vérité. Un doute revient torturer ses intestins, déjà mis à mal par sa soirée de la veille. A-t-il été mandé ici pour un sermon ?

— Maître, pour hier... la corde... je n'avais pas vu... je suis désolé, bredouille-t-il.

L'inventeur balaie sa pitoyable tentative d'excuse d'un moulinet de la main.

— Ce n'est rien, le roi a bien ri. Personne n'a été blessé. La dignité de Francesco s'en remettra. Ce n'est pas ta faute, plutôt la mienne, en fait.

— Maître ? croasse-t-il, abasourdi par cette confession.

— La vieillesse rend parfois trop complaisant, Florimond, soupire le peintre d'une voix résignée. Tu l'apprendras. Je croyais pouvoir... Peu importe, la vis n'aurait sans doute pas décollé.

Florimond secoue la tête avec virulence, sans comprendre un traître mot de cette conversation.

— Mais nos essais ? Elle s'était soulevée d'un bon pied. Et j'avais renforcé la toile !

Est-ce un éclat juvénile qui pétille dans les prunelles du génie ?

— Elle a fonctionné pour nous dans le secret du parc. Un fragment de rêve à chérir. Hier, trop d'yeux incrédules attendaient notre échec, avance son maître en guise d'explication.

Une déclaration qui n'éclaircit rien. En fait, Florimond nage en plein brouillard. La bière du « Joyeux Godet » ne lui réussit pas !

L'étincelle espiègle s'estompe aussi vite qu'elle est apparue. Le regard de maître Leonardo bascule sur les pages du Codex Atlanticus et s'assombrit de méditation. Il lisse les boucles de sa barbe.

— Le Veilleur a raison. Je me demande si je ne ferais pas mieux de brûler tous ces dessins.

Qui ça ? Comment ? L'apprenti vacille avec l'impression d'avoir reçu une vis aérienne sur le crâne, accompagnée d'un ou deux chars d'assaut pour faire bonne mesure.

— Toutes vos inventions ? s'étrangle-t-il. Vous n'y pensez pas sérieusement ! Le scaphandrier, le parachute, le sous-marin, les machines de guerre pour le roi...

Maître Leonardo secoue la tête.

— J'en suis fier, c'est vrai. Et en même temps, entre de mauvaises mains...

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now