13. L'art et la manière d'affronter un dragon (2/2)

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— Ginon ? plaide Florimond.

Le rictus contrarié s'accentue sur des lèvres qu'il avait rêvé embrasser un jour.

— Je m'appelle La Flèche. Il n'y a pas de Ginon, nodocéphale ! Tu n'as toujours pas compris ? Faut te l'expliquer comment ?

Il s'immobilise sous la gifle du ton. La griffe de la déception extirpe ses derniers lambeaux d'amour transi au fond de ses entrailles. Il a beau scruter le coin des yeux, les deux pommettes, la courbure du nez, il ne trouve plus signe de la douce couturière sur le visage indifférent. Florimond se mord la lèvre pour garder contenance sous l'insulte. Au moins, les choses sont claires : elle ne l'a pas tué devant le mur du Cloux, non en vertu d'un quelconque vestige de sentiment, mais parce qu'elle ne s'en est même pas donné la peine.

Comme il reste muet, la voleuse enchaîne :

— Qu'est-ce que tu trafiques ici ? Comment es-tu entré ?

Florimond n'est pas certain qu'elle apprécie la réponse à la première question ni qu'elle croie une honnête explication à la seconde. Il choisit donc de garder sa langue au chaud dans une brillante démonstration de diplomatie.

Ginon-la-Flèche hausse les épaules.

— Peu importe. Le seigneur voudra te parler.

Elle agite la main en direction du colosse improbable. Il n'ose même pas souligner à voix haute l'incongruité de ce corps, glaiseux des pieds à la tête. Au point où il en est, il n'est plus à un mirage près.

— Suis-moi, Magen. Et ne lâche pas cet asticot.

Une promenade s'en suit, dans les corridors d'un corps de logis arrangé avec goût et semé d'une profusion de peintures. Florimond repère même une fresque somptueuse, qu'en d'autres circonstances, il aurait sûrement longuement admirée. L'architecture audacieuse des bâtiments représentés aguiche son âme d'ingénieur. Hélas, son présent moyen de locomotion ne semble pas enclin à baguenauder.

La visite guidée s'arrête dans une pièce qui offre un cousinage indéniable avec l'atelier de maître Leonardo. Une odeur familière d'huile de lin lui souhaite la bienvenue. Un homme à la peau d'albâtre et aux yeux d'un bleu à concurrencer le plus pâle des lapis-lazulis se lève à leur entrée. Le filet de sourire qui étire ses lèvres loge un frisson sous les reins de Florimond. Voilà bien un autre portrait qui serait des plus fascinants à réaliser !

Le propriétaire des lieux sermonne le bloc de glaise sur pattes avec une douce indulgence :

— Voyons, Magen. Dépose notre visiteur. Sont-ce des manières ?

Le colosse obéit sans regimber. Florimond retrouve un sol ferme sous ses pieds avec un certain soulagement. Il réajuste sa houppelande et tente de rayonner la bravoure d'un chevalier, ou du moins de ne pas trembler comme une flamme de chandelle moribonde.

Cependant, au lieu de cracher son fiel, le seigneur ouvre les bras comme pour accueillir un ami de longue date.

— Soyez le bienvenu au château de Candé, monsieur Florimond. Je suis Blaise Fayet, seigneur de cette modeste châtellenie. J'espère que vous me ferez le plaisir d'être mon hôte pour ce soir ? Il est bien tard pour repartir vers le Cloux.

Florimond cligne des paupières. Sa transformation d'intrus en hôte respecté bouleverse sa compréhension de la situation. C'est bien la première fois qu'on s'extasie de sa présence.

— Vous me connaissez ? croasse-t-il.

— Bien évidemment. Vous êtes le talentueux apprenti du célèbre Leonardo da Vinci. J'espère que votre maître se porte bien.

Trois coups de pinceau pour un songeDonde viven las historias. Descúbrelo ahora