Chapitre 4

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Milan,

Je t'ai dit de partir quand tout ce que je voulais c'est que tu restes. Mais tu n'as pas entendu la petite fille qui hurlait en silence derrière la femme qui faisait semblant d'être forte. Tant pis. Je suppose que je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Mais comment faire autrement quand cette forteresse que j'ai bâtie si solidement prend toute la place ? Tu me manques. Celui que tu étais quand nous étions jeunes me manque.

Ema

Une autre journée. Un nouveau ciel. De nouveaux nuages. Et parfois un peu de soleil. Mais il reste timide, hors de portée derrière l'unique fenêtre de ma chambre. On dirait qu'il ne veut pas vraiment rentrer dans cette petite pièce, comme s'il voulait me prévenir que la tempête n'est pas encore terminée. Je ne peux pas décrocher mes yeux de ses rayons éclatants. Ils semblent porteurs d'espoir mais ce n'est qu'un leurre. Ils s'infiltrent à travers le verre de ma fenêtre uniquement pour accentuer le dégoût que je ressens envers cet endroit.

Je n'en peux plus de cette peinture blanche craquelée au mur, de la poussière sur le haut de l'armoire, des roues de mon lit qui grincent dès qu'un infirmier s'en approche, de cette carafe d'eau toujours à moitié vide, de cette télé débile qui fait défiler tout un tas de connerie sans jamais s'arrêter.

Je n'en peux plus d'être clouée dans ce lit depuis trois jours.

Je n'en peux plus de cette odeur de désinfectant, de ces blouses blanches qui effleurent le sol comme des fantômes, de cette angoisse qui rôde constamment autour de moi, de cette bouffe infecte qu'on me sert tous les jours, des cris qui résonnent parfois la nuit et qui m'étouffent en silence, de ce fauteuil sur lequel je ne peux pas m'asseoir, de cette saloperie de livre que je ne peux même pas atteindre, de ces étirements que le kiné me fait faire tous les matins.

De ces étirements que je ne sens même pas.

De ces étirements qui ne me rappelle que ma paralysie.

De ces étirements qui, au lieu de faire briller un peu d'espoir dans mon esprit, ne font que couler plus de craintes dans mes veines.

Je suis toujours absolument incapable de bouger mes jambes et je commence à avoir profondément peur. Et si je restais coincée toute ma vie dans ce corps de merde qui ne me sert plus à rien ? Je suis incapable de supporter cet emprisonnement. Je veux être libre putain !

-Concentrez-vous Mme Pazzi.

-Sur quoi ? Je ne sens rien.

Mes mots sifflent dans l'air, tranchants comme des couperets. Cet idiot de kiné relève le visage, tentant vainement de sonder mon regard.

-Rien n'est définitif. Il faut vous accrocher au moindre espoir de guérison. Vous êtes la seule à pouvoir vous aider.

-Ouais, ouais, bien sûr. Mais tout ça c'est du baratin de médecin qui se déplace sans aucun problème sur ses deux jambes. Je ne sens rien, putain ! Rien du tout !

Ma colère ne le surprend pas, il doit maintenant avoir l'habitude de mon caractère de merde puisqu'il s'en prend plein la tronche depuis trois jours.

-Mme Pazzi, je vous le répète. Si vous n'essayez pas un minimum de travailler avec moi, je ne pourrais pas vous être utile. Allez, on reprend.

Et le même manège recommence, encore et encore. Il étire, détend puis masse mes jambes pendant des plombes. Le temps ruisselle trop lentement à mon goût, alors je ferme les yeux et je laisse retomber ma tête contre l'oreiller affreusement mou. Les secondes durent des heures. Elles s'arrêtent à mon chevet pour fixer le temps et ne jamais le laisser reprendre sa course folle. Elles perlent dans l'atmosphère pesant de cette matinée de Juin avant de couler lentement, très lentement vers la minute qui les attend sagement.

Nos Petits Mots (Terminé)Where stories live. Discover now