Prologue

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Alors que le soleil déclinait vers l'horizon, accompagné de ses rayons orangés, une vague de couleur froide couvrait peu à peu le ciel. Lentement. Doucement. Une légère brise venait déshabiller les arbres dansants. Les feuilles jaunies se détachaient de leurs branches, portées par le souffle du vent. Elles venaient tacher l'azur foncé ; se balançaient en avant, en arrière, se stabilisaient. Cet équilibre se rompait au contact du sol. La terre s'en retrouvait couverte depuis le début de la saison.


L'automne. Ce passage entre la chaleur de l'été et les frimas de l'hiver ; quand le chant matinal des oiseaux laisse place au silence. L'obscurité précoce de bleu cobalt semble absorber la lune, l'intense vert des paysages évolue peu à peu vers le jaune, qui se fonce à mesure que la fin d'année se rapproche. Sous un roux vieillissant, la nature décline. Les fleurs fanent, les brins d'herbe se flétrissent, et l'hiver signe la fin de leur vie. Mais, bientôt, les terres brunâtres se recoloreront de jeunes bourgeons, que le printemps viendra faire renaître.


Seulement, à cet endroit, le printemps n'était pas venu. Derrière un muret de pierre, une lourde atmosphère régnait. Le silence pesait. Quelques soupirs, mouvements nerveux, raclements de gorges témoignaient de l'effort maintenu depuis le début de la cérémonie. Tel était le deuil d'un inconnu.


Le glas retentit, rappelant à la présence humaine l'endroit où ils se trouvaient. Pas plus d'une dizaine de personnes était rassemblée, toutes vêtues de noir. Leurs visages étaient empreints de dureté. Pourtant, certains se montraient décontractés et s'échangeaient des regards distraits. Ils sacrifiaient à la situation, d'une manière qui leur était propre. Tous, cependant, se taisaient. C'était la limite à ne pas franchir lors d'un enterrement.


Se démarquant du manque de respect de ses collègues, un homme plus imposant encore tentait de rester impassible ; il ne pouvait dissimuler sa triste frustration. Celle-ci se transformait en une inquiétude impuissante, lorsque ses yeux glissaient vers deux personnes à sa droite. Un adolescent et une femme, la mère et son fils. Ils baissaient simplement la tête, cachant sûrement leur tristesse derrière un voile de dureté.


Un homme âgé en robe blanche amena l'attention sur lui, à l'avant du groupe. Il tenait une croix contre sa poitrine et un livre entre ses doigts. Ses rides s'animèrent lentement et ses lèvres remuèrent. Tous levèrent la tête. Il articula nombre de mots sur le chagrin de la famille, sur la douleur éternelle de son deuil, et sur la consolation qu'elle trouverait au ciel ; puis sa mâchoire se rabattit. Il souda index et majeur et les fit glisser d'un geste solennel. Il effleura son front, descendit vers le milieu de sa poitrine, remonta vers l'épaule gauche puis acheva son geste en atteignant celle de droite. Ses mains se rejoignirent, ses paupières se fermèrent et un dernier mot fut prononcé. « Amen. »


L'atmosphère silencieuse se rompit et les pas se multiplièrent déjà. Le groupe s'éparpilla dans le champ de pierres taillées. Certains ne s'attardaient pas, tandis que d'autres parcouraient brièvement les épitaphes, les yeux dans le vague. Pour tous, il était temps de déposer le costume, de retourner à son quotidien. Sans doute ne portaient-ils aucune empathie pour la tombe sur laquelle ils s'étaient efforcés de se recueillir, quelques secondes plus tôt. Les policiers avaient dû répondre à l'ordre de leur supérieur. L'enterrement signait la descente du rideau, la fin du soutien et de ce cœur imité. Ils n'offraient plus que leurs dos aux corps enterrés.


Quelques voix s'élevèrent. Bruyantes. La cérémonie avait quitté leurs esprits. Deux d'entre eux s'étaient rapprochés, entamant une discussion sur les autres affaires en cours. Une autre se fascinait du paysage crépusculaire, alors que la majestueuse étoile se retrouvait progressivement effacée par l'horizon. L'homme imposant écoutait le prêtre d'une oreille distraite, le regard focalisé sur les proches du défunt. Eux n'avaient pas bougé. Mais, lorsqu'il jeta un dernier coup d'œil vers la famille, il vit la femme tomber à genoux devant la tombe de son mari. Alors, un soupir se mêla dans le vent frais et l'homme les laissa en paix.


Sous l'ombre d'un large tronc, la chaleur déclinait sous les dernières lueurs du soleil. Les pas décroissaient sous le regard plein de reproche de l'adolescent. Mais, par-delà la réprimande, une sorte de compréhension persistait. De la compréhension coupable. Le jeune homme balaya ce sentiment et baissa les yeux vers sa mère. Sa main se posa doucement sur son épaule dans un geste de réconfort. Cette dernière s'était repliée à genoux, le regard figé dans un vide inaccessible. Le contact ne lui fit aucun effet. Pas même un sourcillement. Elle gardait ses deux mains froides entrelacées. De loin, on aurait pu croire à un corps sans vie. Ironique étant donné le lieu où ils se trouvaient. Ici, les vivants pleuraient à la surface et les morts gisaient sous terre.


Le jeune homme resserra son étreinte, espérant faire réagir sa mère. En vain. Le blanc de ses yeux commençaient à se tâcher de rouge. Plus elle regardait le nom sur la pierre, et plus son cœur se comprimait. Elle chassa les larmes qui perlaient d'un battement de cils ;elles roulèrent le long de sa joue. L'adolescent enleva son bras, les yeux plissés pour ne pas pleurer. Son visage se crispa en lutte à la colère ; et se relâcha d'un coup, faisant taire ses reproches. Ses genoux rejoignirent la terre. Son bras colla le dos de sa mère et le caressa, au rythme de sa propre respiration. Il posa ses doigts sur les siens. La femme tourna la tête et afficha un visage rougi par les larmes, un regard plein d'excuses et de culpabilité. Le jeune homme se montra aussi bienveillant qu'il le pouvait. Et, avant qu'il ne craque, l'amena contre lui. Elle leva brièvement ses paupières, témoignant de sa surprise. Puis son visage vint se blottir contre l'épaule de son fils et son corps se secoua. Il ne fallut qu'un instant pour que ses sanglots résonnent dans un écho apitoyant.


Sous l'ombre du grand tronc, une femme pleurait la mort de son mari. Ses larmes s'écrasaient sur les brins d'herbes, tandis que l'adolescent fixait la stèle, le visage assombri. Il y avait de la tristesse, de la douleur mais surtout de la rancune. Cette rage resserra ses poings et le nom gravé résonna dans son esprit.


«Blaze Brotherhood »

Sorciers, T1 : Le fils du corbeauTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang