Chapitre 1 | Juliann

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Lycée
Lundi 21 Août
15 : 03

Elle ressemble à une psychopathe tout droit sortie de l'asile psychiatrique. C'est ce que je me dis en contemplant la photo qui est projetée au tableau. Le visage de cette fille me paraît affreusement familier, mais je n'arrive pas à me souvenir... De toute façon, on s'en fiche, non ? J'ai encore du mal à me faire à l'idée d'être là, dans ce lycée à plus de neuf-cent kilomètres de là où est ma maison. Était. En l'espace de quelques semaines, j'ai tout perdu, et me voilà à une réunion de pré-rentrée dans une ville que je ne connais pas avec des profs plus vieux que mes parents. Sauf peut-être la rousse qui n'arrête pas de me regarder.

« Voilà, c'était la dernière classe. Vous en serez le professeur principal, monsieur Ronadone. La TL3 est à vous. »

Je me retiens de soupirer. Bien entendu, puisque je suis professeur de philosophie, il est logique que je sois le PP d'une classe de littéraires. J'adore mon métier, mais là, je ne prends plaisir à rien.

Bien qu'en travaux, le lycée est à moitié délabré. Le principal est luisant de sueur et une odeur âcre de transpiration me donne envie de me jeter par la fenêtre.

Mon téléphone vibre dans ma poche, je sais déjà que c'est elle. Ma jambe commence à trembler sous la table lorsque je lis ses messages.

Cara : Si tu persistes à m'ignorer, je vais finir par débarquer, Juliann !
Cara : Tu ne peux pas te débarrasser de moi comme ça.
Cara : Je manque a Inès, c'est cruel de l'arracher à sa mère.

Mes doigts se crispent autour de mon téléphone. Elle a le don d'utiliser les mots justes pour me mettre en rogne. Sa mère. Je me demande quand est-ce qu'elle s'est octroyée le droit de se considérer comme telle envers ma fille. J'ai besoin d'une clope pour calmer mes nerfs, mais malheureusement, la réunion n'est pas finie.

Le regard de la jeune fille est toujours rivé sur moi. Je la détaille un instant : ses cheveux mi crépus, mi bouclés sont attachés en haut de son crâne et y forment un nid d'oiseau, ses yeux sombres semblent vouloir casser l'objectif, je plains le photographe. Sa peau métisse semble étrangement pâle. Elle fait vachement flipper.

« C'est Ava Kayris. Elle est dans ce lycée depuis trois ans, fait M Bougneau, le principal. Elle est assez particulière, aussi je vous demanderai de ne pas trop la brusquer. C'est une élève brillante, mais elle a vécu un traumatisme qui l'a rendue muette pendant deux ans. Elle vient de retrouver la parole, mais bégaie encore. Elle a besoin d'entraînement pour les oraux du BAC.
—  Est-ce qu'un PAP, PPRE ou PAI a été mis en place pour elle ? demandé-je, sortant de mon mutisme.
— Non, elle n'a pas besoin d'aménagement. Juste besoin de se sentir en sécurité. Elle a été agressée y a quelques années, et elle a un enfant, c'est pour ça que je vous demande d'être indulgent avec elle. »

Merde. Je prendrai le maximum de distance avec elle. Hors de question qu'on me foute encore dans un bourbier.

« Monsieur Ronadone, je compte sur vous pour la mettre à l'aise. Vous avez une licence de psychologie, il me semble. On aimerait que l'équipe pédagogique travaille ensemble pour l'aider à s'épanouir durant cette nouvelle année, je compte sur vous.
— Étant donné la raison pour laquelle j'ai été muté ici, il vaudrait mieux ne pas faire de vagues et me laisser prendre mes distances avec mes élèves, non ? fais-je crispé.
— Non. C'est un nouveau départ pour vous. Vous serez le mieux placé pour l'aider. Aidez-la à s'épanouir dans ce lycée. »

Je retiens mon rire. Les toilettes fuient, certains murs sont moisis et je ne parle même pas de l'odeur d'égouts qui se dégage dans les couloirs. En plus, le lycée se situe à la lisière de la forêt, tout est triste et monotone ici, je vois mal comment elle pourrait s'épanouir. Dans tous les cas, c'est décidé, je ferai le strict minimum pour cette élève. Ce qui me plaisait le plus dans mon métier, c'était le fait de pouvoir venir en aide à ces ados. Du haut de mes vingt-sept ans, j'ai toujours réussi à avoir une proximité avec eux, assez pour qu'ils puissent se confier à moi de sorte à ce que je les aide correctement. Mes bonnes intentions m'ont joué des tours l'année dernière, et il est hors de question que ça se reproduise. Mademoiselle Kayris, loin de moi vous demeurerez.

TEACHME [TOME 1&2]Where stories live. Discover now