Chapitre 14

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Em',

J'ai détesté la soirée d'hier. J'ai détesté te voir perdre pied dans ce bar. J'ai détesté avoir l'impression de te perdre un peu moi aussi. Ne t'inflige plus tout ce mal, s'il te plait. Parce qu'en te faisant du mal, tu m'en fais aussi. Et on mérite tous les deux beaucoup mieux que ça.

Milan

Il y a les jours avec et les jours sans. Les jours où je me réveille avec l'envie de croquer la vie à pleine dents et ceux où je ne sens qu'un poids mort logé au creux de mon ventre. Les jours où mon sourire illumine à lui seul le soleil et les jours où mes ombres me submergent violemment.

Et puis il y a les jours comme aujourd'hui.

Les jours où je voudrais tout simplement me rendormir.

Aujourd'hui, j'entends des rires dehors, en bas, au loin, mais je ne ris pas. Je me contente d'agripper cette saleté de cuvette en attendant que les spasmes de mon estomac se calment. J'ai franchement merdé hier. Mais j'ai beau grogner, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Une nouvelle vague soulève mon pauvre estomac en panique et je replonge la tête la première dans les toilettes.

Après être restée pratiquement une demi-heure assise à même le sol pour être sûre que les symptômes post-cuite aient disparu, je m'accorde une douche et je descends rejoindre le brouhaha qui s'accentue à mesure que j'approche du jardin. Putain, j'ai déjà mal au crâne. Je récupère mes lunettes de soleil et j'ouvre la baie vitrée. Je me fige une seconde en apercevant Laura, assise à côté de Milan. Lorsque je m'affale sur une chaise de jardin, mes amis ne se privent pas pour se moquer de ma tronche. Je les comprends, je ressemble vraiment à rien ce matin. Seul Milan reste silencieux mais il n'en scrute pas moins les moindres traits de mon visage pour s'assurer que je vais bien. Ne t'en fais pas, seul mon amour propre en a pris un sacré coup. 

-Ca y est, tu as enfin émergé ? m'interroge Jamie avec un faux sourire innocent greffé aux lèvres.

-File moi un verre de jus d'orange au lieu de te foutre de ma gueule.

-Tu préfères pas plutôt commencer tout de suite par un shooter ? lance Nico.

-T'en fais pas bébé, même avec cette tête affreuse tu pourras toujours frapper à ma porte, me taquine Sam.

Je les ignore religieusement en avalant une première gorgée de jus frais. Comment ai-je pu me laisser déborder de la sorte hier ? J'en ai même oublié mes deux règles d'or : ne pas faire de mélange et boire de l'eau de temps en temps. Si je suis totalement honnête, je dois admettre que le fait de voir Laura m'a mise sens dessus dessous. Et la retrouver ici ce matin, entourée de tous mes amis, assise à côté du seul ami auquel je ne veux pas qu'elle touche ne m'aide pas à me remettre de ma gueule de bois. Derrière les verres sans tain de mes lunettes de soleil, je m'autorise à l'observer discrètement.

Elle n'a pas franchement l'air d'être à l'aise. Elle garde la tête baissée, le regard rivé sur ses doigts qui jouent nerveusement avec une serviette en papier. Milan n'est pas non plus au mieux de sa forme. Son visage est fermé, soucieux, fatigué. Laura semble également épuisée, comme si la peine qu'elle endure l'écrasait de tout son poids. Même si je ne la porte pas dans mon cœur, je ne peux m'empêcher d'avoir de la peine pour elle. Elle relève brièvement la tête et nos regards se croisent une seconde. Une seconde pendant laquelle le temps s'arrête et rembobine tout ce que je croyais ressentir envers elle. Elle se suspend et tout ce qui nous entoure se confond dans une brume opaque. Je m'agrippe à cette seconde pour lui murmurer « je ne voulais pas que ça se passe comme ça ». Laura l'attrape et son sourire triste me répond « moi non plus ». Elle s'évapore aussi vite qu'elle est arrivée, nous laissant seules, chacune à l'extrémité d'un abîme qui nous séparera sans doute toujours. Mais bizarrement, je me sens maintenant un peu moins mal.

Nos Petits Mots (Terminé)Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ