Chapitre 5 | Ava

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Chez les Kayris
Mardi 6 Février
18 : 07

Je déambule dans l'entrée de la maison de mes parents comme un fantôme. Drew marche à côté de moi, sa petite main emprisonnée dans la mienne. Ça fait des semaines que j'évite de venir ici de peur de croiser Juliann; je le vois bien assez au lycée; seulement voilà, j'ai laissé mes cours d'histoire dans ma chambre, et je n'ai aucune envie que madame Cabin se jette sur moi et m'humilie comme elle l'a fait en classe tout à l'heure. La garce s'est cependant adoucie lorsque Juliann est entré dans la salle et a demandé à lui parler. Aucun doute, elle a le béguin pour lui. J'ai failli vomir en me demandant s'ils couchaient ensemble.

« Bonjour Ava !  s'exclame ma mère en nous voyant pénétrer dans le salon. Je savais pas que tu viendrais.
— J'ai oublié des affaires, je réponds de manière maussade.
— Tu dors ici ? »

Je hoche la tête. Elle sourit, pause son bouquin sur le canapé, et se lève pour prendre Drew dans ses bras et lui chuchoter des choses qui le font rire, mais que je ne daigne pas écouter. Je me retiens de lever les yeux au ciel, et juge qu'il est peut-être préférable de partir du salon. Ses efforts pour s'approcher de moi ces derniers temps m'agacent. Il est trop tard, maman. Dix-neuf ans trop tard.

« Tu veux manger quelque chose en particulier ? me demande-t-elle lorsque je monte la première marche.
— Non. »

Son visage est empreint d'inquiétude. J'ai conscience de ressembler à un zombie. Je l'ai remarqué à la manière dont tout le monde me dévisage au lycée. Hakim, le prof de hip-hop, semble aussi avoir pitié de moi. La semaine dernière, il m'a même demandé si je me droguais... Je ne dors plus vraiment : mon sommeil est hanté par mes cauchemars et je me réveille en pleine nuit au milieu de mes draps trempés. C'est seulement lorsque j'imagine Juliann être près de moi que j'arrive à m'endormir.

Manger devient difficile car tout a un goût de carton et peu de choses parviennent à rester dans mon estomac.

À mesure que je me dégrade, mon harceleur prend de l'assurance : je reçois des atrocités tous les jours, des phrases que je jurerais avoir entendu il y a quatre ans et demi lorsque Théo m'a enfermé dans la cave de sa maison... Je suis constamment sur les nerfs, constamment en train de regarder par-dessus mon épaule pour anticiper le moment où ce taré compte m'attaquer. Je suis exténuée. Je suis sans défenses et c'est en train de me tuer à petit feu.

Je m'effondre sur mon lit et regarde le plafond comme si j'attendais quelque chose. Une illumination, n'importe quoi. Quelque chose pour me redonner espoir, pour me redonner envie de me battre, mais...

« Ava, ça va ? »

Je me redresse et regarde ma sœur me dévisager. Elle se tient dans l'embrasure de la porte et sa grimace marque son inquiétude. Je hoche la tête comme un robot dans l'espoir que ça suffise à la faire partir, mais ça a l'effet inverse puisqu'elle entre dans la pièce et s'accroupit près de moi. Elle hésite de longues secondes avant de prendre la parole.

« On voit bien que tu vas mal depuis quelques jours. Tu ne ressembles plus à rien, on dirait... J'ai l'impression de retrouver la Ava d'il y a quatre ans. Parle-nous, je t'en supplie.
— On s'inquiète pour toi. »

Je lève vivement la tête pour rencontrer le visage de ma mère. Je ne l'ai même pas entendu arriver. J'ai l'impression d'être cernée, prise dans un guet-apens alors que j'ai besoin d'espace et de solitude. Elles n'ont jamais été là pour moi, même pendant les pires moments, pourquoi commencer aujourd'hui ? Mes mains se referment sur mes draps et les agrippent fort.

TEACHME [PUBLIÉ SUR KINDLE ET AMAZON LES 14 & 21 JUIN]Where stories live. Discover now