Chapitre 9

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Ema,

Tout à l'heure, le jour s'est levé, comme tous les matins. Mais ce matin, tu es avec moi. Debout. Dehors. Et tu vas mieux. Alors même si je sais que tu souffres de la mort de tes parents, je sais aussi que tu es forte et que tu sauras les rendre fière. Tout à l'heure, le soleil se couchera, comme tous les soirs. Mais moi, je serai là.

Milan

La grande bâtisse de mes parents me fait face, trônant fièrement au milieu du maquis derrière la grande dune. Les vieilles pierres dorées regorgent de secrets qu'elles garderont scellés à tout jamais tandis que la brise continue de se faufiler inlassablement à travers elles. Cette maison construite il y a presque une centaine d'années a su contrer les vents déchainés, les pluies torrentielles et les sécheresses inquiétantes sans jamais plier. J'inspire longuement, tentant vainement de me nourrir de la force que cette demeure dégage.

Milan m'a déposée devant la maison de mon enfance il y a une trentaine de minutes. Depuis, je n'ai pas bougé. Mes pieds n'arrivent pas à fouler la distance qui me sépare de la porte d'entrée et mon regard ne parvient pas à se détourner de tous les souvenirs qui se réveillent dans ma mémoire. La maison de Milan se situe à environ cinq minutes de la mienne, sur la droite. Je me revois petite, en train de sautiller sur cette allée que j'ai empruntée des milliers de fois pour aller rejoindre un petit garçon joufflu au regard rieur qui m'accompagnait dans toutes mes aventures.

Je secoue la tête pour repousser ces images, le vent jouant malicieusement avec mes cheveux emmêlés. Le soleil à son zénith m'inonde de ses rayons les plus chauds et pourtant, je frissonne. Tellement de questions fusent dans mon esprit que mes craintes les plus profondes m'aveuglent. Quand j'atteins le petit porche, je souffle longuement. Je pense une dernière fois à ma mère et à son éternel optimisme, à mon père et à la confiance sans faille dont il m'a toujours gratifiée et j'abaisse la poignée.

L'atmosphère est particulièrement pesante à l'intérieur. J'ai l'impression que le temps s'est figé et l'espace d'une seconde, je suis tentée de fermer les yeux et de me bercer de mensonges. Mais le trou béant qui crible ma poitrine ne me permettra jamais d'oublier ceux que j'ai perdus. J'avance doucement dans le couloir de l'entrée puis je pénètre dans le salon. Depuis que je suis réveillée, on me rabâche sans cesse que je suis une adulte, que ma vie n'est plus celle dont je me souviens mais ici, je pourrais croire le contraire. Je pourrais m'asseoir sur le canapé défraichi en cuir marron et attendre que ma mère sorte de la cuisine, une casserole fumante entre les mains. Je pourrais voir mon frère chiper un peu de sauce avec son index en passant devant maman. Je pourrais sentir le parfum boisé de papa flotter autour de lui. Je pourrais reprendre ma vie là où je l'ai laissée.

Un bruit m'arrache un petit cri de surprise. Le vent joue à faire claquer la porte d'entrée, me reconnectant subitement à la réalité. Mon cœur bat d'une drôle de manière. Il ne sait pas s'il doit galoper ou trainer la patte, s'il doit prendre peur ou se montrer confiant dans ce lieu familier. Je décide d'ignorer les souvenirs qui affluent à la vitesse de la lumière pour me concentrer sur le but de ma visite. Trois heures durant, je m'active dans toutes les pièces de la maison. Je fouille chaque meuble, chaque recoin, chaque vêtement. Je progresse tel un robot sans émotion. Je décortique chaque élément que je croise mais je ne trouve absolument rien d'intéressant. La frustration me gagne mais j'essaie de garder mon calme. Les placards, les classeurs et les tiroirs sont désespérément vides. L'ordinateur de mes parents a sans doute été emporté par la police, de même que tous les dossiers dans le bureau de mon père.

En fin d'après-midi, je me rends à l'évidence. Ma fouille intensive n'a absolument rien donné, à part un cœur brisé par les souvenirs heureux de mes parents partis à tout jamais. Je savais qu'il ne serait pas facile de déambuler entre ces murs mais je n'aurais jamais imaginé à quel point. Ce lieu n'est plus qu'un mirage du bonheur que j'ai perdu. J'étouffe ici. Je sors alors dans le jardin pour prendre un peu l'air. Je tombe nez à nez sur mon vélo, abandonné négligemment dans l'herbe. Je revois Milan le chevaucher et me faire grimper dans le panier. Je nous revois riant aux éclats et zigzaguant dans l'allée, mes bras enroulés autour de son cou et mes jambes pendants de chaque côté du guidon. Je peux encore entendre la voix de mon père nous intimant d'arrêter nos bêtises et d'être prudents.

Nos Petits Mots (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant