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C'était le grand jour. Le jour du départ. Dans le grand hall d'entrée, trois valises attendaient patiemment d'être emportées ailleurs. Il était encore très tôt, et le manoir semblait encore engourdi par la nuit, sauf pour certains de ses habitants.
NamJoon piétinait presque sur place, ne tenant pas un seul instant sans regarder l'heure ou jeter un coup d'œil anxieux aux bagages. Lui et SeokJin étaient là depuis trois minutes seulement, et pourtant le temps semblait déjà long pour le majordome. Il était très agité, et ce depuis la veille, au moment où la réalité du futur voyage à l'étranger lui avait sauté aux yeux. Il y avait pensé toute la nuit, pendant ses rêves et même en se réveillant. Ceci dit, il s'agissait sûrement de tout le contraire pour son jeune maître.
Le châtain était debout aux côtés de son domestique, son poids inégalement répartis entre ses deux jambes. Sur une épaule, il tenait un sac à dos –que NamJoon avait d'ailleurs essayé de lui prendre, pour le porter à sa place. Ses cheveux étaient en bataille, car de mauvaise foi, il n'avait même pas voulu se coiffer, et ce malgré l'insistance du domestique. Ses vêtements également n'étaient pas aussi soignés que d'habitude. Son col et sa chemise étaient chiffonnés, pour la simple raison que SeokJin avait encore catégoriquement refusé l'aide offerte. Il ne bougeait pas d'un pouce, était complètement sans énergie, dénué d'enthousiasme.
Le jeune homme soupira de lassitude, terriblement ennuyé par de très nombreux facteurs. Son réveil prématuré, l'attente, et bien d'autres choses encore. Le stress de NamJoon également, mais une grande partie provenait surtout du voyage. Il ne voulait pas partir. SeokJin voulait remonter dans sa chambre et faire ce qu'il ferait en cet instant précis s'il ne se trouvait pas ici, à attendre le véhicule qui les conduirait à l'aéroport. Il serait d'ailleurs bien retourner dans ses quartiers si le son familier des escarpins n'avait pas subitement retenti dans le hall. Il les ignora en faisant mine de regarder ailleurs.
Le bruit des chaussures de Mme Kim était à peine étouffé par l'épaisseur du tapis infini. D'autres pas l'accompagnaient également dans cette cacophonie rythmée, mais NamJoon et SeokJin n'eurent pas besoin de deviner de qui il s'agissait puisque les nouveaux arrivants parvinrent bientôt à leur hauteur.
Mme Kim salua son fils SeokJin, mais ce dernier ne lui rendit que partiellement sa salutation. Derrière elle, HoSeok traînait deux valises imposantes et un sac à dos rempli. À ses côtés, TaeHyung se faisait discret, sans expression.
Toutefois, la plus grande surprise ne fut pas la taille extravagante des bagages que le pauvre domestique devait porter, mais plutôt la présence d'une quatrième personne.
M. Kim se tenait aux côtés de sa femme, apprêté dans sa tenue confortable; un pull marron et un pantalon en coton. Le tout allait parfaitement bien avec ses cheveux grisonnants et son air sympathique.
« Nous voilà au complet, prêts pour un voyage en famille, assura le vieil homme, une main dans sa poche alors que l'autre tenait sa propre valise. Il paraissait jovial, mais ne montrait aucun excès.
– Oui, enfin, se réjouit Mme Kim, toute fringante avec son maquillage parfait. Elle agita ses mains, applaudissant sans faire de bruit. Allons allons, ne restons pas là, le chauffeur doit être arrivé. »
D'un signe, elle intima à quelqu'un d'ouvrir, ce que NamJoon s'empressa de faire. Il écarta les deux grandes portes d'entrée et en retînt une, le temps que tout le monde passe. SeokJin fut le dernier, et lorsqu'il franchit enfin le seuil de son pas nonchalant, le domestique alla chercher les bagages avant de lui aussi sortir. S'il n'avait pas trouver une combine pour tirer les trois valises en même temps, il aurait dut faire un autre trajet.
Dehors, derrière les grilles ouvertes au bout de la grande allée bordée de haies, deux berlines noires aux vitres teintées attendaient. Garées l'une derrière l'autre, elles étaient là pour mener tout ce beau monde à l'aéroport. Les chauffeurs étaient déjà sortis et se tenaient debout devant les portières, prêts à les ouvrir. NamJoon se demanda alors comment se ferait la répartition. Et à l'instant même où il y songea, Mme Kim donna les ordres.
« Nous prenons la première voiture, annonça-t-elle, accrochée au bras de son mari. »
TaeHyung s'avança vers sa mère, dans l'intention de venir avec eux, mais elle le stoppa dans son espoir.
« Tu peux aller avec ton frère et son majordome, mon chéri, lui dit-elle gentiment. Nous prenons ton domestique avec nous, ne t'en fais pas. »
Le garçon afficha une mine affligée, puis alors que sa mère et son père entrèrent dans le véhicule, que le chauffeur claqua la portière et qu'HoSeok chargeait les valises dans le coffre, il se tourna vers SeokJin, qui le regardait, sévère.
Ils ne décochèrent pas un mot. Le plus grand avait les bras croisés, l'autre fuyait du regard, mal à l'aise. La tension entre eux était si désagréable que NamJoon s'empressa de charger les bagages et de les pousser vers la berline.
TaeHyung entra le premier et s'installa contre la portière, tout au fond. NamJoon voulut faire aller SeokJin en second, mais ce dernier ne l'entendait pas de cette oreille. Il lui ordonna d'y aller lui, ce à quoi le majordome n'eut pas le temps de répondre quoi que ce soit puisqu'il fut presque jeté à l'intérieur. Il manqua de se prendre le bord du toit du véhicule dans le front. Ainsi se retrouva-t-il pris entre deux feux, coincés entre TaeHyung le garçon qui le haïssait et SeokJin le capricieux ronchon. Le trajet s'annonçait bien.
Aussitôt la portière refermée par le chauffeur que quelques instants plus tard, la berline démarra. Le moteur ronronna et enfin, le véhicule partit, suivant celui de devant. Derrière eux, le grand manoir des Kim rétrécissait à vue d'œil, lui et ses jardins immenses, lui et ses innombrables pièces, lui et toutes la vie qui continuaient à l'intérieur, sans eux. Lorsqu'il disparut enfin, NamJoon regarda droit devant lui, et un lourd silence s'abattit dans l'habitacle.
Rien ni personne ne prononcèrent un mot. À la gauche du majordome, TaeHyung était silencieux, le menton encré dans la paume de sa main et le regard fixé sur le paysage qui défilait. À sa droite, idem pour SeokJin. Quant à l'avant, le chauffeur était une quatrième personne séparée du lot. C'était à peine si l'on remarquait véritablement sa présence.
NamJoon soupira discrètement. La banquette arrière était spacieuse, davantage que celle d'une voiture classique, mais pourtant, il ne se sentait pas aussi à l'aise qu'il aurait dû l'être dans ces sièges en cuirs. L'ambiance était d'un froid absolu, si glacial qu'elle semblait impossible à briser. Le rose sentait que s'il essayait d'arranger les choses, il n'obtiendrait même pas une réponse de l'un des deux camps.
TaeHyung et SeokJin était vraiment en froid depuis les événements fréquents. Depuis la gifle, pour être plus précis. NamJoon espérait vraiment que tout cela s'arrange durant ce voyage inattendu. Ce serait bien, autant pour eux que pour lui. Car le majordome n'avait pas envie de faire le trajet du retour dans la même ambiance. Clairement pas. Mais surtout, il était un peu la source du conflit.
L'asphalte défilait à toute vitesse sous la berline. Les vitres teintées cachaient en partie la pâleur du ciel et du décor. Le silence s'était épaissi, devint plus discret, moins lourd mais tout de même là. Personne n'y pensait encore, et ce fut même le cas de NamJoon qui, sans le vouloir, s'était assoupi. Lorsqu'il releva les paupières, conscient qu'il venait de louper une durée indéterminée, il se demanda combien de temps est-ce qu'il avait dormi. Un peu perdu, il jeta un coup d'œil à sa gauche, redressant sa nuque douloureuse.
TaeHyung s'était endormi lui aussi, mais bien plus profondément. La tête contre la vitre, seul sa ceinture de sécurité le retenait en place, l'empêchant de s'effondrer en avant. Pour qu'il soit ainsi si paisible, plongé dans son sommeil, cela devait faire un bon moment qu'ils étaient en chemin. Sûrement une bonne heure. Ou plus, ou moins. Impossible de savoir.
NamJoon sentit soudain comme un effleurement sur sa cuisse, comme si une main l'avait touché. Instinctivement, sa tête pivota vers la droite, vers SeokJin.
Le châtain le fixait déjà de ses prunelles noisettes, un air calme sur son faciès agréable. Doucement, il se pencha vers NamJoon, qui le regardait sans réagir, trop peu réveillé pour réfléchir vraiment. SeokJin eut un regard vers le conducteur, furtif mais indicateur, avant de déposer brièvement sa bouche au coin de ses lèvres. Puis, toujours sans un mot, il cala bien sa tête contre l'épaule de son majordome, se mettant le plus à l'aise possible et, satisfait de ce confort et de cette proximité, soupira.
NamJoon ne s'opposa pas à ce rapprochement. Il n'y voyait rien de flagrant, rien qui ne reflétait ce que leur relation cachait réellement. Et si par malheur quelqu'un les regardait, que ce soit le chauffeur ou TaeHyung, on pouvait très bien croire que SeokJin, trop fatigué, était tombé de sommeil sur l'épaule de son majordome. Quoi de plus innocent et de plus pardonnable ?
Dans un soupir feint, NamJoon laissa son crâne s'appuyer contre le siège. Mais lorsqu'il voulut fermer les yeux pour les reposer un instant, il sentit une pression sur sa jambe, près de son genou.
Le majordome releva un peu la tête, les paupières mi-closes, pour se rendre compte qu'il s'agissait encore de SeokJin. Sa main s'était simplement posée au-dessus de son genou, sans le gêner dans quoi que ce soit. Elle était juste là, bêtement, en tout point innocente. Alors, quelque peu rassuré, NamJoon l'ignora et referma les yeux, bien décidé à tomber dans un repos léger.
Mais tandis qu'il laissait ses pensées voguer à leurs grés, une autre pression, moins forte, plus discrète, se fit sentir sur sa jambe. Le majordome ouvrit un œil, puis se rendit compte que cette fois-ci, la main du châtain était remontée sur sa cuisses. Posée de cette manière, elle ne paraissait pas vouloir gêner. C'était comme si elle se trouvait là par accident, ou que son propriétaire n'était pas doté de mauvaises intentions.
Toutefois, le doute naquit chez NamJoon, qui ne se permit pourtant pas une quelconque riposte. Il attendit simplement, guettait, feignant un autre repos. Si le jeune maître avait une idée derrière la tête, il n'allait pas tarder à le savoir. Il ne voyait pas le visage de SeokJin, alors il se devait de rester sur ses gardes.
NamJoon resta immobile, presque crispé. Il fixait cette main aussi statique que son corps, méfiant, se demandant si elle allait enfin bouger ou si elle allait rester ainsi pour le reste du trajet. La réponse ne tarda pas.
La paume de SeokJin se mit à remonter avec une patiente mesurée, sans hâte, progressant vers un point que le majordome eut tôt fait de deviner.
En un geste brusque, NamJoon saisit son poignet pour l'empêcher d'aller plus loin. Il jeta également un coup d'œil inquiet vers TaeHyung, de peur qu'il ne se soit réveillé à cause de sa brusquerie. Le garçon était toujours endormi, et c'est sur cette constatation que le domestique tourna son regard sur SeokJin. Mais il ne vit toujours pas son visage, car ce dernier ne regardait même pas son majordome. À la place, il tenta de libérer sa main prisonnière tout en douceur, sans faire de gestes brutaux, comme s'il ne venait pas d'être attrapé à temps. Mais NamJoon ne le laissa pas. Dans un murmure seulement audible d'eux deux, il lui demanda purement et simplement d'arrêter.
Le châtain, durant une poignée de seconde, parut l'écouter. Et lorsqu'il amena sa seconde main se poser sur les doigts qui enserraient la prise de NamJoon, ce dernier crut vraiment qu'il avait compris. Alors il lâcha son poignet. Le retour fut plus qu'inattendu.
NamJoon se raidit au moment où SeokJin, d'un banal mouvement de la tête, parvint à atteindre son cou. Il sentit ses lèvres sur sa peau, un baiser aussi doux qu'une plume, dont l'effet fut ravageur dans un endroit si sensible. Un frisson courut le long de sa colonne, partant dans ses reins pour remonter comme des centaines de petites aiguilles curieusement agréable. Et le châtain ne s'arrêta pas là. Le baiser si doux et léger se changea en quelque chose de plus long, de plus langoureux. NamJoon comprit sans peine qu'il était en train de lui marquer la peau.
Dans un mouvement instinctif, le majordome ramena son épaule contre sa joue, mais le visage de SeokJin l'empêchait de faire une telle manœuvre, et les sensations n'en furent qu'accentués.
Dans sa panique muette mêlée de frissons, NamJoon tenta de l'arrêter avec ses mains, chose futile. Elles furent étonnamment et facilement arrêtées par celles de SeokJin, curieusement très vives à présent.
Le majordome, saisit d'un autre frisson le long de son échine sensible, braqua son regard dans le rétroviseur. Le conducteur avait les yeux rivés sur la route, mais le rose avait le pressentiment que s'il continuait à le fixer à travers le miroir, il allait finir par le voir. Au moment où cette pensée le traversa comme une flèche, NamJoon sentit le sourire de SeokJin dans son cou et dans un miracle, il parvint à se défaire de lui.
Sa paume sur son torse, il renvoya le châtain au fond de son siège. L'instant d'après, le chauffeur leur jeta un coup d'œil à travers le miroir rectangulaire, puis fixa à nouveau la route. Il n'avait rien vu, et ce de justesse.
NamJoon incendia aussitôt SeokJin du regard, l'accusant sans même ouvrir la bouche. De son côté, le châtain maintenait ce petit sourire en coin, terriblement mesquin et fier de lui. Ah ce que le majordome avait envie de le corriger ! Tout ce qu'il pouvait faire, pour l'heure, ce fut de constater les dégâts. En portant ses doigts à son cou encore humide de bave, il avait l'impression qu'un vampire venait de lui sucer le sang.
Soudainement, le véhicule ralentit jusqu'à l'arrêt. NamJoon observa l'extérieur sans comprendre, et lorsqu'il vit le bâtiment devant lequel ils s'étaient arrêtés, il tilta. Ils étaient enfin à l'aéroport.
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