16 : Grands anciens

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559 mots, sur le thème « Grands anciens »



— Mais non, il ne peut pas avoir plus de cent ans ! affirmait Juliette d'Argent.

— Mais il est aussi vieux maintenant qu'il y a trente ans ! s'époumonait Mathieu.

— Ce sont les vignettes qui ont tort, elles ont exagéré son air vieux à l'époque, supposa la grande Juliette.

— De toute façon, il ne peut pas être trop vieux non plus, intervint la petite Juliette d'Airain. Sinon il ne vivra jamais assez longtemps pour nous voir adulte.

— Je suis certain que Maître Magimel vivra toujours !

La dispute qui avait éclaté la veille dans la Tour des Enfants s'était transportée dans le salon principal du manoir Hidalf, et n'avait pour autre question que de savoir l'âge exact du vieux Barjaut Magimel. Bougetou, un énorme chien blanc à quatre têtes aux allures de loups, aboyait avec les quatre enfants. La cacophonie de la dispute devait être audible dans tout le manoir, et il était d'ailleurs très étonnant que M. Hidalf ne se soit pas déjà précipité sur les lieux pour faire taire tout le monde.

À la place, ce fut Maître Magimel en personne qui arriva dans le salon, l'air grave. Lui qui devait annoncer la venue d'une personne pour la soirée au manoir, il se retrouva un bref instant déstabilisé par les éclats de voix de la petite fratrie. Un rire couinant lui échappa pourtant alors que tout son dos courbé tremblait sous le coup de l'amusement. Même si le son n'était que peu audible au milieu des cris, il résonna pourtant dans le salon lorsque les enfants se turent.

Une flopée de questions suivit alors.

— Est-ce que vous étiez vraiment directeur de l'Élite pendant plusieurs décennies ? questionna Mathieu.

— Quand avez-vous commencé à travailler pour notre père ? s'informa la petite Juliette.

— Y a-t-il un portrait de vous dans le manoir, du temps où vous étiez jeune ? interrogea Juliette d'Argent.

Seule Juliette d'Or ne lui posa pas de questions, un peu en retrait. Elle semblait soudain prendre conscience de l'allure âgée de leur professeur préféré, et elle sentit un frisson lui parcourir le dos. Ses paupières s'ouvrirent et se fermèrent plusieurs fois sur ses iris noires pour endiguer le flot de larmes qu'elle craignait de déverser.

— Est-ce que... vous allez mourir ?

Sa voix n'avait pas son ton orgueilleux mais candide qu'elle avait acquis au cours des dernières années. Elle portait la marque d'une peur qu'elle n'aurait su expliquer, mais qui sembla se propager chez le reste de la fratrie. Tous observaient à présent le vieillard avec de grands yeux noirs et inquiets.

Barjaut Magimel aurait voulu leur affirmer qu'il n'était pas prêt à mourir de sitôt, mais il savait également qu'il avait déjà longuement vécu. Et ainsi entouré de la petite fratrie Hidalf, il se disait que s'il devait un jour périr, au moins il aurait transmis son savoir à quatre enfants extraordinaires malgré leur jeune âge.

Mathieu se dit que derrière ses rides et sa barbe blanche, l'ancien avocat était encore un grand homme.

Et les grands hommes ne mourraient pas avant très longtemps. Surtout pas Maître Magimel, qui leur enseignait le droit et la manipulation des termes des contrats, et qui avait l'esprit des Hidalf s'il n'en n'avait pas le sang.

Il était leur ancien, et il vivrait sans doute encore longuement.

Au moins pour rire des malheurs de M. Hidalf avant de lui porter secours, évidemment.





Publié le 27 / 03 / 2022

Enfance au manoir Hidalf (Writober 2021, spécial Mathieu Hidalf)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant