Chapitre 6

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Ema,

Je viens juste de rentrer chez moi et je ne sais pas quoi faire. Tout ce que tu m'as dit m'a complétement chamboulé. Ton amnésie, ta paralysie... ce n'est pas comme ça que j'imaginais ton retour. Moi je voulais des explications et un nouveau départ mais là... je suis perdu. Pourquoi tout doit toujours être compliqué ?

Milan

L'été est particulièrement généreux cette année. Le soleil nous offre sa meilleure prestation et la chaleur nous enrobe dans son onctuosité bienvenue. A travers la vitre de ma chambre, j'admire ces magnifiques feuilles vertes bien accrochées aux branches de cet arbre si majestueux voleter au rythme de la petite brise qui se faufile entre elles. Je crève d'envie de pouvoir sortir de cette chambre et de m'allonger dans l'herbe pour profiter de tous les petits bonheurs dont recèle cette saison. Mais il hors de question que je pose mon cul dans ce foutu fauteuil roulant ! Je préfère encore rester enfermée ici, à l'abri de tous ces regards qui ne manqueront pas de dégouliner de pitié.

En attendant, je continue de m'évader en écoutant la musique de Milan. Depuis cinq jours, je passe mes journées le nez collé à la vitre de ma chambre et les mains enroulées autour de l'ipod de mon ami. Je dévisage chacun des éclats de soleil que je savoure, chacun des sourires que je croise, chacun de ces parfums estivaux qui contentent tous mes sens. Bizarrement, tout me paraît beaucoup plus vivant depuis que Milan et moi avons fait la paix. Rien n'est résolu bien sûr, mais il a compris la raison de mon comportement et il semble avoir accepté l'idée que les réponses à ses questions arriveront plus tard. Peut-être. Alors en attendant que mon satané cerveau se décide à arrêter de jouer au con, il passe toutes ses fins de journée avec moi.

En cinq jours, j'ai eu l'occasion de découvrir ce nouveau Milan. Il ressemble énormément à celui de mon enfance mais il a beaucoup changé. Ou devrais-je dire, il a beaucoup évolué. Milan a toujours été mon roc, celui qui ne cille pas et attend tranquillement que je termine de brasser de l'air pour prendre ma main et me guider sagement vers la maison. Mais aujourd'hui, il s'affirme plus. Il mène sa vie fièrement sans même s'en rendre compte et je l'admire pour ça. Il dit ce qu'il pense. Il vit comme il l'entend. Et l'honnêteté de chacun de ses gestes me ramène inlassablement à mes mensonges. A tout ce que je ne serai jamais capable de faire voler en éclats parce que celle qui se cache derrière n'a aucune valeur. Alors je me contente de l'écouter, de le chambrer un peu et d'être fière de lui. En secret bien sûr.

Tous les soirs, quand il entre dans ma chambre, je vois bien cette furtive lueur de ressentiment qui trouble encore son regard. Il m'en veut toujours et je n'ai aucun moyen de lui donner ce qu'il attend. Tous les soirs, quand il entre dans ma chambre, mon sourire est aussi grand que la tristesse qu'il dissimule. Et j'ose croire que c'est ce qui atténue les profondeurs sombres de son lagon turquoise. Mais tous les soirs, quand il entre dans ma chambre, je comprends que quelque chose d'enfoui entache sa joie de vivre. Et malgré mes nombreuses tentatives, il se débrouille toujours pour bafouiller que tout va bien et changer immédiatement de sujet.

Ses visites sont une véritable bouffée d'oxygène. Elles me coupent de la réalité l'espace d'une heure ou deux et quelques fois, je parviens même à oublier ces foutus jambes qui ne veulent plus me porter nulle part. Mais son regard triste me ramène inlassablement à sa réalité. Celle que je ne partage plus. Dont je ne connais plus rien. Et tous les soirs quand il part, je me maudis d'avoir un jour choisi de quitter sa vie. Sérieusement, qu'a-t-il bien pu se passer pour que je mette les voiles ?

Quelqu'un frappe à la porte et m'extirpe de mes pensées. Je me redresse légèrement, mes jambes capricieuses ne me laissant pas d'autre choix que d'être inlassablement allongée dans ce lit. Un petit sourire se dessine sur mes lèvres quand je pose les yeux sur mon ami. Il entre doucement dans la chambre en tenant un grand sac de sport noir dans sa main gauche. Il le pose sur la petite table en face de mon lit et me tourne le dos pour l'ouvrir. Son attitude est étrange. Il ne prononce pas le moindre mot mais surtout, il évite mon regard.

Nos Petits Mots (Terminé)Where stories live. Discover now