Sorciers, T1 : Le fils du corbeau

6. Déséquilibre

La musique pulsait contre ses tympans. Chacune des chansons camouflait le bruit du vent et des premiers moteurs. Ses baskets piétinaient les pavés tapissés de feuilles mortes. Le vent venait caresser son visage épanoui. Cette journée allait être belle. Très belle. Il le sentait.

Liam s'arrêta devant le passage clouté. Tandis qu'un bâillement lui échappait, son regard s'attarda sur l'autre côté de la rue. Mais sa bouche ne tarda pas à se refermer. Au bout des lignes blanches, un homme encapuchonné de noir faisait tache au milieu du décor. Un long et large manteau enveloppait son corps et ondulait lorsqu'une voiture passait. Ravalant son inquiétude, Liam se demandait s'il pouvait vraiment voir quelque chose avec ce capuchon qui dissimulait tout son visage, à l'exception de son menton carré. Son style vestimentaire l'interpellait. Il était comme sorti d'une autre époque.

Le petit bonhomme vert s'illumina et l'homme s'engagea sur le passage piéton. Le lycéen l'imita, se répétant de ne pas juger le style des autres. Peut-être était-il juste étranger et cette mode était signe de luxe dans son pays. Il approuva ses pensées d'un hochement de tête. Oui, quelque chose comme ça.

Le mystérieux individu avançait à pas décidés. Arrivé près du lycéen, il heurta son épaule. Le garçon recula d'un pas à cause du choc, ses pupilles glissèrent vers l'étrange personnage et il arqua un sourcil. Il remarqua que les lèvres de l'homme remuèrent, il s'empressa de retirer un écouteur. Mais quand ce fut fait, l'obscur manteau de l'inconnu vola sous un élan soudain. Le garçon ralentit tout de même le pas et se tourna, perplexe.

- Excusez-moi, j'ai pas entendu ce que vous...

Disparu. Plus aucune trace de l'étranger et de son accoutrement louche. Liam termina son chemin jusqu'au trottoir, le regard vers l'arrière. Où était parti l'homme ? Et comment avait-il pu disparaître si vite ? Il resta immobile pendant plusieurs minutes, n'arrivant pas à trouver d'explications à ce qui venait de se passer. Mais, un klaxon le ramena finalement à lui. Son bus. Liam se hâta jusqu'à l'arrêt et soupira en regardant les portes automatiques s'ouvrir. Cette conductrice allait vraiment le détester un jour.

*

Le paysage défilait sous ses yeux. L'adolescent repensait à l'étrange homme. Il avait dû s'excuser, tout simplement. En même temps, il avait une sacrée force. Le garçon se malaxa douloureusement l'os, en balayant rapidement son entourage du regard. Le capé était parti très vite, aussi. Un rictus apparut sur son visage. C'était lui que madame Guillet devrait recruter dans son club d'athlétisme.

Son sourire diminua lentement. Tout semblait normal. Les éclats matinaux étaient lumineux, la conductrice l'avait fusillé du regard, le véhicule comptait une dizaine de passagers. Comme d'habitude. Pourtant, Liam ne se sentait pas à son aise. Il regarda furtivement autour de lui. Un binôme discutait tranquillement, se racontait leur début de matinée. La plupart observaient le paysage ou avaient le nez sur leur téléphone. Le lycéen se réinstalla correctement sur son siège. Ce n'était qu'une mauvaise impression. Il ferma les paupières, tenté par une sieste. Mais son sentiment de malaise persistait. Une présence. Un regard braqué sur lui. Un souffle à proximité.

Liam ouvrit grand les yeux. Ses iris balayèrent de nouveau les passagers du bus. Personne n'avait bougé, chacun concentré sur son occupation. La respiration du garçon se calma, mais son cœur battait la chamade. Cette impression d'être observé... Il se sentait nauséeux. Le lycée était l'arrêt suivant. L'adolescent serra ses genoux d'une étreinte moite et incertaine. Son dos était tendu. Sa poitrine se soulevait lourdement, au même rythme que ses narines. Il avala bruyamment sa salive, observa l'extérieur. Un regard était posé sur lui, ne le quittait pas une seule seconde ;il en était certain. De l'air se coinça dans sa gorge ; Liam se leva brusquement et rejoignit les portes les plus proches. Secousse ; il sauta les marches, passa les portes et prit une énorme bouffée d'oxygène.