Ils avaient quitté l'anneau d'Isengard voilà quatre bonnes heures, traversant à nouveau le Gué de l'Isen pour pénétrer au cœur des vastes plaines rohirrims.
Elenna avançait au côté de son frère, Gandalf et Legolas, qui portait avec lui Gimli. Pippin et Merry voyageaient en compagnie du mage et du descendant d'Isildur alors que les rohirrims et leur roi avançaient au devant.
- J'en ai abattu 43, s'exclama fièrement Gimli.
- Et moi 44, répondit Legolas sur le même ton.
Amusée par l'esprit compétitif de l'elfe et du nain, Elenna se permit d'intervenir.
- J'ai arrêté de compter à 55, les coupa-t-elle.
La fille d'Enetari fit alors face à la mine déconfite du nain d'Erebor et au regard interloqué du fils de Thranduil. Alors elle ne put s'empêcher de rire et Aragorn, qui observait la scène avec un certain amusement, ne put retenir un sourire.
- Comment est-ce possible, rouspéta le nain. Je ne vous crois pas dame Elenna !
- Vous apprendrez à ne jamais sous-estimer une femme, maître nain, l'intervint Gandalf. Surtout une elfe !
Un nouvel éclat de rire se fit entendre auquel se joignirent Aragorn et le mage blanc. L'Istari reporta ensuite son attention sur la brune, l'observant avec attention durant de longues secondes.
- Dites-moi Elenna, vous souvenez-vous de votre passage dans les cavernes de Mandos, lui demanda le mage.
La brune fut surprise par la question de l'istari, et le sourire qui ornait ses lèvres disparut alors qu'elle se souvenait de sa rencontre avec le vala.
- Je m'en souviens parfaitement, murmura la fille d'Enetari.
Les regards de ses compagnons se tournèrent vers elle alors que celui de la brune était rivé sur l'horizon.
- Accepteriez-vous de nous raconter ce qu'il s'y est passé, demanda Gandalf.
Elenna reporta son attention sur le magicien et hésita un instant avant d'acquiescer.
- J'ignorais que je me trouvais dans les cavernes de Mandos quand j'ai repris connaissance, commença l'elfe. Je me suis réveillée dans un endroit sombre, froid et humide. À dire vrai, j'ai d'abord pensé que tout ça n'avait été qu'un rêve, que je n'avais jamais quitté la Terre et que j'avais sans doute été kidnappée par un psychopathe. C'est à ce moment-là qu'il est apparu devant moi...
- Mandos, seigneur des morts, comprit le mage.
- Oui..., acquiesça la brune. Il s'est présenté à moi et j'ai immédiatement pensé que j'étais morte.
Un frisson lui parcourut l'échine. Elle se souvenait parfaitement de sa rencontre avec les valar et du pacte qu'elle avait ensuite passé avec Manwë.
À l'évocation de sa mort, les doigts de Legolas se refermèrent avec plus de fermeté sur les rênes de sa monture alors que le descendant d'Isildur s'était inconsciemment tendu.
- Il m'a expliqué que je n'étais pas morte, ou du moins, pas encore, poursuivit la fille d'Arathorn. Mon âme étant à la fois humaine et elfique, seule ma part mortelle avait quitté Arda, l'autre était toujours dans mon corps, en Lorien. Il m'a ensuite demandé de faire un choix : rester, ce qui signifiait mourir ; ou revenir et choisir de ce fait l'immortalité des Eldar.
- C'est stupide, qui choisirait la mort, fit remarquer Gimli.
Elenna lui adressa un sourire avant de reporter son regard sur le couché de soleil qui teintait de orange et rouge les plaines rohirrims.
- Sincèrement, je soupçonne Mandos d'avoir consciemment omis certains détails, car il a été assez... évasif dans ses explications, continua-t-elle, Et puis, je n'étais pas très à l'aise face à lui, j'étais même effrayée et il en était conscient. Alors il a tenté de semer le doute dans mon esprit. Je pense qu'il voulait que j'opte pour le premier choix.
- Votre âme est pure Elenna, la coupa Gandalf. Et d'une grande valeur ! Mandos, bien que juste, aurait été ravi de vous compter parmi ceux qu'il garde dans ses cavernes.
- C'est sans doute vrai, répondit Elenna. Il a été très fort quand j'y repense. C'est là qu'ils sont arrivés.
- Qui donc, l'interrogea Legolas.
Le fils de Thranduil avait écouté avec attention le récit de la brune. Les douloureux souvenirs de son séjour en Lorien lui étaient revenus en mémoire.
Il avait passé de nombreuses heures au chevet d'Elenna, priant pour qu'elle lui revienne, en vain. Reprendre la route avait été un véritable déchirement. Mais Legolas avait dû s'y résoudre et avait tenté de faire abstraction de la douleur et du sentiment de culpabilité qui l'animaient.
Elenna détourna son regard de l'horizon pour reporter son attention sur l'elfe de Vertbois-Le-Grand. Elle lui offrit alors un sourire qui apaisa légèrement ses tourments.
- Les valar, répondit la fille d'Enetari.
- Vous les avez rencontré, demanda le sinda, surprit par les révélations de l'elfe.
- En partie, ils étaient quatre : Aulë, Yavanna, Varda et Manwë, précisa la soeur d'Aragorn. Ils sont intervenus et m'ont expliqué les raisons pour lesquelles ils m'avaient accordé leur protection peu avant que l'Ered Luin soit attaqué. Ils m'ont également mis en garde sur les conséquences qui découleraient du choix que je devais faire. Je me sens honteuse d'avoir douté à ce moment là mais, l'espace de quelques secondes j'ai failli choisir la facilité.
- Tu veux dire que tu as pensé à ne pas revenir, comprit Aragorn.
Elenna ferma un instant les yeux puis reporta son regard dans l'azur troublé de son frère. Elle crut alors y percevoir une pointe de déception et elle baissa la tête, honteuse.
- Je sais que je te déçois mais ne me juges pas, je t'en prie..., le supplia-t-elle.
Mais l'intention du descendant d'Isildur n'était pas de faire culpabiliser sa sœur, au contraire. Il voulait qu'elle se livre à lui, qu'elle lui explique ce qu'il s'était passé et les raisons de ses doutes. Elle pensait le décevoir mais il n'en était rien. Alors il approcha Hasufel de l'étalon de sa sœur et posa sa main sur son bras.
-Je ne te juge pas nethig (petite sœur), mais j'ai besoin de comprendre, la rassura-t-il. Expliques-nous sans crainte.
Elenna reporta son regard dans celui de son frère mais n'y vit aucune trace de jugement. Il lui adressa alors un sourire bienveillant et l'incita silencieusement à poursuivre.
- La mort m'a d'abord paru effrayante avant de s'imposer à moi comme une délivrance, commença la brune. Comprenez-moi : vous ne connaissez que ce monde ; moi, je viens d'un univers qui est tellement différent de celui-ci. Ma vie était beaucoup plus simple, à l'opposé même de ce que je vis depuis que je me suis réveillée à Imladris. La guerre et le mal ont toujours été tellement éloignés de mon quotidien. Ma terre, la France, a bien entendu une armée mais ceux qui en forme les rangs ont reçu une formation et ont fait le choix d'en intégrer les rangs. Protéger la population est un métier et la paix règne depuis des décennies avec nos voisins. La guerre m'effraie. Alors l'idée de fuir m'a séduite une fraction de seconde.
Un silence pesant s'installa entre les six compagnons.
- Mais vous n'avez pas fait ce choix, la coupa Gandalf. Pourquoi ?
- Parce que je n'avais pas envie d'abandonner, parce que mon désir de vivre était plus fort, répondit la brune. Il surpassait et surpasse toujours ma peur. Et puis, je ne pouvais me résoudre à faire preuve de lâcheté... Même s'il m'a fallu de longues semaines pour m'adapter à ma nouvelle vie, je sais à présent que ma place est ici.
- Vous êtes très courageuse, dame Elenna, lui fit remarquer Gimli.
- Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il s'agit de courage, souffla la sinda.
Un nouveau silence s'installa entre les membres de la compagnie. La brune repensait au pacte qu'elle avait passé dans les cavernes de Mandos. Elle savait qu'il lui faudrait rapidement en informer son frère. Mais elle en était pour le moment incapable car elle ne savait pas comment Aragorn allait réagir. Il y avait cependant peu de chance qu'il accueille la nouvelle avec joie et qu'il la remercie d'avoir passé un tel accord.
- Vous avez précisé que les valar vous ont donné les raisons qui les ont poussé à vous protéger, reprit le magicien blanc. Peut-on les connaître ?
- Il semblerait que je sois l'élue d'une prophétie et que le destin de la Terre du Milieu soit lié au mien, expliqua maladroitement l'elfe.
- C'est-à-dire, demanda Aragorn.
- Et bien, je ne sais pas vraiment comment l'expliquer, moi-même je n'ai pas tout saisi, avoua sa cadette.
- Je pense avoir saisi ce dont il s'agit, intervint Gandalf avant de préciser sa pensée : la paix d'Arda ne dépend pas seulement du destin de l'anneau. Elle dépendra également des décisions que prendra votre sœur.
Elle remercia silencieusement le mage blanc car elle n'aurait jamais pu être aussi claire.
- Je n'aimerais pas me trouver à votre place, ça non, s'exclama Gimli.
- Merci Gimli, votre compassion me touche, répondit ironiquement la brune.
Le nain éclata d'un rire sincère avant d'être rejoint par Elenna. Ce moment de relâchement eut pour effet immédiat de détendre l'atmosphère alors que celle-ci semblait s'être figée depuis qu'ils avaient commencé à parler des cavernes de Mandos.
Elenna interrogea ensuite ses compagnons pour savoir ce qu'il s'était passé depuis qu'ils avaient quitté la Lorien et elle écouta avec attention leur récit. Elle apprit ainsi comment était tombé Boromir, abattu par les flèches ennemies en tentant de protéger Merry et Pippin.
Deux heures plus tard, ils décidèrent de faire halte pour la nuit. Ils avaient parcouru près de cinquante milles depuis l'Isengard et leurs montures commençaient à fatiguer.
Le campement fut installé au creux d'une petite colline, à l'abri des regards et des éventuelles troupes ennemies qui seraient encore dans la région.
Ils soupèrent ensemble, discutant et écoutant les blagues et histoires des deux hobbits qui avaient regagné la troupe en Isengard. Les tours de gardes furent définis et Elenna commença le sien avant d'être relayée par Aragorn. Elle regagna la tente qu'elle avait monté préalablement et tenta de s'endormir, en vain. Alors elle s'installa au coin du feu encore allumé et observa les étoiles danser dans le ciel sombre, réfléchissant à la façon dont elle pourrait expliquer à son frère le pacte passé avec Manwë.
Un mouvement dans son dos attira alors son attention et ses sens se mirent en alerte. La fille d'Enetari reconnut alors le parfum boisé de l'elfe sinda et elle se détendit instantanément. Silencieusement, le prince de Vertbois-Le-Grand prit place à ses côtés et ses yeux se perdirent dans l'horizon étoilé.
- Vous ne dormez pas, souffla-t-il.
- Je n'y arrive pas, répondit l'héritière de l'Ered Luin. Il semblerait que ce soit aussi votre cas ?
Elle tourna alors son regard pour observer le profil de l'archer. Ses cheveux blonds parfaitement lisses retombaient souplement dans son dos et Elenna se demanda s'ils étaient aussi doux que ce qu'elle imaginait. Les traits de son visage étaient un parfait mélange de finesse et de virilité. Il se dégageait de lui une force inébranlable et rassurante de telle sorte qu'Elenna se sentait toujours en sécurité à ses côtés.
Le fils de Thranduil reporta son attention sur l'héritière de l'Ered Luin et elle se perdit dans l'azur de ses pupilles, hypnotisée par leur profondeur.
- C'est exact, répondit-il. Vous remarquerez bien vite que les elfes n'ont pas besoin d'autant de sommeil que les autres races.
- Vraiment, s'exclama la brune.
Le prince acquiesça en lui adressant un fin sourire.
- C'est en partie ce qui explique que nos sens soient plus aiguisés, expliqua le prince. Nous avons plus de temps à accorder à notre soif de savoir, à l'apprentissage des arts, des langues, du combat et bien d'autres choses. C'est pour cela que nous sommes les êtres les plus doués d'Arda !
Elenna ne put retenir un rire en écoutant les paroles, presque arrogantes, de l'elfe.
- Et tous les elfes sont-ils aussi orgueilleux que ceux qui peuplent le royaume sylvestre, se moqua la fille d'Enetari.
Le blond lui adressa alors un sourire amusé, bien que surpris d'apprendre qu'elle le trouve orgueilleux.
- Quel mal y-a-t-il à dire la plus stricte vérité, répondit le blond.
- Aucun, mais de tous les elfes que j'ai rencontré, vous êtes le plus fier de tous, répondit Elenna. Même si Gimli n'était pas loin de vous dépasser lors de la bataille du Gouffre de Helm!
- Je me dois de ménage notre ami nain, ajouta l'elfe en faisant visiblement preuve de mauvaise foie. Peut-être ai-je omis de compter deux dizaines d'huruk-haï !
- Orgueilleux et de mauvaise fois, le taquina la sinda.
Face à la mine déconfite du sinda, la descendante d'Isildur lui adressa un sourire mutin auquel il répondit par un haussement de sourcil. Il ne lui connaissait pas ce côté taquin mais c'était loin de lui déplaire.
- Peut-être qu'un combat d'égal à égal finira de vous convaincre que je suis de loin le plus adroit de notre compagnie, la défia-t-il.
- Vous me lancez un défi, demanda la brune.
- Avez-vous peur, rin (reine) Elenna, se moqua gentiment le fils de Thranduil.
Si elle avait peur ? Non, elle n'avait aucune raison d'avoir peur de lui. Car Legolas ne lui ferait jamais le moindre mal, du moins pas volontairement, elle en était certaine. Elenna savait cependant qu'il était un excellent combattant et qu'elle avait peu de chance de l'égaler. En revanche, elle aimait les challenges.
- Et bien j'accepte, lui sourit-elle.
Le prince acquiesça, ravi et amusé par l'attitude de l'elleth. Il se pencha ensuite vers elle et attrapa délicatement sa main afin de déposer un baiser à l'intérieur de son poignet. Elenna, surprise, ne put retenir un frisson alors qu'elle sentait déjà ses joues rougir. Le fils de Thranduil se releva en se délectant silencieusement de la réaction de la future reine.
- Je vais prendre mon tour de garde, termina-t-il.
Elle acquiesça en reportant son regard sur les flammes qui dansaient faiblement, cherchant à échapper aux pupilles perçantes de l'elfe sylvestre. Il laissa alors la brune au coin du feu et rejoignit Aragorn qui terminait son tour de garde.
Ce dernier, épuisé par les événements des derniers jours, n'interrogea pas l'elfe sur sa soudaine bonne humeur et il regagna le campement où il s'endormit à la belle étoile.