Nos Petits Mots (Terminé)

Chapitre 40

Ema,

Ne t'acharne pas, ça ne sert à rien. J'ai besoin de respirer.

Milan

-T'as fait quoi aujourd'hui ? articulé-je en me penchant vers Milan pour essayer de me faire entendre malgré le bruit assourdissant qui sort des enceintes du bar.

-J'étais avec les mecs ce matin et j'ai bossé cet après-midi, répond-t-il sur un ton laconique.

-Comment ça, t'as bossé ?

-Je suis allé au salon et j'ai tatoué une gamine. Ça te pose un problème ?

Je ravale mon agacement pour lui répondre calmement. J'en ai d'ailleurs fait un sport national ces deux dernières semaines. Depuis que Milan est sorti de l'hôpital, je jongle entre sourire crispé et patience feinte. Une longue inspiration s'infiltre dans mes poumons à mesure que je me répète en boucle mon nouveau mantra : reste calme et sois compréhensive.

-Ton cardiologue t'a prescrit un arrêt de travail d'un mois. Tu es sûr que c'est raisonnable de reprendre si tôt ?

-Honnêtement ? Je m'en fous un peu. J'en ai marre de rester à la maison avec mes parents et je me sens en forme.

-D'accord. Mais promets-moi de te ménager.

A peine ai-je terminé ma phrase que son regard froid esquive le mien pour balayer d'un air détaché la salle plongée dans la pénombre. Quand je suis arrivée chez lui ce matin, il avait déjà mis les voiles. Sabine ne savait pas où il avait disparu et malgré mes nombreux messages angoissés, j'ai dû me contenter d'un pauvre « pas dispo aujourd'hui mais tu peux passer au Sick one ce soir si tu veux ». Je ne suis peut-être pas une pro des relations amoureuses mais j'ai quand même connu plus romantique.

J'ai passé la journée à Natur'alliance, en compagnie de Jason et de tous ses copains illuminés. Nathalie a réussi à me convaincre de prendre part à un groupe de parole qui abordait aujourd'hui le thème du deuil. Autant vous dire que je n'ai pas vraiment passé une bonne journée. En me préparant dans la chambre de Jamie ce soir, j'avais la boule au ventre. Depuis deux semaines, je subis un Milan distant et cinglant. Je peine à nous dégoter des moments à deux si bien que notre intimité n'est plus qu'un lointain souvenir. J'essaie de prendre soin de lui mais j'ai tout bonnement l'impression qu'il préfèrerait être partout sauf à mes côtés. Il déjoue les moindres gestes de tendresse que je lui porte, il ne me parle presque plus et tient toutes ses pensées secrètes. J'ai même l'impression qu'il me fait progressivement sortir de sa vie.

Tous les jours, je me bats pour rester avec lui. Tous les matins, j'appose un pansement sur mon cœur meurtri et je placarde un faux sourire sur mes lèvres esseulées. Tous les soirs, je rentre chez Jamie les épaules nouées de tristesse, me sentant plus impuissante que jamais.  

Je voudrais prendre soin de mon petit-ami, parler à cœur ouvert de sa malformation et qu'il reprenne son ancienne vie. J'aimerais qu'il accepte mon aide et qu'il comprenne que j'ai besoin de le dorloter pour le savoir en sécurité. Mais il m'échappe. Tous les jours un peu plus. Et ce soir ne fait pas exception.

Le garçon vient de quitter la table haute à laquelle je suis accoudée et s'enfonce dans la foule qui danse sur le dernier hit de David Guetta. Le bar est bondé, comme tous les samedis soir. Des dizaines de gamines se retournent sur Milan lorsqu'il fend la piste de danse pour rejoindre Sam qui vient d'arriver. Après une rapide accolade, le garçon qui cristallise toutes mes pensées attrape notre ami par le coude et le guide vers le bar, creusant une nouvelle fois le fossé qui nous sépare.