INSOMNIA #1

CHAPITRE 36 | Stan

☾ 𝐒𝐓𝐀𝐍 ☾

Je pense que je peux m'en sortir. Avec elle dans mes bras, je pense que je peux voir un avenir. Cette culpabilité, cette honte, ce profond dégout de moi-même... Ils ne bougeront pas. Ils sont en moi et je mérite de les endurer. Mais cette vision d'espoir que j'ai entrevu lors de notre première rencontre, elle est toujours là. C'est un peu différent aujourd'hui, elle n'est plus la lumière dans mon obscurité. Elle danse avec moi parmi les ombres et elle me fait chavirer vers la clarté. C'est encore mieux, c'est envoutant.

Ce matin, je l'ai laissé dormir dans mon lit. Les insomnies sont le plus souvent due au stress, à l'anxiété et à la dépression. Alors c'est un peu utopique en y réfléchissant, mais dormir avec la bonne personne peut en effet servir de remède. Lorsque je suis avec elle, j'oublie tout. Il suffit qu'elle soit dans la pièce, qu'elle soit dans ma tête, pour que rien d'autre n'ait d'importance. Elle a cet effet sur moi et c'est mieux que n'importe quel cachet que je pourrais avaler pour faire passer le mal que je ressens.

-       Merci, vous pouvez m'attendre ici, j'en ai pour une trentaine de minute. Continuez à faire tourner le compteur, demandé-je à l'intention du chauffeur de taxi.

Le vieil homme aux cheveux grisonnant me fait un signe compréhensif de la tête, et je referme la porte de la voiture en m'éloignant.

J'ai l'impression que le bouquet de tulipes jaunes dans mes mains pèse une tonne. C'est peut-être mon cœur qui est lourd, et je suis en train d'halluciner.

Tous les ans, à la même date, je me retrouve au même endroit. Tous les ans, c'est un supplice. Cette année, j'aimerai que ce soit différent. Je veux me recueillir, réciter quelques mots et respirer correctement. Je ne veux pas retourner en panique dans ma chambre et attraper n'importe quelle substance pour faire passer le moment plus vite.

Cette année, je vais aller sur la tombe d'Anya et ça va m'aider à avancer.

J'inspire longuement en essayant de faire ralentir les battements frénétiques de mon cœur. Le long du sentier en terre, mes pas sont lents. Revivre mes souvenirs en expliquant mon histoire à Skyler m'a profondément secoué. Mais étrangement, un poids s'est levé de ma poitrine. Non seulement elle ne m'a pas fui, mais elle ne m'a ni peinée, ni faite culpabiliser. Pourtant, cet entre-deux est difficile à atteindre pour n'importe qui lorsqu'on lui raconte une histoire de ce calibre.

Vêtu tout de noir, je longe les pierres tombales une à une jusqu'à celle qui renferme toujours le cadavre de mon amie. Lorsque je lève les yeux, un soupir m'échappe. C'est sur Edward que je tombe. Je ne suis pas surpris de le voir ici, mais d'habitude nous parvenons à nous manquer de quelques minutes.

En entendant mes pas, il relève la tête et m'adresse un regard sans vie. Ses yeux sont cernés et des faisceaux ont éclaté sur son globe oculaire ce qui rend impossible de cacher son état. Dans son manteau long, il tente toujours de se faire passer pour ce fils de grande famille que je sais qu'il n'est pas. En apprenant qu'il prenait des pots-de-vin de la part des frères de Skyler afin de la surveiller, j'ai enfin pu conclure sur la mystérieuse famille d'Edward. Je me souviens encore des derniers mots prononcés par Anya avant que nous montions sur la moto : « Edward est un menteur, et il n'y a rien de plus douloureux que de se rendre compte qu'on est tombé amoureux d'un mensonge ». Toute cette journée est restée gravé au millimètre dans mon esprit. Pour le meilleur, comme pour le pire. Les raisons pour lesquels il a menti reste encore inconnues, mais il y a un temps pour tout, et celui-ci n'est pas à la curiosité. Il est au deuil.

Je me racle la gorge, ne sachant pas réellement quoi dire. La dernière fois que l'on s'est vu, j'ai lâché des sales mots à son oreille dans le but de défendre Skyler. Mais après tout ce qu'il s'est passé, je ne sais plus si je le hais toujours. Au début, c'était plus facile. Être le seul responsable de ce malheur était trop dur à supporter. Alors, je l'ai pris lui aussi comme coupable. S'il ne s'était pas disputé avec Anya ce soir-là, s'il ne lui avait pas craché ses insultes au visage, alors elle n'aurait pas eu le désir de tout oublier, de faire descendre la pression en conduisant la moto de mon père illégalement. Oui, c'était plus facile qu'il soit coupable avec moi.