Media : Danity Kane - Stay With Me
— Je suis désolée, Keran... tellement désolée, murmurai-je avant de faire deux pas en arrière.
Il me dévisagea, complètement désarçonné, ne comprenant manifestement pas pourquoi je m'éloignais de lui alors que j'aurais dû me perdre dans ses caresses.
Je baissai les paupières, impuissante, ne pouvant plus supporter l'expression de détresse que je lisais sur son visage. Il me suppliait silencieusement de rester auprès de lui, de ne pas lui échapper.
C'était si dur. J'étouffais, j'avais l'impression de ne plus savoir comment on faisait pour respirer.
Puis il esquissa un mouvement vers moi, voulant m'empêcher de reculer...
— Ôte tes mains de ma reine ! rugit la voix de Stentor d'Elemiah dans son dos.
Keran se figea brusquement en l'entendant.
La passion, mélangée à la peur, que je lisais dans ses yeux précédemment, cédèrent leur place à un état de fureur inéluctable. Keran n'avait plus rien de l'homme impassible que j'avais connu les premiers jours. Son visage laissait désormais filtrer toutes ses émotions et la rage qu'il éprouvait à cet instant était manifeste.
Sa mâchoire se crispa et il pivota lentement sur ses jambes pour faire face au nouveau venu. Cet être infâme qui venait encore une fois se dresser entre nous et notre bonheur.
— Elemiah... si tu savais depuis combien de temps j'attends ce moment... fulmina Keran.
Le Rex paraissait plus majestueux que jamais. Ses ailes lactescentes étaient déployées derrière lui, comme s'il était prêt à s'envoler. Il se tenait debout, le menton relevé, dans une position impériale. Son air était dur, cruel. Ses yeux lançaient des éclairs. Il ne lâchait pas Keran du regard et l'incube le lui rendait bien.
Ils s'affrontaient dans un duel visuel des plus poignants. Si leurs yeux avaient été des missiles, ils se seraient déjà entre-tués en détruisant tout sur leur passage.
L'air se chargea tout à coup d'électricité. L'ambiance était lourde, presque écrasante.
Caliel et un autre membre de la garde étaient entrés dans la salle à la suite d'Elemiah. Mikael, qui avait parfaitement joué son rôle de messager, faisait à présent le guet devant les portes.
En comptant Reiyel — devenu étrangement silencieux depuis quelques minutes — ainsi que les deux autres anges qui étaient chargés de contrôler la foule, nous nous trouvions au total face à sept guerriers ailés tous aussi impressionnants les uns que les autres.
Je reportai mon regard sur le groupe de réfugiés derrière moi, ils avaient l'air affolé, la plupart étant chétifs ou diminués.
Mis à part Keran, aidé de sa nature d'incube, autant dire que nous n'étions pas de taille à affronter ces saletés de moustiques à plumes.
Lauren, si elle était réellement une démone comme l'avait sous-entendu Reiyel un peu plus tôt, apporterait peut-être un soutien supplémentaire non négligeable mais, quand bien même, ce ne serait toujours pas suffisant pour nous permettre de tenir tête à nos ennemis. Nous ne pouvions rivaliser face à leurs pouvoirs surnaturels.
Je ne voyais mon père nulle part. Il était pourtant censé être avec Keran cette après-midi-là...
J'espérais qu'il se trouvait en sécurité à l'extérieur, et qu'il le resterait si la situation venait à s'envenimer davantage. J'étais déjà bien assez inquiète de ce qu'il pouvait advenir de ma mère, surtout depuis que Reiyel l'avait menacée.
— Je serais bien venu te rendre visite plus tôt, fils de Lilū, mais il se trouve que j'étais occupé à satisfaire la future mère de mes enfants, provoqua Elemiah en dardant sur moi un regard brûlant.
Keran tiqua à ces mots et serra les dents encore un peu plus.
Une ampoule clignota alors au dessus de ma tête. Il ignorait que j'avais pu résister à Elemiah jusqu'ici, il devait certainement s'imaginer qu'en neuf mois, nous avions largement eu le temps de consumer notre « union ».
— Ne prends pas tes désirs pour la réalité, l'emplumé, grinça Keran sans se laisser déstabiliser. Nae n'a rien à faire à tes côtés. Qu'importe le charme que tu as utilisé sur elle par le passé, rien ne sera jamais plus authentique que ce qui nous relie, elle et moi.
— Comment oses-tu nier l'hégémonie des anges ?! tonna Elemiah. Nos âmes se sont touchées et elles se sont reconnues. Nous sommes unis pour l'éternité. Elle est mienne ! Écarte-toi d'elle et retourne d'où tu viens, dans ce monde démoniaque qui t'a vu naître !
— Je ne te laisserai jamais plus la toucher. Sois-en certain.
J'écoutais leur échange, pantelante, et ignorant toujours comment réagir. Il fallait pourtant que j'intervienne si je ne voulais pas qu'un drame survienne.
La scène se répétait. Je me revoyais devant Le Succlub, neuf mois en arrière. Quand tout avait dégénéré, quand la vie de Keran s'était arrêtée, en même temps que la mienne.
Il était hors de question que je revive l'horreur que j'avais connue ce soir là.
Je ne laisserais jamais une telle chose se reproduire.
— Keran... commençai-je.
— Non, Nae. Ne t'avise même pas d'essayer. Pas cette fois.
— S'il te plait, Keran, écoute-moi...
— Je ne mourrai pas.
— Je sais, soupirai-je. Je l'ai compris maintenant. J'aurais dû te faire confiance, je suis désolée. Mais cette fois c'est différent, l'enjeu n'est pas le même...
Il ne me regardait toujours pas, il ne voulait pas perdre Elemiah de vue ne serait-ce qu'une fraction de seconde. La dernière fois cela lui avait coûté bien trop cher.
Je m'approchai de lui et j'effleurai son épaule de ma main. Il frissonna à mon contact.
— Qu'est ce que tu fais, Nae ? me demanda-t-il avec inquiétude. Recule !
— Regarde autour de toi. Nous ne faisons pas le poids, tu ne fais pas le poids. Ne m'oblige pas à revivre ça encore une fois. Je t'en supplie, l'implorai-je. Cela ne pourra que se terminer dans un bain de sang et il y a bien trop de vies en jeu.
— Je ne le laisserais pas t'approcher, Nae, même si je dois voir le monde s'effondrer autour de moi. Il ne te touchera plus jamais. Pas tant que je serais là pour l'en empêcher.
Il semblait si déterminé. Mais c'était de la folie pure.
J'avais peur de ce que ces putains de moustiques angéliques seraient capables de faire si Keran s'en prenait à leur Rex. S'il parvenait à tuer Elemiah, cela ne résoudrait rien. Il devrait toujours affronter les six autres anges qui l'accompagnaient, il n'avait aucune chance. Le passé nous avait largement démontré qu'il ne pourrait pas tous les affronter.
Alors quoi ? Il tuerait Elemiah, se battrait contre les autres jusqu'à ce que l'un d'entre eux lui porte à nouveau le coup fatal... et le temps qu'il renaisse de ses cendres nos ennemis auraient tout loisir de reporter leur fureur dévastatrice sur le groupe de réfugiés qui se trouvait là et que Keran avait pris tant de soin à protéger ... ?
Je ne pouvais pas le laisser détruire tout ce qu'il avait entrepris sur un coup de tête.
Il avait tellement peur que nous soyons de nouveau séparés qu'il était prêt à sacrifier le monde pour me garder à ses côtés. C'était à la fois le plus beau geste d'amour qu'il pouvait me faire mais aussi le plus insensé.
— C'est de la folie, chuchotai-je.
— Oui. Je suis fou, Nae, fou de toi. Et je te promets que jamais plus il ne posera ses mains sur celle pour qui mon cœur bat.
— Keran ! Comment me protégeras-tu si tu meures ? Comment les protégeras-tu ?
J'embrassai du regard la foule de rescapés qui se tenaient tout autour de nous pour appuyer mes paroles.
— Elemiah, cria alors Keran. Laisse tes troupes en dehors de ce conflit. Cela ne regarde que nous deux, bats-toi en homme et cesse de te cacher derrière ta garde !
— J'ai cru que tu ne me le demanderais jamais, incube, sourit Elemiah. Caliel ? appela-t-il ensuite. As-tu ce que je t'ai demandé ?
J'eus soudain un très mauvais pressentiment.
Puis je vis Caliel hocher la tête et s'approcher de son Rex en lui présentant, avec le plus grand respect, un paquetage reposant sur ses deux mains tendues devant lui. Il s'agenouilla dans une position révérencieuse et baissa la tête en attendant qu'Elemiah se saisisse de son offrande.
Je le vis ouvrir les pans du tissu avec précaution et en sortir une épée qui semblait avoir été taillée à même l'obsidienne. L'ouvrage était magnifique.
Je ne compris pas tout de suite ce que signifiait cette mascarade, jusqu'à ce que je remarque l'air pincé de Keran et que la phrase de Trevor ne me revienne en tête...
« La lame, de quelle couleur était-elle ? »
Celle-ci était noire, une teinte peu courante pour une arme blanche...
Mon dieu...
J'écarquillai les yeux. Horrifiée. Cette arme allait tuer Keran, le tuer définitivement. J'en étais sûre à présent. Tout cela prenait des proportions bien trop importantes. Irrévocables.
Je ne pouvais pas laisser Keran se confronter à Elemiah alors qu'il risquait d'y perdre la vie pour de bon.
Il fit un pas vers le Rex, bien décidé à se mesurer à lui malgré cette complication inattendue, et je ne réfléchis pas plus longtemps. Je courus me placer devant lui et l'arrêtai en posant mes deux paumes sur son torse.
J'essayai de ne pas penser à la sensation que j'éprouvais au contact de ses muscles sous mes mains et me concentrai plutôt sur ma tâche. Je devais l'arrêter à tout prix.
— Nae... pousses-toi, me somma-t-il.
— Non.
Il braqua enfin son regard sur moi. Un regard assombri mais aussi très doux, qui manqua de me faire chavirer.
— D'une façon ou d'une autre, tout se terminera ici, aujourd'hui, m'annonça-t-il calmement.
— Je ne peux pas te laisser le combattre.
— Nae... tu le dois, il n'y a pas d'autre issue...
— Si, il y en a une, le détrompai-je.
Je lançai un coup d'œil à Reiyel qui me retourna un hochement de tête suffisamment perceptible pour me signifier qu'il avait bel et bien mis Elemiah au courant de notre entente. Je reportai alors mon regard sur ce dernier pour m'assurer qu'il était prêt à en accepter les conséquences. Il trouva mes yeux au même moment et me sourit de toutes ses dents, manifestement ravi du marché qui lui avait été proposé.
Il ne pouvait évidemment pas louper une telle occasion de me voir lui céder.
J'affrontai de nouveau Keran du regard et m'assurai que j'avais bien toute son attention avant de poursuivre.
— J'ai passé un accord avec eux, Keran. Ils m'ont promis de vous laisser tranquilles, toi et les tiens. De ne pas chercher à vous poursuivre. Tu n'as aucune raison de te battre.
— Je te l'ai dit, mon cœur, je ne te laisserai pas me filer entre les doigts. Sous aucun prétexte. Le destin ne nous séparera pas une nouvelle fois.
Cet homme était impossible. Je serrai les dents devant son entêtement et tâchai de maîtriser les tremblements de mon corps qui traduisaient l'angoisse qui me rongeait de l'intérieur.
Je tentai alors le tout pour le tout.
— Je ne peux pas vous laisser vous entre-tuer, Keran, lui annonçai-je en le fixant dans le blanc des yeux. Je ne survivrais à la mort d'aucun d'entre vous.
Il me dévisagea, une totale confusion imprégnant désormais ses traits.
Je pris alors une grande inspiration et j'ajoutai :
— Je l'aime. Si tu le tues, tu me perdras de toute manière. Je ne te pardonnerais jamais ton geste.
Il recula, chancelant comme s'il venait de prendre un coup de poing en pleine poitrine.
Je serrai les dents pour m'empêcher de fondre en larmes et pour éviter surtout qu'il parvienne à me mettre à jour.
Il ne savait pas pour ma résilience au pouvoir du Rex. Il ignorait que je ne m'étais jamais abandonnée à lui, et je comptais bien tirer partie de cette information.
— Elemiah n'a pas menti. Tu sais qu'il en est incapable. Nous sommes bel et bien liés. Je vais porter son enfant, réussis-je à dire sans faiblir.
Les phrases courtes m'aidant à maîtriser ma voix.
Du coin de l'œil, je vis l'ange de mon malheur sourire à ma remarque. Il bomba le torse avec arrogance, ragaillardi par mon intervention. J'avais envie de lui cracher au visage, de le frapper, mais il fallait que je tienne bon. Pour Keran.