Chapitre 2

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Ema,

Je ne sais absolument pas pourquoi je suis resté ici. Tu dors depuis trois heures maintenant, j'aurais dû m'éclipser et ne jamais revenir. Comme tu l'as fait il y a sept ans. Je ne veux pas replonger, tu n'as aucune idée du mal que tu m'as infligé. Et pourtant, je suis assis comme un idiot sur ce fauteuil inconfortable à ordonner à mes jambes de partir sans jamais réussir à les faire obéir. T'avais pas le droit de revenir tout chambouler. Mais comme d'hab, tu n'en fais qu'à ta tête. Et comme d'hab, je reste.

Milan

Il fait noir autour de moi. Seul le bruit des machines brise le silence angoissant qui m'environne depuis que je me suis retrouvée télescopée dans une réalité qui n'est pas la mienne. L'espace d'une demi-seconde, j'oublie où je suis et ce qui m'est arrivé. Mais ce trou de mémoire n'est qu'un mirage. La réalité me rattrape si violemment que j'aurais préféré rester indéfiniment dans l'ignorance. Plutôt ironique pour une amnésique, vous ne trouvez pas ? 

Mes yeux papillonnent désagréablement dans la pénombre tandis qu'une perfide sensation s'infiltre dans mes veines. Je suffoque. Je commence à me sentir submergée par toutes les catastrophes qui me tombent sur la tête mais il suffit que je l'aperçoive pour que tout parte en fumée. Milan. Recroquevillé sur un vieux fauteuil et manifestement endormi. Il est là. Il est resté avec moi. Plus que de ses mots, je me souviens de la rancœur qui abimait son regard hier soir. Et malgré cela, il est resté auprès de moi. Le poids qui comprimait ma poitrine s'allège instantanément. J'essaie vainement de me tourner vers lui mais mes jambes inertes m'en empêchent. Je me rendors rapidement, me raccrochant aux moindres bribes d'espoir que je peine à récolter.

Un bruit me sort de mes songes. J'ouvre difficilement les yeux, la migraine qui tabasse mon crâne ne me facilitant pas la tâche. Mon regard se pose sur Milan et je me sens déjà un peu plus légère. Je suis un bateau en pleine tempête, je serais capable d'affronter tous les raz-de-marée qui m'attendent tant que je pourrai me raccrocher à mon phare. Je demeure silencieuse quelques minutes, le temps de me nourrir de toute la force que mon meilleur ami a toujours eu en lui.

Ses traits tirés et ses yeux fatigués me font culpabiliser mais j'avais trop besoin de lui ici pour regretter qu'il soit resté. Ses prunelles bleu turquoise sont cachées par ses sourcils froncés et ses mèches noires totalement désordonnées qui retombent négligemment sur son front. Ses lèvres sont pincées et sa main caresse distraitement sa barbe. Quelque chose le tracasse et j'en ai la confirmation lorsque je m'attarde un peu plus sur son visage.

Habituellement, Milan est un mélange de force et de douceur. Il peut se montrer aussi déjanté que réfléchi et je dois bien avouer que si je réussis toujours à sortir indemne de nos conneries, c'est uniquement grâce à lui. Moi, je fonce dans le tas et je gueule avant de réfléchir. Lui, il pose délicatement sa main sur mon bras et prononce toujours les mots qui vont nous sortir du pétrin. Mais aujourd'hui, il semble totalement perdu. Je n'avais jamais vu le doute ternir son assurance et je ne comprends pas ce qui a bien pu nous mener là où nous en sommes. Et dire que mon seul souvenir récent, c'est ce putain de bal du lycée ! Je me concentre pour tenter de trouver le moindre indice qui pourrait expliquer pourquoi mon alter égo se comporte comme un étranger aujourd'hui mais je ne trouve rien. Lors de cette soirée, nous avons ri, nous nous sommes moqués des couples bien niais qui nous entouraient et nous avons fini par squatter le petit parc, les mains pleines d'alcool et de merdes à fumer. Une soirée classique, en somme. Alors qu'est ce qui a bien pu nous arriver pour que mon meilleur ami me rejette aujourd'hui ?

Soudain, Milan relève la tête et son regard bleu lagon me réchauffe instantanément. Cela ne dure qu'une seconde mais je sais que je n'ai pas rêvé. Immédiatement, il se renfrogne et se contente de rouler en boule le papier qu'il tenait dans ses mains pour le lancer dans le bac à l'autre bout de la chambre. Quand la feuille tachée d'encre atterrit dans la poubelle, un petit sourire de satisfaction nait aussi vite qu'il meurt sur ses lèvres.

Nos Petits Mots (Terminé)Where stories live. Discover now