11. Tel père, telle fille (1/3)

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En équilibre sur les deux pieds arrière de sa chaise, La Flèche observe le visage pâle encastré au fond de l'oreiller de plumes, au ras des deux épaisses couvertures. Les tresses détachées coulent dans les replis en reflet des rayons de soleil filtrés depuis la fenêtre. Deux touches fiévreuses rehaussent les pommettes, mais la respiration reste régulière. Elle dort encore.

Même si la question n'est pas vraiment son problème, La Flèche se demande ce que cette gamine a de si spécial – une petite nature, comme toutes ces donzelles enrubannées de la haute. Habituée à se vautrer dans le luxe de ses draps de soie, elle s'effarouche de quelques oiseaux et d'un bain un peu frais. Elle a tourné de l'œil à peine le nez hors de l'eau. La Flèche esquisse une grimace dédaigneuse. Bon, elle doit reconnaître que la godiche n'est pas désagréable à regarder, un vrai minois angélique. Il ne faut sans doute pas chercher plus loin. Ces hommes, seigneurs ou marauds, tous les mêmes ! Ils ne pensent qu'avec leur braguette. Et en attendant, la voilà affublée du rôle de garde-malade.

La belle endormie s'agite, papillonne des paupières, pousse un soupir. Elle refait surface, pas trop tôt ! La Flèche abandonne son numéro d'équilibriste et récupère le gobelet près du feu crépitant de la haute cheminée.

Depuis l'orgueilleux baldaquin, deux iris égarés se posent sur elle. Deux iris de couleurs différentes. Elle marque un imperceptible temps d'arrêt. Tiens, pas commun, ça.

— Où suis-je ? Qui êtes-vous ? murmure la convalescente d'une voix engourdie de sommeil.

La Flèche lui tend la tasse d'un geste un peu brusque.

— Tenez ! Buvez d'abord, on causera après.

Elle attrape la greluche sous les épaules et la redresse contre les coussins, sans beaucoup de ménagement. Et puis quoi, encore ? Elle ne va certainement pas plonger dans une courbette. L'autre grimace et serre les doigts autour du grès chaud. La Flèche en profite pour inspecter le réseau d'entailles sur les mains, en bonne voie de cicatrisation. Un dernier cataplasme de millefeuille et il n'y paraîtra plus.

— Qu'est-ce ? demande la fille sans approcher le liquide fumant de ses lèvres.

Un soupçon de circonspection se glisse dans la voix. La donzelle se méfie. Elle n'est pas aussi gourde qu'elle en a l'air.

— Une infusion de saule blanc, c'est pour la fièvre.

La malade incline la tête et la considère avec un étonnement semi-hébété.

— Êtes-vous un mire ?

La Flèche attrape la chaise et y plante son postérieur. La question éveille un rire aigre au fond de sa gorge. Elle pointe son gambison de cuir, tapote l'épée à sa ceinture.

— J'ai l'air d'un thaumaturge en barbe et robe de bure, peut-être ?

Elle secoue la tête et transforme son pincement mélancolique en rictus vindicatif.

— Mon père était médecin. Je connais deux trois bricoles.

Elle agite la main en direction de l'infusion qui refroidit.

— Buvez ! Je vous ai pas repêchée dans la Loire pour que vous trépassiez d'un mal de poitrine.

Cette fois, l'entêtée accepte d'avaler le remède à petites gorgées. Quand elle a terminé, le regard dissymétrique se reporte sur La Flèche.

— Vous m'avez sauvé la vie. Je vous en suis profondément reconnaissante.

La Flèche hausse les épaules et écarte les minauderies d'un revers de main. Le rôle de garde-malade abrase sa courte patience.

Trois coups de pinceau pour un songeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant