Soixante

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Soixante (1002 mots)

Pdv de Benjamin Pavard

Je l'appelle pour la troisième fois, et comme pour les deux autres tentatives, je tombe sur la boîte vocale. Je lui laisse un deuxième message et décide d'arrêter là. De toute façon, rien ne sert de forcer ; elle est à la maison, elle ignore simplement mes appels. Je le sais très bien, et quelque part je m'étais persuadé que malgré ce qu'elle m'avait dit, elle décrocherait quand même. Ce qui est étrange, c'est qu'aucune sonnerie ne retentit. Elle doit avoir mis en mode avion à cause du stress, et cela m'inquiète pour elle. 

Lucas -Ça va, Ben ? s'inquiète mon meilleur ami.

-Bof... Jade attend un coup de téléphone important. Je tombe sur son répondeur et j'ai peur qu'elle ai mis en mode avion pour ne pas avoir à être déçue si son téléphone ne sonne pas.

Lucas -Tu sais, Jade traverse une période difficile. La seule chose qui peut l'aider c'est qu'on essaie de la comprendre, peu importe ce que nous aurions fait à sa place.

Je hoche la tête, voyant ce qu'il veut dire. Si on lit entre les lignes, cela signifie laisse tomber et attends un coup de fil de SA part. Je connais son caractère et si elle a décidé de ne pas répondre, Lucas a raison, je devrai prendre mon mal en patience.

Pdv de Jade

Je décroche, satisfaite de ce que je viens d'entendre. J'ai bien vu les appels de Benjamin, mais je ne pouvais pas décrocher. J'écoute ses deux messages. Le premier est assez long, le deuxième plus bref.

Jade, je sais qu'aujourd'hui te stresse particulièrement. Hier tu avais l'air dans un sale état, même si je n'ai rien dit. Je m'inquiète pour toi. Rappelle-moi quand tu peux. Je t'aime.

Je souris. L'annonce d'une bonne nouvelle s'enchaîne avec un message doux de mon Benou. J'ai comme l'impression qu'une brique de ciment s'était posée sur mon cœur, et qu'elle vient de disparaître. Mais en écoutant le deuxième message, quelque chose me chiffonne.

Jade, j'en ai marre de ne pas avoir de réponse.

Il souffle, comme désespéré. Je sens qu'il se force à ne pas dire quelque chose qu'il puisse regretter.

S'il te plaît rappelle-moi.

Son ton est épuisé et froid. Je regrette qu'il ne connaisse pas la situation ici.

Je me pose sur le canapé, allume la télé et va dans la cuisine pour me préparer des pâtes carbonara comme je les aime.

Au bout d'une heure, j'ai mangé toute la quantité de pâtes - soit 750 grammes sans compter l'accompagnement - avec un appétit d'ogre. Mon corps veut certainement rattraper les kilos perdus ces dernières semaines parce qu'avant je mangeais beaucoup, même énormément. Il faut dire que je faisais du sport assez souvent, ce qui me poussait à manger de grandes quantités.

Je rappelle mon Ben pour lui annoncer la grande nouvelle.

Benjamin -Jade ?

-Ben ! dis-je très enjouée.

Benjamin -T'es de meilleure humeur toi, on dirait. Ça me fait chaud au cœur.

-Oui, et puis il t'en faut de la chaleur au cœur, parce qu'à Munich il en manque !

J'entends son rire discret à l'autre bout de la ligne, et je ne peux que m'imaginer son sourire embellir les traits de son joli visage.

Benjamin -Je vois que madame est en grande forme.

-Demande-moi pourquoi.

Benjamin -Pourquoiii ? demanda-t-il avec l'intonation d'un enfant de six ans.

-Tu sais, il y a quelques semaines, j'avais posté des affiches pour trouver un emploi dans plusieurs commerces. Je ne lui laissais pas le temps de répondre ; c'était juste un rappel. À la boulangerie où je vais d'habitude, j'ai vu que quelqu'un avait retiré mon affiche pour mettre la sienne. J'étais outrée jusqu'à ce que je voie le panneau. C'était une recherche de coach pour l'équipe de foot d'un club qui rassemble plusieurs écoles du coin, ils sont actuellement en division quatre. Ce sont des amateurs, quoi.

Je mis un temps d'arrêt pour enfin respirer. J'avais déboulé ça très vite et sans m'arrêter. Ben en profite pour me couper.

Benjamin -Tu ne m'en as pas parlé, remarque-t-il, légèrement contrarié.

-En effet. Je devais être bien trop occupée à déprimer et à te casser les pieds en râlant...

Comme pour ne pas me contredire, car j'avais sûrement raison, il ne dit rien, me laissant continuer.

-Quand tu m'as appelé j'étais en ligne avec un homme nommé Jean-Pierre. C'est l'ancien entraîneur de l'équipe et comme il veut partir à la retraite, mais que personne ne veut qu'il parte, il se charge lui-même du remplacement. On a promis au remplaçant un petit bénéfice - entre cent et cent cinquante euros la semaine selon les horaires -, pas de quoi vivre, mais assez pour arrondir les fins de mois difficiles.

Benjamin -Tu avais postulé, j'imagine ? questionne-t-il, curieux d'en apprendre davantage.

-Évidemment. Même si c'est un job qui rapporte très peu, je voulais aussi, pour une fois dans ma vie, faire quelque chose que j'aime.

Benjamin -C'est logique, répondit-il presque indifférent à ce que je lui raconte. Je sens une point d'agacement que je ne comprends pas très bien.

-Ben, est-ce que tu m'en veux pour quelque chose là ?

Benjamin -J'aurais quand même aimé le savoir ! Ce qui nous lie le plus c'est notre passion commune pour le foot et le sport de manière plus générale. Les vieilles musiques aussi, mais ce que je veux dire c'est qu'au lieu d'avoir râlé, tu aurais pu me parler de ça plutôt !

-Je ne pensais pas être prise. D'abord parce que cette affiche datait, selon les dires de la caissière, mais aussi parce que j'ai été trois semaines sans nouvelles et qu'une femme dans ce milieu ce n'est pas toujours bien accueuilli. J'ai abandonné cette idée et ça m'est sorti de la tête. Je suis désolée, tu as raison. J'aurais dû t'en parler.

Benjamin -Ce n'est rien, je suis content pour toi.

Il sourit derrière son écran, et elle fait de même. Tous deux savent que l'autre est heureux et cela redonne du baume au cœur à ces deux amoureux. 

Cheveux bouclésWhere stories live. Discover now