Enfance au manoir Hidalf (Writober 2021, spécial Mathieu Hidalf)

18 : Ennui mortel

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Mathieu étant un enfant plus qu'imaginatif, son entourage considérait depuis déjà quelques années que rien ne pouvait vraiment ennuyer le garçon. Et que quand bien même, cela pouvait arriver, Mathieu serait prompt à occuper son esprit à quelque projet qui ferait hurler son père de colère au moment de sa réalisation.

Mais depuis la première visite de Marie-Marie dans la maisonnée, plus rien ne semblait totalement intéresser l'enfant. L'ennui avait toujours été une option abstraite pour lui, et à présent qu'il pensait la vivre à chaque instant, il se demandait s'il n'allait pas en mourir.

Bien moins dramatique, sa mère tenta de le distraire, invitant Pierre presque chaque jour pour égayer son fils. Si le garçon blond dérida un peu son ami, l'ennui finit pourtant par rendre ces rencontres lassantes.

Ses sœurs tentèrent à leur tour de lui changer les idées, mais rien n'y fit. Rédiger des contrats avec Maître Magimel, se lancer des défis, se battre avec de petites épées en bois, plus rien ne semblait faire réagir Mathieu. Sans être devenu l'ombre de lui-même, il avait l'impression d'avoir perdu toute imagination.

Ce fut son père, pourtant peu imaginatif, qui réussit à trouver la solution.

Un soir, alors que Mathieu était allongé sur son lit, occupé à regarder le plafond de sa chambre avec autant d'ennui qu'un prisonnier qui aurait été dans sa cellule depuis trente ans, M. Hidalf s'assit à côté de son fils, en silence. Le jeune garçon finit par lui demander ce qu'il voulait lui dire.

— Mon garçon, malgré tes frasques et tes bêtises, je préfère encore savoir que tu en fais et que cela te rend heureux, plutôt que de ressembler à un lion fatigué en cage...

— Vous me comparez au Grand Busier ? interrompit l'enfant.

Son père avait parlé avec sa femme du souverain du royaume astrien, qui ne se pliait toujours que de mauvaises grâces aux obligations de son rang, à tel point qu'on ne le voyait presque jamais sourire sincèrement. M. Hidalf l'avait même comparé à un lion épuisé qui tournerait en rond dans sa cage. SI l'homme releva que ses enfants avaient —encore une fois— écouté aux portes, il ne dit pourtant rien à ce sujet.

— Non. Toi, tu es mon fils, mais tu ne seras jamais roi, reprit le père.

— Alors quoi ?

— Je pensais inviter Marie-Marie du Château Boisé d'ici quelques semaines, mais au vu de ton état, je doute qu'elle soit intéressée.

— Quoi ?! s'écria Mathieu.

— Après tout, tu t'ennuies de tout et tu ennuies tout le monde depuis assez longtemps, je suppose qu'elle ne sera pas très enthousiaste de venir, et toi-même tu as besoin d'énergie pour accueillir convenablement cette demoiselle...

— Je vais parfaitement bien père ! rugit l'enfant. J'étais juste fatigué, mais la fatigue se soigne, et je ne suis plus malade de toute façon ! Que pensiez-vous, que j'allais mourir à cause d'une simple fatigue ? Pensiez-vous que j'aurai pu être assez ridicule pour mourir d'ennui ? Vous me décevez, je pensais que vous m'estimiez davantage, j'en suis outré !

— Mon garçon, si tu ne cesse pas de crier, tu seras privé de dessert demain, avertit M. Hidalf en virant au rouge.

— Je devrais porter plainte ! Vous comptez me punir injustement, alors même que nous devons recevoir bientôt une invitée ?

La dispute ne dura pas bien longtemps, puisque le père finit par sortir de la chambre de son fils, claquant la porte avec force et descendant l'escalier de la Tour des Enfants, aussi rouge qu'une tomate. Mme Hidalf l'accueillit au salon avec un sourire complaisant.

— Il a retrouvé toute son énergie ?

— Et plus encore ! souffla M. Hidalf. J'espère que cela ne se reproduira pas la prochaine fois que Marie-Marie viendra au manoir. Je n'ai rien contre elle, mais si Mathieu s'ennuie à chaque fois qu'elle est absente, nous aurions de quoi nous faire du souci !

Sa femme ne répondit pas, mais un léger sourire étirait ses lèvres. Son fils était amoureux, cela ne faisait aucun doute.

Publié le 26 / 06 / 2022