15. La belle au château dormant (2/3)

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Florimond trébuche sur une butte d'herbe tendre dans la douce fraîcheur d'une nuit de printemps. Un bouquet de fragrances mystérieuses lui souhaite la bienvenue. Les ombres découpées d'arbres insolites craquent une complainte envoûtante. Sur la voûte, une lune de la taille d'un palais guette depuis son lit d'étoiles.

En toute logique, il devrait se questionner, s'affoler, appeler, mais il se contente d'observer autour de lui avec les yeux émerveillés d'un nouveau-né. Un sentiment de complétude gonfle sa poitrine, comme s'il avait toujours connu, derrière une porte close de son esprit, l'existence de cette autre moitié de monde.

Il pivote face à la masse ténébreuse d'une forêt peuplée de bruissements. La fresque, la salle de banquet, le château tout entier ont disparu. Toutefois, en inclinant la tête, il peut encore distinguer un reflet, le mirage d'une autre réalité. Un pas de côté le ramènerait chez lui.

Cette idée ne pourrait pas être plus éloignée de ses projets.

Le passage n'était pas ouvert par hasard ; Léonore n'était pas endormie devant par hasard. Le seigneur de Candé trame quelque funeste complot, lié d'une quelconque manière à ce lieu énigmatique. Il doit en apprendre plus s'il veut déjouer ses plans.

Au pied de la colline, une cité robée de mousse et d'oubli dresse ses pointes branlantes dans la nuit, voûte ses arches à demi-effondrées, étale ses rues décorées de lierre.

La ville de la fresque.

Cependant, loin de la splendeur éclatante peinte sur le mur, elle croule sous le poids des ans, des siècles, des millénaires. Les réponses se trouvent sûrement là-bas, au cœur de ces pierres rongées de temps.

Florimond pince les lèvres, remonte la bretelle de sa besace sur son épaule et descend la butte au milieu des graminées d'un pas, certes bancal, mais tout ce qu'il y a de plus résolu.

Il s'arrête à l'orée des premières pierres. Une sorte de brouillard diffus ouate les clochetons, les allées, l'entrelacs de végétation florissante. Ses volutes scintillantes s'enroulent dans les ombres et esquissent les contours de membres, de dos, de griffes, dispersés avant même que l'œil ait pu les saisir.

Florimond hésite. La sensation poignante d'être observé cloue ses pieds au sol – observé par de grands yeux affamés, par des fentes chafouines, par des grappes de billes curieuses. La ville n'est pas aussi déserte que son apparence peut le laisser croire. Une pression appuie sur sa poitrine, sa respiration siffle un refrain saccadé. Une intuition lui murmure qu'il serait une mauvaise, très mauvaise idée de pénétrer le secret de ces venelles tortueuses. Il se sent une brusque affinité avec un moucheron devant la gueule d'un fauve assoupi.

Il s'apprête à virer de l'aile lorsqu'un mouvement au coin d'une colonne attire son attention. Les pans d'une robe tissée d'arc-en-ciel disparaissent dans une volée de mèches ensoleillées.

Il tend la main.

— Léonore ?

Son appel s'engouffre dans la rue et s'étiole aussitôt. La jeune fille ne revient pas. Elle ne l'a pas entendu ou il a confondu. Pourtant, il est certain de l'avoir reconnue. Il n'existe pas deux robes pareilles, deux chevelures aussi angéliques.

Il avance d'un pas.

— Léonore ! renouvelle-t-il, plus fort.

Le cri soulève un frémissement feutré, comme si les ombres, les plantes, la ville tout entière tendaient l'oreille. Les bras diaphanes du brouillard rampent jusqu'à lui et se lovent entre ses jambes. Son cœur accélère d'un reste d'indécision. Comment Léonore a-t-elle pu arriver ici alors qu'il l'a quittée, endormie, dans la grande salle du château ? Peu importe. C'est dangereux. Il faut qu'il la rejoigne, l'avertisse !

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now