Assise dans l'herbe, j'observe attentivement Alcatraz. Il broute paisiblement, à l'écart des autres, leurs jetant, de temps à autres, de furtifs regards, dénués de tout intérêt réel. Campé sur ses fines jambes, il relève la tête sur moi, tout en mastiquant. Sa robe noire est parcourue de reflets cuivrés, éclairée à demi par le soleil couchant.
J'ai pu lire que les chevaux détestaient la solitude. Pourtant, il est la preuve du contraire. Il est insociable. Les autres ne l'approchent pas... Et il ne cherche pas à s'en approcher.
Il a toujours été comme ça, d'après Pepe. Mais son comportement s'est empiré depuis la mort d'une ponette, du nom de Flèche. Les deux chevaux ne se quittaient jamais et étaient inséparables, jusqu'à ce que la petite jument ne meurt d'une maladie. L'étalon s'est alors isolé et détourné des autres. Il n'a plus eu goût en rien et n'a plus cherché à prendre contact tant avec les hommes, que ses congénères. Il ne fait plus rien par plaisir. Et ça se voit. On dirait qu'il vit simplement parce qu'il le doit. Il ne fait rien d'autre que manger, boire, dormir, contrairement aux autres, qui courent, s'amusent entre eux, se roulent joyeusement dès qu'ils en ont l'occasion. Sa vie est bien terne et triste.
Mais une telle réaction peut être compréhensible.
Du jour au lendemain, ne plus être accompagné de celui ou celle qui partageait notre vie au quotidien peut être un déchirement. Brutalement, on se retrouve sans nouvelles de quelqu'un qui occupait une grande place dans nos vies et nos curs. C'est comme si... On nous retirait une partie de ce que l'on est. Une grande partie.
Et malgré un regard vif et perçant, on peut toujours déceler au fond des yeux du cheval, quelque chose d'affligeant et désolant.
Une rafale de vent me fouette le visage, en même temps que certaines mèches de cheveux non prise dans ma queue de cheval.
Je sors de mes pensées.
Alcatraz abaisse le nez au ras du sol et s'avance à petit pas jusqu'à moi. Il relève la tête à hauteur de la mienne. Je touche le bout de son nez avec une certaine hésitation. Ses oreilles sont basses, penchées vers l'extérieur. Il hennit très faiblement, d'un souffle chaux et frémissant qui vient caresser ma joue. Ça fait une semaine que je viens ici chaque soirs depuis ma rupture. Je n'y ai croisé Pepe qu'une fois. Et à l'heure où je viens, il n'y a jamais personne.
C'est la première fois que le cheval m'approche de son plein grès. Il garde la tête basse pendant que je passe délicatement ma main à plusieurs reprise sur son chanfrein. Je plonge mes yeux dans les siens et y retrouve encore cette lueur attristante.
En ce moment, j'ai l'impression de me retrouver en regardant ce cheval. Comme pour lui, le départ de mon conjoint me touche et m'abat beaucoup plus que ce que j'aurais voulu. Une semaine et demi qu'il est parti, une semaine et demi qu'il ne me quitte pourtant pas.
Je me sens vide de toute émotion, et malgré mes efforts, je suis toujours ronger par ce sentiment de peine profonde et douloureuse. Je n'arrive plus à rien. J'ai l'impression de revivre la même histoire qu'il y a cinq mois Sauf que cette fois, c'est vraiment fini. Et il faut que je me fasse une raison. Après tout, nous n'étions peut être et simplement pas fait pour être ensemble Combien de fois nous sommes nous séparés durant ces cinq dernières années ? Je ne les compte même plus Peut être que c'est ce qu'il y a de mieux à faire Pour lui et pour moi.
Ça me fait mal de me l'avouer et encore plus de l'accepter. Mais il va bien falloir que je me relève et que j'avance. Plus facile à dire qu'à faire et franchement, ça me paraît encore insurmontable.
- Pourquoi c'est si dure de dire au revoir...chuchoté je en posant mon front contre celui de l'étalon.
Une énième larme s'écoule le long de ma joue en cette dure semaine... J'essaie de me donner du courage, d'être confiante, seulement, à peine cinq minutes après, c'est la déchéance la plus totale et je déprime autant qu'avant mon petit discours pour me remettre sur pieds Note à moi: il faut vraiment que je revois ma façon de raisonner.
Alcatraz me pousse affectueusement et soupire, comme s'il me comprenait. Je me lève, et essuie ma joue du revers de ma manche. L'étalon a relevé la tête en même temps que moi. Je porte de nouveau ma main à sa joue et la caresse avec calme.
- Il va falloir que tu tournes la page mon vieux...soufflé je d'une voix douce. Et tu ne seras pas seul à devoir avancer
Il s'ébroue légèrement. Je passe ma main un peu plus loin sous son épaisse crinière et le tapote gentiment pour dernière caresse, avant de me retourner. Alcatraz m'escorte jusqu'à l'entrée du paddock et me regarde rejoindre le parking, d'un il bienveillant.
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Devant un bol de céréale que je tripatouille sans manger avec ma cuillère, j'écoute d'une oreille peu attentive ce qui est dit dans l'émission diffusé à la télé, plongé dans mes pensées Qui, bien évidement, se ramène à lui.
La sonnerie de la porte me fait sursauter et ramener sur terre. Je m'interroge sur la personne qui pourrait se trouver derrière J'ai malheureusement toujours espoir que ce soit lui. Il est à peine huit heure et demie... Je me lève, enfile mon peignoir, non sans grogner, et vais ouvrir.
- Salut !s'exclame Ludmila, dès que la porte s'entrouvre.
Je ne peux m'empêcher d'être déçu
Ludmila entre sans gêne, me poussant presque. Je lève les yeux au ciel et referme derrière moi. Des que je me retourne, ma sur s'est déjà rendu dans le salon.
- Qu'est ce qui t'amène ?dis je en la rejoignant.
- Je vais bien aussi Tini, merci de t'en préoccuper.
Je m'excuse d'un ton lasse en repartant m'installer à table et me force donc à échanger « quelques politesses » avec Ludmila, qui s'est affalé sur une chaise à mes côtés.
- Ça se voit que t'es en forme dans tout les cas...soupire celle ci. Tu as des cernes juste immenses. On dirait un Un panda.
- Merci bien Ludmila pour ce doux compliment. ironisé je.
Elle m'ignore royalement en m'informant :
- Juan a appelé hier à la maison. Il s'inquiète pour toi
- Je lui ai envoyé un message pourtant.
- Tini, ça fait bientôt deux semaines que tu ne sors plus de cette maison
- Déjà, ça fait une semaine et quatre jours et en plus, je sors figure toi. répliqué je.
- Ah oui Le centre équestre.
- C'est un haras. rectifié je en enfournant une cuillère de céréale.
- Oui, appelle ça comme tu veux !ronchonne-t-elle
Je ne répond pas, mâchant avec ennuie ma nourriture.
- Tout ça pour en venir au fait qu'il faudrait que tu penses un peu à autre chose Tu ne pourras pas rester éternellement cloîtré ici ! Tu dois reprendre ta carrière, c'est le bon moment, et Juan doit être dans la panade vu que tu dois être demander en interview partout Seulement, tu n'es pas là. C'est pas sympa de le laisser comme ça après tout les efforts qu'il a fourni pour toi
Je sais qu'elle a raison, j'en suis parfaitement consciente. Et j'avais prévu de retourner travailler dans deux petits jours à peine
- Mais je pense que pour l'instantcommence t-elle. Il faut vraiment que tu penses à autre chose! Donc Je vais au centre commerciale Tu m'accompagnes?
- J'ai pas la tête à ça grommelé je.
- Je m'en moque, j'aurai même pas dû te demander en fait. Tu ramène ta personne et ta mauvaise humeur si il faut, mais tu viens. Je te laisse dix minutes pour aller t'habiller.
Je la fusille du regard et elle maintient le mien. Je sais alors qu'elle ne me laissera pas le choix. Je cède et, avec une motivation des plus extravagante, je me lève péniblement de ma chaise, puis traîne des pieds jusqu'à ma chambre, et enfin, la salle de bain.
Je suis dans une boutique avec Ludmila et parcourt les rayons de long en large, ayant l'impression de ne rien trouver à mon goût. Ma sur me propose plusieurs tenues qu'habituellement, je serai allé essayer avec joie. Je repousse une énième robe qu'elle me propose.
- Ok, c'est quoi le problème ? Si c'est Leon, je te jure que je te massacre à la tronçonneuse. T'as promis que t'essaierai de ne pas y penser
- Oui, bah excuse moi, je n'y arrive pas Et ce n'est pas faute d'essayer.
Je la contourne et laissant mon regard se promener sur les étalages.
- Et puis, je t'ai dit que je ne voulais pas venirsoupiré je.
- Mais t'as pas non plus insisté pour rester chez toi.
- Peut être parce que j'avais pas le choix. rétorqué je.
- On a toujours le choix. Il faut juste savoir faire le bon et je t'ai donc poussé à faire le bon.
- Bah là, j'ai envie de partir, c'est mon choix et je suis sûr qu'il est bon.
Je tourne les talons mais Ludmila me retient et se met rapidement en face de moi.
- Écoute, je peux comprendre que cette situation t'affecte beaucoup Mais en réagissant de cette façon, tu t'enfonces. Tu te freines toute seul à passer à autre chose alors que tu m'as dit vouloir exactement le contraire.
Face à mon mutisme, elle reprend :
- Si tu ne bouges pas, il ne va jamais rien se produire. Tu ne vas pas te sentir mieux du jour au lendemain comme par pur enchantement. Il faut t'y mettes du tien ou tu pourras rester dans cette état encore un bon bout de temps Et ne me dis pas que tu allais te bouger demain ou après demain, c'est dès maintenant qu'il faut que tu agisses. Il est important pour toi et il le sera toujours, je l'ai bien compris Mais ça fait plus d'une semaine que tu l'attend...soupire t-elle. Il faut que tu réalise maintenant que
Elle laisse sa phrase en suspend, sûrement pour ne pas me blesser.
- Tu peux le dire. C'est fini. Et je sais qu'il faut que je l'accepte. J'aimerai que tout soit plus simple à digérer, crois moi mais Je n'arrive pas à Aller de l'avant. Pas encore. Je crois. Je crois que j'ai besoin de tout recommencer. soufflé je. J'ai juste peur
- De quoi? sourit ma sur, conciliante.
- Du changement. J'avais pris mes marques, on s'était fiancé et regarde où on en est J'ai l'impression de devoir repartir de zéro. Alors que je n'en ai pas envie. Je veux juste le retrouver. Ça fait totalement idiot et puéril mais J'ai besoin de sa présence.
Des larmes menacent encore de perler sur mes joues. Ces derniers temps, je suis vraiment mal luné et je crois que ça joue beaucoup sur ma sensibilité. Ludmila se mort la lèvre en le remarquant et me prend dans ses bras.
- Je te jure que si je le vois, il en prendra pour son grade de t'avoir mis dans des états pareille...chuchote t-elle à mon oreille.
Je ne peux m'empêcher de sourire, en reniflant peu élégamment. Elle me tend un mouchoir en se détachant de moi.
- Seulement, je n'ai rien fait pour le retenir, alors je suis autant fautive que lui Alors non, tu ne feras rien du tout si tu l'aperçoit. Je sais même pas pourquoi je continue de me mettre dans cette état, c'est n'importe quoi.
- Tu es juste un peu perdue. Et tu as le même problème que ton père ; tu t'accroches trop au passé. Il faut juste que tu reprennes tes marques et Tout ira mieux. Accepte de laisser ce qui appartient au passé, concentre toi sur ton futur, tu t'en porteras déjà beaucoup mieux
Je reste silencieuse, méditant sur ce qu'elle vient de dire alors que nous reprenons notre marche dans les allées du magasin. Ludmila voulant essayer des habits, nous passons par les cabines d'essayage. Alors qu'elle se change, je me regarde de haut en bas dans le miroir, songeuse.
Laisser ce qui appartient au passé
J'ai soudain une idée, certes, plutôt folle, mais je pense que ça pourrait m'aider Ludmila ressort, la robe qu'elle trouvait pourtant sublime en main.
- Je ressemble à rien là-dedans. marmonne t-elle en posant le vêtement à l'entrée des cabines. On peut rentrer
Je la suis, tout en m'exclamant :
- Non ! J'ai besoin de refaire ma garde robe
Elle s'arrête net et se tourne lentement vers moi.
- Quoi ?
- Le changement, c'est pour maintenant! déclaré je simplement, pleine d'optimisme, en la prenant par le bras pour la traîner à nouveaux dans les rayons.
Optimisme que j'espère gardé un minimum de temps...
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