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Le jeune majordome soupira pour la énième fois. Les manches de sa chemise retroussée, il passait rageusement le balais dans la cuisine, déchargeant sa colère dans ce geste.
Jimin, qui pelait des patates à la petite table, lui jetait parfois des petits coups d'œil exaspérés.
« Si tu continues à t'acharner comme ça, tu vas finir par casser le manche... »
NamJoon lui jeta un regard agressif en grommelant quelque chose comme 'c'est ton manche que je vais casser, ouais'.
Il se reçu soudain une tape sur l'arrière du crâne et releva immédiatement la tête, prêt à gueuler sur la personne qui lui avait fait ça.
Il se calma tout de suite en apercevant YoonGi.
« Il n'y a que moi qui ait le droit de toucher au manche de Jimin, affirma clairement le mentholé. »
Le concerné, toujours en train de peler ses féculants, fit mine d'être offusqué.
« Hyung ! s'exclama-t-il, plus amusé que choqué. »
YoonGi esquissa un sourire en coin qui s'effaça rapidement. Il récupéra son impassibilité habituelle mais dans ses yeux brillaient une lueur de taquinerie.
Min Yoongi était d'humeur joueuse aujourd'hui.
« Je sais que tu aimes lorsque je m'occupe de ton petit manche, mon cœur, affirma le mentholé, une pointe de fierté et de perversité dans la voix. »
Cette fois-ci, Jimin perdit tout son amusement qui laissa place à une gêne monumentale. Ses joues étaient devenues aussi rouge que les tomates posées sur la table parmi les pomme de terre et il bafouilla quelques mots avant de détourner les yeux.
YoonGi s'en serait bien amusé si NamJoon n'avait pas tout interrompu.
« Vous pouvez garder vos petites scènes de ménage pour vous, ronchonna le rose en balayant une zone déjà propre. »
Le mentholé arqua un sourcil. Habituellement, NamJoon aurait réagit positivement à ce genre de situation. Il aurait même argumenter dans son sens, enchaînant remarques malsaines, perverses et gênantes. Mais là, quelque chose n'allait pas.
« Mauvaise humeur ? demanda YoonGi en se tournant vers Jimin qui, toujours un peu embarrassé, s'était remit à son épluchage. »
Le roux fit 'non' d'un simple mouvement de tête avant de prendre la parole:
« Je crois, d'après ce que j'ai compris, qu'il s'est un peu... Embrouillé avec le jeune maître.
– Oh. Je vois. Et qu'est-ce qui s'est passé ? »
Jimin haussa les épaules, ne sachant pas trop quoi répondre.
« J'sais pas trop, NamJoon a dit qu'il était "redevenu insolent" et que–
– J'suis là si jamais, faites pas comme si c'était pas le cas ! s'énerva le rose. »
L'ombre d'un sourire plana sur le visage de YoonGi avant qu'il ne s'asseye sur la première chaise à disposition et déclare, tel un politicien commençant un discours:
« T'es visiblement de mauvaise humeur et j'ai pas envie d'être contaminé mais, comme j'suis sympa, vas-y, explique-moi tout toi-même puisque tu n'aimes pas quand on t'ignore. »
Sur ces mots, le bonbon à la menthe tapota la chaise libre à côté de lui. NamJoon grommela, posa son balais et vint s'asseoir à son tour à la table où Jimin pelait toujours ses patates.
Le rose fit une moue ennuyée et YoonGi posa son menton dans sa paume comme s'il s'apprêtait à entendre une histoire ultra intéressante.
« Je t'écoute. »
NamJoon se gratta l'arrière du crâne, maintenant perplexe. Il ne savait pas trop quoi leur dire.
« Bah... J'me suis embrouillé avec lui et–
– Je sais.
– Tais-toi et laisse-le parler hyung, souffla Jimin. »
NamJoon soupira bruyamment pour faire comprendre à l'autre qu'il lui faisait clairement chier, à être aussi savage. YoonGi l'ignora, alors il reprit:
« Donc, je me suis engueulé avec Seok– le jeune maître, et maintenant, je suis à peu près sûr que tous mes efforts sont détruits...
– Quels efforts ?
– Hyung, avertit encore Jimin, mais cette fois-ci, NamJoon ne réagit pas. Il semblait totalement ailleurs, perdu dans ses inquiétudes.
– Depuis quelques jours, notre relation s'était améliorée et on s'est en quelque sorte... Rapproché, continua le rose. »
YoonGi laissa échapper un petit 'mh' mais NamJoon n'y fit pas attention.
« Comme il y avait bien moins d'animosité entre nous, je me suis dit qu'il était enfin un peu plus mature et... Et qu'il était temps qu'il apprenne un peu à se comporter comme un adulte. »
Un silence.
NamJoon inspira, prêt à reprendre son récit, mais il avait la désagréable impression que ses propos, maintenant qu'il les disait de vive voix, avaient bien moins de sens que dans ses pensées.
« Je me suis mis à lui enseigner indirectement les comportements qu'il devait avoir, à lui faire des commentaires sur sa façon d'agir... Jusque-là tout allait bien, mais hier, il n'a visiblement pas apprécié. »
NamJoon, qui fixait depuis tout à l'heure ses mains posées sur le bois de la table, risqua un coup d'œil vers YoonGi. Ce dernier affichait un air grave, presque inquiétant. Jimin, quant à lui, semblait plutôt préoccupé.
« Pourquoi t'as fait ça ? questionna subitement YoonGi. »
NamJoon ne répondit pas tout de suite, ne comprenant pas vraiment où son collègue voulait en venir.
« Il... C'est un adulte, alors il doit se comporter comme tel, pas jouer les ga– »
YoonGi se leva subitement, faisant crisser les pieds de la chaise contre le sol dans un grincement insupportable. NamJoon fronça les sourcils en voyant à quel point le vert menthe semblait sérieux.
« Pourquoi t'as fait ça, NamJoon ? redemanda le plus âgé sur un ton où l'on devinait un agacement profond.
– Je te l'ai dis hyung, le jeune maître est un adulte et il–
– Non NamJoon, je sais qu'il ne s'agit pas de la véritable raison. Alors au lieu de nous bassiner avec tes soi-disantes morales sur les responsabilités, dis-nous la vérité. »
Le grand rose se tut. Toujours assis à la table, ses doigts étaient crispés sur le bord du meuble. Aucun des trois domestiques ne faisaient le moindre mouvement. Jimin avait cessé son activité pour observer d'un œil, attentif mais inquiet, ses deux amis.
YoonGi et NamJoon se regardaient sans jamais détacher leurs regards. Le premier affichait une mine grave alors que le second était perplexe, voire même perturbé. Il ne savait pas quoi penser de cela.
YoonGi avait-il deviné que le père de SeokJin lui avait confié une tâche qui ne relevait pas du devoir d'un simple majordome ?
Vu la manière dont il parlait en ce moment même, c'était plus que probable. Et bizarrement, ça ne plaisait pas à NamJoon.
Il ne voulait pas que son collègue –et ami–soit mêlé à ça. Il voulait gérer la situation.
Seul. Sans l'aide de personne.
NamJoon voulait, en quelque sorte, prouver qu'il était digne de son job, qu'il le méritait amplement. Il souhaitait plus que tout accomplir cette tâche des plus ardues car s'il n'y arrivait pas, ce serait synonyme d'échec. Et le domestique en avait déjà essuyé tellement dans sa vie qu'il ne voulait pas renouveler l'expérience. Cette fois-ci, il voulait garder son job.
« Je ne vois pas de quoi tu parles, affirma clairement NamJoon, lançant un regard de défi à son aîné. »
YoonGi lâcha un soupir d'exaspération.
« Pourquoi tu ne veux pas nous en parler, NamJoon ? C'est top secret ? »
Le rose fit signe que non et ne rajouta rien d'autre.
« Alors parle, je ne vois pas pourquoi tu t'obstines à ne rien vouloir dire, s'impatienta YoonGi. »
À son tour, NamJoon se leva brusquement.
« C'est toi qui t'obstines, hyung !
– Ne commence pas avec ça.
– Commencer avec quoi ? C'est toi qui fais chier, si je ne veux pas en parler, je n'en parlerai pas !
– Surveille ta façon de parler ! gronda YoonGi. »
Ainsi continua la discussion qui avait virée à la dispute. Le ton monta rapidement et Jimin dut se lever pour essayer de calmer ses deux amis qui se gueulaient maintenant dessus comme des chiffonniers. Mais il avait beau tenter de tranquilliser la situation, le plus jeune ne contrôlait absolument rien. Personne ne l'écoutait. Les deux plus âgés étaient pris dans leur dispute interminable et puérile.
Leurs voix grondaient dans les cuisines, si bien que NamJoon, dans un élan de colère, quitta la pièce en claquant furieusement la porte derrière lui. Les murs tremblèrent un peu, de la poussière s'effrita du plafond et un gond manqua de sortir du panneau de bois.
D'un pas rageur, NamJoon marchait sans véritable but dans les couloirs de la demeure. Il grommelait des injures dans sa barbe et les quelques domestiques qu'il croisa sur son chemin s'écartèrent du passage en le regardant avec surprise.
Le majordome pensa d'abord à regagner sa chambre mais abandonna bien vite cette idée. Tournant en rond sans savoir quoi faire pour se calmer un peu, NamJoon ne vit pas HoSeok qui arriva vers lui, une corbeille pleine à craquer de linge propre dans les mains.
« Hey Nam' ! interpella le domestique, un éternel sourire étirant ses fines lèvres. »
NamJoon arqua un sourcil, se demandant bien ce que son collègue allait lui demander, car il était évident qu'il ne l'abordait pas pour rien.
« Est-ce que t'es occupé là ? demanda le noiraud.
– Non, pas vraiment.
– Cool ! Tu peux aller suspendre ça pour moi dehors ? On me demande en urgence à l'étage, expliqua HoSeok, visiblement pressé.
– Compte sur moi, acquiesça NamJoon, récupérant le chargement. »
HoSeok afficha un sourire radieux en remerciement et se dépêcha de s'éclipser, laissant le majordome avec sa nouvelle tâche. Ce dernier se dit que ça tombait plutôt bien. Comme il n'était pas vraiment de bonne humeur, suspendre le linge allait l'occuper, au moins pour un moment.
[...]
L'arrière cours, qui donnait sur les jardins et plus particulièrement la roseraie, était d'un calme reposant.
Il n'y avait pas un chat, l'après-midi touchait gentiment à sa fin et en se concentrant un peu, on pouvait entendre le brouhaha lointain qui provenait de l'intérieur.
Aucun des résidents du manoir ne venait ici alors les domestiques en profitaient pour y faire sécher le linge lorsque les machines prévues à cet effet étaient toutes occupées. L'endroit ne servait pas à grand chose d'autre et d'un côté, c'était bien dommage.
NamJoon ferma les yeux quelques secondes avant d'inspirer une bouffée d'air frais. C'était toujours plus agréable de respirer l'oxygène de l'extérieur, cela changeait de la ventilation qu'il devait supporter à longueur de journée. Rester enfermé constamment dans cette immense bâtisse –aussi belle soit-elle– n'était pas toujours une partie de plaisir et mettait souvent ses nerfs à rude épreuve. Sortir un peu lui faisait donc un bien fou.
NamJoon posa le panier sur les pavés de la cours et, un à un, se mit à suspendre les draps blancs sur la corde. Le vent soufflait doucement dans les tissus et s'y engouffrait, animant les draps d'un semblant de vie.
Le jeune homme, songeur, se sentit un peu nostalgique. Les souvenirs remontaient doucement, il se rappelait le temps où il aidait sa mère à suspendre le linge dans leur petit jardin, lorsque le soleil perçait les épais nuages de la ville et venait égayer les paysages mornes de son enfance.
NamJoon se souvenait que, lorsqu'il était petit, il préférait aider sa mère dans les tâches quotidiennes plutôt qu'aller jouer dans le quartier avec les autres enfants. Il se rappelait le temps où, dans leur petite maison un peu délabrée, il coulait des jours heureux avec sa famille.
Tout ça, c'était lorsqu'il n'était qu'un simple bambin insouciant et innocent, ignorant les dures réalités de la vie en société. Tout ça, c'était avant qu'il ne se rende compte à quel point le monde extérieur n'était pas si rose.
NamJoon s'extirpa de ses pensées. Il baissa les yeux vers le panier et constata qu'il était maintenant vide. Il n'avait plus qu'à le ramener à l'intérieur, puisque sa tâche était terminée.
Mais alors que, son panier sous le bras, le majordome s'apprêtait à retourner dans la demeure, quelque chose attira son attention.
Debout sur les pavés, le regard tourné vers les jardins, il crut entendre une mélodie. Simple, mais si triste.
Abandonnant ce qu'il tenait, il s'avança à pas feutrés vers la source du son, curieux. Plus il s'approchait, et plus la mélodie se faisait distincte. Arrivant à proximité de la roseraie, NamJoon se fit plus discret, comme s'il craignait de faire partir la créature qui chantait cette chanson, lente mais agréable. Elle ressemblait à une berceuse. Puis, alors qu'il aperçu la silhouette non loin, son corps entier se figea.
SeokJin.
Il se tenait là, debout dans la roseraie. Ses longs doigts effilés effleuraient les roses rouge comme s'il s'agissait d'un trésor à chérir. Ses lèvres bougeaient à mesure que les notes faisaient vibrer sa gorge, et, pour la première fois, il ressemblait à tout sauf au gamin excentrique qu'il était habituellement.
NamJoon n'en croyait pas ses yeux ni ses oreilles. Le jeune maître paraissait si paisible, si beau. Son expression douce, presque triste, faisait battre le cœur du majordome à une vitesse hallucinante. De plus, il se sentait bizarre, fébrile mais mou à la fois, comme si son énergie était aspirée par le spectacle qu'il contemplait.
NamJoon, presque hypnotisé, fit un pas en avant et, par négligence, l'herbe se froissa sous ses talons, suffisamment pour que le chant s'arrête subitement. SeokJin se retourna, ses yeux s'écarquillèrent sous l'étonnement.
« NamJoon...? »
Le majordome ouvrit la bouche pour parler mais il se ravisa, ne sachant que dire. Le temps qu'il trouve quelque chose, l'expression de son jeune maître changea du tout au tout.
Ses sourcils se froncèrent durement, son visage se crispa sous une colère grandissante et il cracha ses paroles sur un ton amer mais étrangement peiné:
« Tu ne devrais pas être ici. Hors de ma vue, domestique. »
NamJoon, à ce moment-là, comprit que c'était réellement foutu et qu'il avait merdé sur toute la ligne.
Il aurait dû rester ce qu'il était vraiment, pas essayer de sympathiser avec plus haut dans la triste hiérarchie de la vie. Il aurait dû se contenter d'être ce qu'il était.
Un simple domestique, un simple majordome. Un pantin aux ordres de ses maîtres.
Désormais, il ne s'en tiendrait qu'à cette fonction. Et à rien d'autre. Il se le jura.
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