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[musique en média]



    Torpide – adjectif

sens 1 — Relatif à un état d'abattement ou de somnolence.

sens 2 — Lié à une blessure dont l'évolution est stagnante.


    Voilà comment se résumait ma situation. Je ne bougeais plus. Je ne faisais plus rien. Je restais seulement enfermée, ne parlant à personne, oubliant tout autour de moi. Parfois, la police appelait – c'était toujours le même agent qui voulait me parler, je lui répondais à chaque fois la même chose. Ma sœur entrait doucement dans la pièce sans dire un mot, posait le téléphone à côté de moi sur le rebord de la fenêtre et repartait comme une voleuse. Je faisais patienter mon interlocuteur avant d'attraper l'appareil et de le porter à mon oreille. C'était toujours la même discussion sans intérêt :


— Bonjour Miyu, c'est encore l'agent Ness. Puis-je vous parler ?


    Je ne lui répondais jamais, attendant seulement qu'il me pose son unique question.


— Pouvez-vous me décrire l'assassin de votre ami ? Un détail, une couleur de cheveux, une taille, une voix ?


    Je lui disais mollement que le tueur était dans l'ombre et que, par conséquent, je n'avais pas pu le voir. Il me remerciait alors, puis avant de raccrocher, me précisait de le prévenir, à tout moment, si je me souvenais de quelque chose, n'importe quoi, pour aider à faire avancer l'enquête. Et je laissais tomber le téléphone à mes pieds sans lâcher l'extérieur du regard.


    Mais je me rappelais d'absolument tout après le coup de feu. Je revoyais Catalina en pleurs, les joues trempées, les yeux rouges, les cheveux en bataille, des cris sortant de sa bouche ouverte, elle hurlait sur Louis pour qu'il la lâche. Il la serrait contre lui, lui cachait la vue pour lui éviter cette horreur. Or, Louis aussi était épouvanté par tout ce qu'il se passait. Il ne quittait pas le corps du regard. Tous les deux avaient fini par tomber à genoux, le silence brisé par les gémissements de Catalina. Dès que la détonation avait fait vibrer mes tympans, mes pupilles s'étaient recouvertes d'un voile. La femme qui se qualifiait comme ma mère et son monstrueux demi-frère s'étaient volatilisés. Je m'étais avancée lentement, mettant peut-être une heure à faire quelques mètres, et avais stoppé ma marche devant Liam. Il était allongé dans un lit de neige. Des gouttes de sang, des filets et enfin une flaque entière s'étendaient à ses côtés. Ses membres ne bougeaient plus, son torse était immobile, son visage statufié. Une énorme vague d'effroi m'avait percutée lorsque j'avais rencontré ses yeux. Ils étaient vides, pétrifiés, sans vie. Ce n'était pas Liam. Non, Liam était vif, éblouissant, heureux. Ce n'était pas lui, ce n'était pas lui couché dans ce duvet blanc, ce n'était pas réel.


    Je ne savais quoi ressentir. Mes yeux n'étaient pas humides mais grand ouverts, commençant à s'assécher. Je m'étais effondrée près de lui. Je ne supportais plus de voir son regard abandonné. Car oui, il avait abandonné son corps, sa vie, ses amis, sa famille, tout. Il était parti ailleurs. Son âme nous regardait peut-être en ce moment, à le pleurer, agenouillés dans le froid, les joues rougies et les mains tremblantes. J'avais alors clos ses paupières et, avec les dernières forces qu'il me restaient, avais soulevé son buste pour l'installer délicatement sur mes cuisses. Je l'avais blotti contre moi, le berçais, lui chuchotais que je l'aimais, que c'était un ami incroyable, que je ne l'oublierais jamais. Je lui avais aussi promis que ce serait moi qui irais prévenir sa famille : ses parents, sa sœur, ses petits cousins, ses grands-parents. Je me sentais responsable désormais. À cause de moi, Liam était mort et jamais je ne pourrai réentendre ses paroles sages et timides.


Butterfly | hsWhere stories live. Discover now