L'enterrement

8 2 0
                                    

25 juillet 2017
[Zakaria]

Je jette une poignée de terre sur le minuscule cercueil de mon fils . Le père de Leah fait de même . Ainsi que mes frères après lui et tout ceux qui ont répondu présent à mon appel .
J'ai choisis un prénom pour notre fils , j'espère que Leah ne m'en voudra pas mais je ne voulais pas qu'il soit enterré sans avoir un nom. Il faudra lui faire faire une stèle. Marwa m'a aidé à m'occuper de toutes les démarches et à choisir le cercueil. Quand je suis passée la chercher hier , ma mère m'attendait sur le pas de la porte. Quand elle m'a vu , elle a ouvert ses bras. J'y ai pleuré comme un enfant. Elle m'a laissé faire , ensuite elle m'a rappelé :
_Tu es un homme mon fils . Tu as pris des décisions en tant qu'homme et tu dois aller au bout . Ton enfant n'est plus là, mais la femme qui l'a porté pour toi oui . Tu dois t'occuper d'elle . Il n'y a pas pire épreuve pour une femme .
Je sais qu'elle parle en connaissance de cause , elle a perdu deux enfants . Un pendant la grossesse , l'autre à la naissance .
Nous marchons en silence pour regagner nos voitures . Je suis venu avec mes frères mais je demande au père de Leah :
_Vous allez à l'hôpital ?
_Oui mon garçon.
Sa tristesse se lit sur son visage.
_Je peux vous accompagner ?
_Bien sûr ! Ça fera du bien à Leah .
Je monte avec lui dans sa Citroën. Il m'explique les recommandations du médecin pour la suite . Il me raconte la crise de nerfs de Leah dans la nuit il y a deux jours et il me dit qu'elle ne parle toujours pas , ne mange toujours pas . À chaque fois que je suis allé la voir , elle dormait.
_Les médecins ont dit quelque chose à ce sujet ?
Je me demande si ça peut être lié à une de ces blessures .
_Ils disent que c'est psychologique. Mais déjà qu'elle ne nous parle pas à nous alors à la psychologue ... peut être qu'elle te parlera à toi.
J'ai un gros doute là dessus . J'ai l'impression qu'elle me tient pour responsable, qu'elle m'en veut . Les rares fois où je l'ai vu depuis l'accident, son regard sur moi était remplit de haine.
La voiture roule jusqu'à l'hôpital et on passe sur la route où j'avais abandonné le camion. Il était toujours là quand je suis revenu mais mon entreprise a reçu une amende. Elle sera déduite de mon salaire . Avant que je ne m'en rende compte , la voiture est déjà arrêté sur une place de parking derrière l'hôpital. Nous en sortons et faisons le trajet jusqu'à la chambre de Leah sans un mot. Je ne sais pas pourquoi son père ne parle pas , mais je sais pourquoi moi je ne dis rien , je réfléchis . Je ne sais pas quoi dire à Leah . En fait , j'ai pleins de choses à lui dire , mais je ne sais pas comment le faire, ni par où commencer . Je me dis que j'aurai peut être dû lui acheter quelque chose , des fleurs ou un ourson en peluche . Il me semble que c'est ce qu'on fait , mais je n'ai jamais eu à rendre visite à quelqu'un à l'hôpital . Nous nous retrouvons devant la porte et je me dis que ça serait bien que je lui ramène un chocolat viennois , je sais qu'elle aime ça .
_Je vais lui chercher un chocolat à la cafétéria , allez-y , je vous rejoins .
Et avant qu'il n'est eu le temps de répondre , je m'éclipse .

[Leah]

Mon père me dit que c'était une belle cérémonie , simple mais très émouvante . Il dit aussi qu'il y avait du monde . Je me demande qui etait là.
Ma mère lui dit que j'ai encore refusé le plateau repas et que le médecin parle de sonde d'alimentation. Ils ne comprennent pas que je pourrai manger si je le voulais mais manger c'est vivre , et je n'en n'ai plus envie . Je me sens complètement vidée , inutile , sans but. Je ne ressens plus rien , ni douleur , ni colère , ni tristesse... Même quand papa me regarde avec un air inquiet et qu'il me dit que Zak arrive je ne ressens rien. Mais je suis là quand même , et pourtant tout le monde s'obstine à parler de moi devant moi comme si je n'étais pas là . Ma mère a fait subir un véritable interrogatoire au médecin tout à l'heure. Il disait que j'étais probablement en état de choc , que je ne réalisais pas encore . Qu'en gros , mon cerveau , dans un réflexe de protection avait déconnecté de la réalité. Mais j'étais là, j'entendais et je comprenais . J'aurai pu lui dire que je réalise parfaitement ce qui m'est arrivé , c'est juste que je ne l'accepte pas. Mais je n'ai rien dit et ils ont continuer à m'ignorer tout en parlant de moi .
Ma mère m'a lavée comme si j'étais une enfant . Elle a même changé ma protection hygiénique et je me suis sentie humiliée, mais avec un seul bras c'est compliqué.
J'essaie de penser à l'avenir , j'essaie de l'imaginer mais je ne vois rien comme si ma vie s'était arrêtée. Je revis sans cesse l'accident , ce qu'il s'est passé avant et après. Je revis la douleur du moment où on a aligné mes os brisés. Les derniers instants de ma grossesse , mon fils était dans mon ventre et tout à coup , il n'y était plus . Mon bébé , mon fils , mon enfant. Quand ils l'ont emmené avec eux , ils ont emmené la partie de moi qui est morte avec lui.
La porte de la chambre s'ouvre et Zak entre . Il me regarde timidement , il est beau et je ne ressens toujours rien. Il dépose un gobelet sur la table devant moi :
_Je t'ai pris un chocolat viennois.
Je ne le quitte pas du regard mais ne desserre pas les dents. Il se tient debout au pied du lit , et fait rare : il a l'air mal à l'aise.
_Tu te sens un peu mieux ?
Serieusement ? Je le fixe d'un air dégouté et ma mère le regarde comme s'il avait perdu la tête . Il a l'air encore plus gêné.
_Desolé , ce n'est pas ce que je voulais dire ...
Alors par pitié ne dit rien . C'est ce que j'aimerai lui dire . Mais mes parents décident de nous laisser un peu seuls. Zak acquiesce et je regarde par la fenêtre , détachée.
Il fait beau dehors , sur le parking , un homme sort de sa voiture et va ouvrir la porte arrière d'où descendent deux enfants . Deux petites filles avec de jolies robes à fleurs et des couettes . Elles rient et ont l'air surexcitées . L'une d'elle tient dans sa main un ruban , au bout duquel flotte dans les airs un ballon en forme de cœur bleu . Dessus il est écrit : « It's a boy ! » . Des gens continuent d'être heureux donc . Des enfants naissent alors que le mien repose dans un cercueil six pieds sous terre.

Si tu m'aimesWhere stories live. Discover now