C'est Josh qui me réveille une fois que nous sommes arrivés. Il aurait pu le faire avec un taser que ça aurait été pareil : j'ai l'impression d'être une pile qui a été surchargée. Le manoir-hôtel s'approche à toute vitesse. Mon cœur s'accélère.
Je saute de l'auto avant même qu'elle ne soit complètement arrêtée, malgré l'exclamation de Josh et sa tentative de m'attraper le poignet. Je pars en sprint vers la porte d'entrée, mais freine aussi sec en apercevant Henricks sortir tranquillement du manoir-hôtel, Charlie dans les bras. Je hurle malgré moi.
« CHARLIE! »
« MAMAN! »
Je n'ai jamais couru aussi vite de toute ma vie. La preuve : j'en ai glissé sur la glace et j'aurais fini la tête la première dans le banc de neige si Henricks ne m'avait pas retenue in-extremis. Mes manières passent à la poubelle, je suis trop empressée de retrouver ma fille pour le remercier. J'arrache presque Charlie de ses bras pour la serrer contre moi.
Charlie passe ses petits bras autour de mon cou et m'étrangle presque. Son souffle et ses larmes chatouillent ma peau. Ma Tigresse pleure à gros sanglots. Je pleure à grosses larmes quand son odeur de caramel me remonte dans le nez. Mes genoux lâchent pour de bon et je finis agenouillée dans la neige en tenant Charlie serrée contre moi. Je suis pratiquement roulée en boule autour d'elle. Je répète sans arrêt à quel point je l'aime, que je suis désolée et à quel point elle m'a manqué, encore et encore. Je ne sais pas vraiment combien de temps ça dure, mais Josh finit par interrompre le moment. Il appuie doucement sa main sur mon épaule.
« Il fait froid. Allons dedans. »
Honnêtement, je ne sens même pas le froid, mais je le crois quand je vois son souffle devenir un nuage de vapeur. Les autres ne sont nulle part en vue. Je ne veux pas lâcher Charlie, mais elle pousse pour se tenir debout seule alors je cède à contre cœur. Ma Tigresse se tourne vers Josh. Elle lui tend les bras pour qu'il la prenne.
« Papa! Les bras! » elle lui quémande.
Bong! elle vient de me frapper avec une poêle imaginaire. Josh la prend dans ses bras, l'air de rien. Il me tend ensuite la main pour nous guider à l'intérieur. Je suis trop sonnée pour faire quoi que ce soit. Nous arrivons dans les appartements de Josh et il porte Charlie à sa chambre. Je les regarde alors qu'il l'aide à se mettre en pyjama. Je me réveille de ma torpeur une fois arrivée à la partie où il la prend pour l'emmener dans la chambre des adultes histoire qu'elle dorme avec nous.
« Non! Dodo ici! »
Je sursaute et m'approche à mon tour. Josh me lance un regard qui dit clairement « mais qu'est-ce qui se passe?? ». Je lui fais comprendre que je suis aussi surprise que lui.
« Tu veux dormir ici? » j'interroge Charlie.
Charles gigote jusqu'à ce que Josh la dépose par terre. Elle attrape sa peluche et grimpe à quatre patte jusqu'à l'oreiller. Là, elle pousse les draps pour pouvoir se coucher.
« Les couve'ttes! » elle quémande en pointant du doigt les couvertures.
Je remonte les couvertures jusqu'à son menton. Je me penche pour lui faire son bisou de bonne nuit, mais elle me repousse avec sa peluche.
« Non! Ba-bye! »
Je cligne les yeux de surprise. J'ai l'impression que mon estomac est devenu un bain d'eau glacé. Je cligne des yeux.
« Tu... Tu es bien installée? » je demande, au hasard.
Charlie hoche la tête et me fait le signe du au revoir de la main avant de se tourner pour dormir, dos à moi.
« B-Bon... Je reviens tantôt pour dormir avec toi, d'accord? »
« Non non! » lance Charlie sans se retourner. « Dodo toute seule! »
Je ne peux pas m'empêcher de lancer un regard mi-interrogateur mi-paniqué à Josh. Il me renvoie le même. Je balance mon poids d'un côté à l'autre en faisant de mon mieux pour taire mon angoisse.
« Bon... Je— Bonne nuit, Tigresse. Nous sommes juste à côté. »
Charlie ne dit rien. J'attends encore une bonne minute avant de sortir de la chambre avec Josh et j'hésite tout du long à me pencher pour embrasser Charlie. Je referme la porte derrière moi après avoir éteint la lumière. J'ai l'impression d'entrer dans une nouvelle espèce de sorte de transe. Je me tourne lentement vers Josh.
« Qu'est-ce qu'elle a? » je m'effare.
Josh secoue la tête. Il regarde la porte comme si c'était un alien. Il est aussi perdu que moi.
« Elle... » mon regard s'attarde sur la porte. « Elle t'a appelé papa, non? »
Josh chancèle, les yeux grands ouverts. J'ai l'impression que son cerveau vient à peine de traiter l'information. Ses yeux perdent leur focus et sa mâchoire pend presque.
« J'ai pas rêvé? » il me demande, hébété.
Je fais non de la tête. Josh part sur un petit nuage de bonheur. Moi, j'essaie de comprendre ce qui cloche avec ma fille.
« Donc elle ne t'avait jamais appelé comme ça quand... Et elle veut dormir seule? Tu la faisais dormir seule quand j'étais pas là? »
« Non non! Elle a toujours dormi avec moi ou avec les jumeaux quand Shana la gardait. »
Je regarde la porte comme si je pouvais voir Charlie au travers ou si les réponses allaient apparaître d'elles-mêmes. Mais rien ne vient.
Nous restons de longues minutes plantés là, devant la porte. À un moment, Josh tend l'oreille avant de m'apprendre qu'elle s'est endormie pour de bon. Je reste encore plantée là un bon moment, trop perdue pour savoir quoi faire et trop stressée pour simplement passer à autre chose. Josh finit par me proposer de regarder un film, ce que j'accepte. Ou plutôt, je le laisse faire. Je suis encore trop choquée par ces retrouvailles avec une version inconnue de ma fille pour penser correctement.
Je m'assois mécaniquement et il allume la télévision sur la chaîne qui passe des vieux films. Je n'écoute qu'à moitié l'enquête de ce cher Poirot. Je me lève à plusieurs reprises pour aller jeter des coups d'œil dans la chambre d'enfant. À chaque fois, Josh me dit qu'elle dort toujours mais je ne peux pas m'empêcher d'aller voir. Josh reste assis et visionne le film, mais je sais qu'il est aussi nerveux que moi à la façon dont sa jambe droite n'arrête pas de tressauter. En plus, je le suspecte d'être plus attentif à Charlie qu'au film vu sa façon de tourner légèrement la tête et de zieuter la chambre de temps en temps comme s'il l'avait entendue se tourner dans son lit. Deux heures plus tard, Charlie est toujours au pays des rêves, le film est fini et je commence à accepter l'idée que ma fille passe sa première nuit seule. Sans moi.
Josh me propose d'aller nous coucher et j'hoche vaguement la tête. Ce n'est qu'une fois dans la chambre avec la lumière de la lune pour seul éclairage que je me rend compte que 1) mes vêtements sont dans la chambre d'enfant et que 2) je ne suis absolument pas fatiguée.
« C'est probablement parce que tu as dormi dans la voiture, » suppose Josh en fouillant dans son immense placard.
Je me laisse aller contre la chambranle de la porte du placard, les mains dans mon dos pour me soutenir et les yeux perdus dans la moquette.
« Sûrement, » j'acquiesce.
J'ai dormi de fatigue, mais un coin de mon cerveau c'était dit que, si je faisais le plein d'énergie, je pourrais garder un œil sur Charlie cette nuit. Je pensais que je pourrais enfin la retrouver et la serrer contre moi toute la nuit. Sentir sa présence et entendre sa respiration. Voir qu'elle va bien, intégrer que tout est fini...
Josh attrape doucement mon menton et le relève. Je le laisse faire, surprise. Il me sonde du regard et sa main glisse sur ma joue pour écarter une de mes mèches.
« Ne t'inquiètes pas. Charlie est bien. Tout le monde sont bien. Nous sommes en sécurité. Ensemble. »
J'ai un petit sourire un coin. Je laisse mon visage aller contre sa paume. Ce contact dont j'ai rêvé si souvent pendant les semaines passées. Je ferme mes yeux pour savourer.
« Merci, Josh, » je souffle.
« Tu crois que je t'aurais laisser là-bas? » il pouffe, comme si c'était absurde qu'il ne me sauve pas.
Pourtant, je distingue un faible éclat de crainte dans le fond de ses yeux. Il craint vraiment que j'ai si peu foi en lui. Mon cheminement de pensée de cet après-midi me revient en tête tandis que je pose ma main sur la sienne pour prolonger le contact.
« Pour ça... » je confirme. « Mais aussi pour Charlie. Tu es revenu t'occuper d'elle. Grâce à toi, elle n'est pas restée seule, elle n'a pas perdu tous ses repères d'un coup. »
La pomme d'Adam de Josh fait le yoyo. Je peux voir dans ses yeux qu'il n'est pas aussi convaincu que moi d'avoir fait la bonne chose. Il aurait préféré me tirer de là illico, évidemment. Mais comment aurait-il fait sans savoir où j'étais? C'est bien pour ça que ça a pris autant de temps pour qu'ils arrivent, non? Je continue de parler, tout bas.
« Quand on était là-bas... Je priais tous les jours pour que Charlie aille bien, que quelqu'un s'occupe d'elle. C'est toi qui l'as dit : tu es revenu t'occuper d'elle dès que tu as eu le message. Tu as exaucé mes prières, Josh »
Josh relâche sa main sur ma joue et nos bras redescendent. Je garde sa main dans les miennes. Josh me regarde la serrer fort.
« Je... » il marmonne avant de s'interrompre tout seul. "I wouldn't have needed to if you weren't... if... If I had... And what about you? I— I'm supposed to protect you too."
"You did," je le rassure. « Josh, ce n'est la faute à personne, ce qui nous est arrivé. Ou si c'est la faute à quelqu'un, alors ce n'est surtout pas la tienne, ni celle de Tristan, d'ailleurs. Tu as fait tout ce qu'il fallait. Tu étais allé chercher cette sorcière et c'est ce qui nous sauvé à la fin, non? C'est grâce à ça que la guerre est finie, maintenant. Tu es là maintenant. N'est-ce pas?»
Josh serre les lèvres alors qu'il cherche dans mes yeux comme pour vérifier que je pense vraiment ce que je dis. J'essaie de transmettre avec mes yeux que c'est vraiment ce que je pense. Je ne veux pas qu'il se sente coupable. Il n'a pas à porter ce fardeau. Ce qui s'est passé ne diminue en rien mon estime pour lui.
Nos yeux s'accrochent l'un à l'autre. Il s'approche d'un pas. Nos poitrines pourraient entrer en contact à chaque inspiration, mais le temps s'arrête et mon souffle se fait minime.
« Je suis là. Pour toujours, » il souffle comme une promesse, son nez à deux millimètres du mien.
« Toujours, » j'acquiesce dans un murmure en collant mon front contre le sien.
Nous respirons lentement pour savourer le contact. Il regarde mes lèvres un instant avant de me regarder dans les yeux, une question évidente en suspension.
Oui, je répond, réduisant la distance en collant mes lèvres aux siennes.