8. Quelques brins de poésie noués autour d'un complot (2/3)

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Florimond repose la cuillère à côté de son assiette avec un hoquet repu. Son ventre gonflé à exploser ne pourrait pas avaler une miette de plus. S'il en juge les portions que Mathurine lui sert, elle a décidé que ses deux journées de jeûne devaient se compenser par un gavage en règle. Ses paupières s'abaissent, lestées par la tourte aux panais. Peut-il feindre une recrudescence de son mal de tête pour grappiller une petite sieste ?

Un raclement de gorge sur le seuil de la cuisine brise sa torpeur naissante. Batista de Vilanis, fidèle serviteur du maître et homme à tout faire du château, s'incline très légèrement.

— Monsieur Florimond, vous avez de la visite.

Florimond se redresse, toute langueur oubliée sous l'aiguillon de la surprise.

— Moi ?

Qui voudrait rendre visite au broyeur de couleurs ? Est-ce sa mère venue une fois encore s'assurer que son pauvre fils se remet comme il se doit de l'assaut des mécréants ?

— Oui. Une demoiselle Léonore Bérard. Je l'ai fait entrer au petit salon.

Florimond se retrouve debout sur ses galoches avant même que Batista ait terminé sa phrase.

— Je l'y rejoins tout de suite !

Il se précipite, sans même débarrasser son écuelle. L'œil maternel compréhensif de Mathurine le suit hors de la pièce.

Une courte galopade plus tard, il freine devant le battant, passe une main dans ses boucles désordonnées pour un bénéfice douteux et pénètre le salon lambrissé, le souffle un peu plus rapide que ne l'explique son bref exercice.

Devant l'âtre de marbre, un ange couronné d'or contemple la danse des flammes. Elle se retourne, aussi envoûtante que dans son souvenir, aussi déstabilisante. Son sourire lui illumine le cœur d'un rayon estival.

— Comment vous portez-vous ? s'enquiert-elle d'une sollicitude mélodieuse. J'ai appris pour ces brigands qui vous ont agressé. C'est affreux !

— Bien, très bien, merveilleusement bien, flamboie-t-il en retour, soulevé d'une ivresse passagère.

Pour la courbe gracieuse de ses lèvres, pour sa voix suave, pour son regard étourdissant, il se sent capable d'affronter une horde de voleurs, truands et autres spadassins. Il lui offrirait rempart de son corps en preux chevalier. Des images glorieuses papillonnent devant lui, puis il se reprend, redresse les épaules et referme le gouffre béat qui lui fend le visage. Il doit avoir l'air d'un parfait niaiseux. Heureusement qu'il n'y a pas de témoin !

Florimond regarde autour de lui d'un froncement suspicieux, comme si quelque chaperon revêche ou la terreur qui lui tient lieu de frère pouvait se dissimuler derrière l'une des tapisseries.

— Vous êtes venue seule ? s'étonne-t-il.

À peine les mots ont-ils quitté ses lèvres, qu'il sent le flux de chaleur caractéristique d'une rougeur embarrassante grimper jusqu'aux racines de ses cheveux.

Elle agite ses tresses d'or en dénégation.

— Mon frère et mon escorte m'attendent près de notre voiture. Nous sommes en route pour le prieuré de Moncé. J'ai juste profité de notre passage par Amboise pour prendre de vos nouvelles.

Elle lisse le pan brodé de sa robe avec une application appuyée. Sans doute par égard à sa destination finale, elle porte une toilette bien plus simple qu'à l'occasion de la fête, mais qui en sublime d'autant mieux son visage angélique.

— Eh bien, me voilà rassurée. Je suis heureuse d'apprendre que vous vous remettez. Je vais vous laisser...

Laisser ? À peine arrivée, elle repart déjà ? Florimond sent la déception couler comme une pierre au fond de son estomac.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now