Un

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Un (1132 mots)

Pdv de Jade

Je me regarde dans la glace. Il ne faut vraiment pas que quelqu'un me voie dans cet état-là, surtout pas Lola, sinon ça va lui briser le cœur. J'essuie mes joues pour effacer de vilaines larmes, avant de me brosser difficilement mes cheveux. Ils ne sont pas très longs, ils m'arrivent au bas des épaules, et je ne regrette absolument pas mes cheveux longs. Des larmes me montent aux yeux en voyant ma bague. 

Bon ça suffit de souffrir.

Comme par réflexe, j'appelle ma meilleure amie.

Lola -Bonjour, ça va mieux Jaja ? dit-elle avec une voix mielleuse.

Je soupire, et regrette tout de suite mon geste impulsif. Je me frotte le visage avec de l'eau et relève la tête vers mon téléphone avant de pousser un second soupir. De toute manière, elle ne m'entend et ne me voit pas ; c'est mieux ainsi. 

-C'est pas la joie, avouai-je.

Lola -T'inquiète pas, je me doute. C'était pareil aussi quand j'ai-

-Perdu ma mère, je sais.

Je suis pas cool avec elle, mais si vous saviez le nombre de fois qu'elle le répète, c'est épuisant à la longue. 

Lola -Je sais que t'as pas besoin de mon discours, mais c'est important pour moi comme pour toi. On a la même peine toutes les deux.

-Sauf que toi, ta mère c'était une putain et une toxico complètement malade dont t'avais rien à foutre.

Lola -C'est vrai, mais ça reste ma mère.

-Tu sais, mon papy... Je retenais un sanglot au fond de ma gorge. Je l'aime, papy Gérard.

Lola -Je sais, dit-elle doucement. Mais tu sais qu'il t'aimait et t'as passé de bons moments, de superbes vacances avec lui. Tu n'as aucun regret à avoir. Moi je regrette de pas avoir passé plus de temps avec elle , c'était quand même ma mère et puis, après tout, elle m'aimait, même si elle ne me le disait pas souvent. Enfin, jamais. 

-Ça a dû être dur, réalisai-je après avoir entendu une énième fois son histoire - mais avec du vécu cette fois.

Lola -En effet. Enfin bref, on est pas là pour entendre mon 45 tours sur le suicide de ma mère, comme tu l'appelles, n'est-ce pas ? plaisanta-t-elle.

-C'est vrai, Lolo.

Elle prit un ton sévère.

Lola -Arrête de m'appeler comme ça, dit-elle en élevant la voix.

-Tu sais très bien que c'est impossible, ça fait bientôt 5 ans que ça dure, pouffai-je. Dans ce cas, tu sais ce que t'as à faire de ton côté...

Lola -Mais je peux pas arrêter de t'appeler Jaja, c'est ton surnom !

-Peut-être bien, mais je ne l'aime pas.

Lola -Roh, ce que t'es difficile.

-Je te signalerai quand même que tu n'acceptes pas ton surnom non plus, madame.

Lola -Oui mais toi il n'est pas utilisé comme un caractère sexuel, dit-elle avec dégoût.

J'éclate de rire, cela faisait des années qu'on avait le même débat et qu'elle sortait toujours cette même phrase. Comme si elle n'en avait pas l'habitude. On est les reines des blagues beaufs, on traîne trop avec des groupes de mecs, je crois. On parle encore un peu avant que j'aille à la douche. Elle me tue cette fille. Je me fais plus d'abdos quand je ris avec elle que quand je vais à la salle ; j'exagère à peine.

Je vais à la douche en mettant la musique trop fort, mais j'en ai un peu rien à faire. Mes voisins font des fêtes tous les quatre matins, alors c'est pas eux qui vont toquer à ma porte pour râler, hein. Sinon, moi je ne vais pas me gêner de le leur faire remarquer.
Je chante mes chansons favorites, comme d'hab'. Lola déteste ma voix, et elle a raison quand elle dit que je chante mal. Elle dit toujours qu'elle préfère me voir jouer au foot et faire du sport. Entre nous, moi aussi je préfère ça.

Il y a un an, cette folle qu'est ma meilleure amie a posté sur mes réseaux sociaux une vidéo où j'ai fait un move (= un mouvement) de foot super dur, et ça avait bien cartonné. Depuis, j'ai posté pas mal de vidéos de sport. C'est toujours les mêmes qui commentent et likent mes photos. Mais j'aime bien, j'ai l'impression d'exister pour quelqu'un d'autre que Lola.

Avant, j'existais aussi aux yeux mon grand-père, avant que papy Gérard quitte ce monde pour passer de l'autre côté de la barrière infranchissable. Je lui ai dit un jour que j'aimais bien les bagues. Des années plus tard, sur son testament, alors que j'étais âgée de seulement 15 ans, il m'avait laissé la première bague qu'il avait offerte à ma grand-mère. Elle était morte bien avant ma naissance, d'un cancer à cause de la cigarette. Ça m'avait vacciné contre cette merde. Quoi qu'il en soit, le geste de mon papy m'avait beaucoup touché. Mes parents, attirés par l'argent - enfin surtout ma mère - avaient essayé à maintes reprises de me l'emprunter. Jamais je ne la leur avais donnée. Ils l'auraient vendu à un bijoutier du coin pour quelques centaines d'euros dans leur cagnotte, déjà remplie d'une somme astronomique. Et c'était la seule chose qui me restait de lui, à proprement parler. La maison ? Vendue. Les meubles ? Vendus. Le reste ? Disparu. Mes parents y avaient vu un tas d'argent quand moi j'y voyais des souvenirs... Bref, c'est triste comme ils sont matérialistes. Surtout ma mère. J'ai tout de suite voulu me rapprocher du nord car mon grand-père lui-même y avait vécu la fin de sa vie. C'est pour ça que j'avais quitté le logement familial à l'aube de mes 18 ans. Le jour même, j'avais annoncé à mes parents que je partais de Paris rejoindre pour Lille, j'avais fait ma valise, signé les papiers et je m'étais barrée. Après tout, j'avais toujours aimé le charme du nord, et en plus, j'y avais une bonne amie d'enfance : Lola. Et puis mon grand-père ne parlait que de cette ville. Ça avait facilité mon choix.

Aujourd'hui, le 15 janvier 2021, j'ai 21 ans, et ça fait 6 ans que mon grand-père avait décidé de retenir son souffle dans son sommeil. 
Chaque année, à cette même date, Lola m'invitait à manger et dormir chez elle, histoire que je ne me sente pas seule. Une sorte de tradition, depuis ce jour où je lui avais envoyé une carte, car elle me manquait. Mais celle-ci était toute mouillée, pleine de larmes car je venais d'apprendre le décès de mon cher papy. Elle a su que ça n'allait pas et ses parents m'avaient invité à venir manger et dormir. Et l'année d'après, rebelote, jusqu'à ce que je vienne vivre ici, il y a presque trois ans maintenant.

Mon téléphone vibra : numéro inconnu . J'hésitais à décrocher, mais le temps que je me décidais, l'interlocuteur le fit à ma place. Mon téléphone cessa de vibrer follement dans mes mains et je me dirigeais vers l'appartement de Lola.

Cheveux bouclésWhere stories live. Discover now