Je n'ai pas le temps de m'attarder plus longtemps sur Reiner, un puissant cri retentit dans mon dos et me glace le sang. Je fais volte-face et mon visage se décompose lorsque je vois apparaitre des dizaines de titans ainsi que le titan bestial. Ils sont disposés en arc de cercle, nous coupant ainsi toute retraite. Je suis surprise de voir que les titans restent bien sagement alignés au lieu de nous foncer dessus.
– Armin, tu prends la tête de l'escouade Livaï, ordonne le major Erwin. Occupez-vous de neutraliser le cuirassé.
Je grimace suite à cet ordre et pousse un long soupir. Je n'ai aucunement envie de remettre ma vie entre les mains d'Armin, aussi intelligent soit-il. Pourquoi ce n'est pas Livaï qui nous dirige ? Armin n'a aucune expérience du terrain, qui sait comment il réagira sous la pression ? Mes mains se crispent sur les poignées de mes armes mais je suis tout de même Armin et le reste de l'escouade sans rechigner. Nous nous éloignons du titan cuirassé afin d'avoir une vue d'ensemble, et surtout pour être hors de sa portée. Mon souffle se coupe lorsque le titan cuirassé commence à escalader le mur de la ville. Mais qu'est-ce qu'il fait ?
– Armin, qu'est-ce qu'on fait ? le presse Jean.
Armin semble pensif, il observe attentivement le titan cuirassé escalader lentement le sommet du mur et balaie les alentours du regard pour tenter de déterminer ses intentions. Je m'approche du bord du mur et me penche pour voir ce qui peut tant l'intéresser de ce côté-là. Mes yeux se révulsent lorsqu'ils tombent sur nos chevaux, tous rassemblés au pied du mur. Oh non, ils vont nous piéger de la même manière qu'ils nous ont eus lors de la dernière expédition. Je m'empresse de rejoindre mes amis et secoue Armin par le bras afin d'attirer son attention.
– Il veut tuer nos chevaux, m'alarmé-je.
Au même instant, le mur Maria tremble dangereusement lorsqu'un énorme rocher, lancé par le titan bestial, vient percuter le trou béant laissé par le titan cuirassé, il y a maintenant cinq ans. Un sourire prend brièvement place sur mon visage en constatant que la brèche est partiellement colmatée, mais il s'évanouit rapidement lorsque je réalise que nous sommes à présent coincés ici. Nos chevaux ne peuvent désormais plus se réfugier de l'autre côté du mur car l'ouverture est partiellement obstruée, ils sont à la merci du bestial et du cuirassé.
– Armin, qu'est-ce qu'on fait ? répète Jean en le secouant par les épaules. Reiner arrive bientôt au sommet du mur !
Les yeux d'Armin trahissent une angoisse que je ne lui connaissais pas, et il reste toujours muet comme une tombe. Je jette un regard paniqué en direction de Reiner et hoquète lorsque je constate qu'il est presque au sommet du mur. Voyant qu'Armin ne semble toujours pas décidé à réagir, je prends mon courage à deux mains et lui donne une gifle monumentale, récoltant ainsi un regard noir de la part d'Eren et Mikasa. Vexé que j'ai osé toucher à son ami, Eren s'interpose entre nous et me repousse brutalement.
– Non mais ça va pas ? s'énerve-t-il. C'est quoi ton problème ?
– Mon problème c'est qu'on va tous crever s'il n'arrive pas à trouver un plan, alors excuse-moi de me montrer un peu brusque ! hurlé-je à mon tour.
Eren s'apprête à répliquer mais s'interrompt lorsqu'Armin pose une main sur son épaule pour tenter de l'apaiser. Eren me lance un dernier regard noir tout en grinçant des dents.
– J'ai un plan, lâche finalement le blondinet.
Armin nous expose brièvement son plan étant donné le peu de temps dont nous disposons. Si je comprends bien, son idée, c'est de se servir d'Eren afin d'appâter le titan cuirassé pour qu'il abandonne l'idée d'éliminer nos chevaux. Utiliser Eren comme appât, c'est plutôt risqué. Si Reiner arrive à s'emparer de lui, on peut dire adieu à la reconquête du mur Maria, ce qui signera la fin de l'humanité telle que nous la connaissons. Sans Eren et son pouvoir de titan, plus rien ne se dressera sur la route d'Annie, Reiner et Bertolt pour faire tomber nos murs un à un.
Comme convenu, nous descendons rapidement sur les bâtiments en ruine de Shiganshina et nous éloignons des murs par mesure de sécurité. Une fois à bonne distance, un éclair aveuglant apparait, dévoilant ainsi la transformation d'Eren. Fermement arrimée au sommet d'un clocher, j'observe de loin la réaction de Reiner. Ce dernier délaisse rapidement son attention de nos chevaux pour se concentrer sur Eren. Il fronce les sourcils lorsqu'Eren lui tourne le dos et s'enfuit en courant dans la direction opposée. Mes mains se crispent sur les poignées de mes armes et, l'espace d'un instant, j'ai bien peur qu'il ne morde pas à l'hameçon. Je pousse un soupir de soulagement lorsque, après de longues secondes d'hésitation, Reiner se laisse glisser au bas du mur.
– Cet abruti est tombé dans le panneau, ricane Jean à ma droite.
Je hoche la tête sans quitter le titan cuirassé des yeux. Comme nous l'avions pensé, il se dirige droit sur Eren sans prêter attention à ce qui l'entoure. Une fois suffisamment proche l'un de l'autre, les deux titans se lancent dans un combat sans merci. Eren est supposé prendre le dessus sur Reiner et nous offrir sa nuque sur un plateau d'argent afin que nous la pulvérisions en mille morceaux à l'aide de nos lances foudroyantes. Pendant ce temps, Jean et moi sommes supposés rester en hauteur et guetter les alentours, au cas où Annie ou Bertolt décide de s'inviter à la fête.
D'un côté, je déteste rester à l'écart de la sorte mais, d'un autre côté, la perspective de risquer ma vie ne m'enchante pas particulièrement non plus. Au moins, au sommet de ce clocher, je suis à l'abris et je ne risque pas une nouvelle fois de me faire dévorer toute crue. Un frisson de dégoût parcourt mon échine en repensant à l'horrible sensation de la bave de titan dégoulinant sur ma peau.
Je pousse un long soupir en constatant qu'Eren et Reiner en sont toujours au même stade, aucun des deux ne semble particulièrement avoir pris le dessus sur l'autre. Si Eren pouvait accélérer la cadence ça serait bien, je n'ai pas que ça à faire de moisir au sommet d'une tour en attendant qu'un éventuel assaut se produise. J'espère malgré tout que Bertolt montrera sa sale petite tête de fouineur, je compte bien lui faire payer pour les cicatrices indélébiles qu'il a laissées sur ma peau.
Inconsciemment, mon regard dévie du combat entre titans qui fait rage dans les rues de Shiganshina pour se porter au sommet du mur où se tient fièrement le major Erwin. Dos à moi, il observe attentivement l'avancée de l'affrontement de l'autre côté du mur. Je me demande d'ailleurs comment ça se passe de ce côté-là. Les soldats ont-ils réussi à avoir le dessus sur le titan bestial ? Le bruit assourdissant de la caillasse percutant violemment le mur me fait grimacer et m'indique le contraire. Il recommence comme à la forteresse d'Utgard, il nous bombarde de rocher pour tenter d'éliminer nos montures, tout ça dans le but de nous clouer au sol et de nous couper toute voie de repli.
Je me demande comment s'en sort Livaï là-bas. Est-il toujours en vie ? Probablement, celui qui viendra à bout de cette petite teigne, homme ou titan, n'est probablement pas encore né. J'aurais aimé qu'il soit aux côtés du major Erwin pour pouvoir l'observer à son insu. Je comprends tout à fait qu'il prenne part au combat, il serait stupide de se priver d'un élément aussi exceptionnel que lui.
– On dirait bien qu'Eren est enfin parvenu à prendre le dessus, intervient Jean.
Je quitte le mur des yeux et reporte mon attention sur le combat entre Eren et Reiner, enfin, ce qui fut un combat lorsque je l'ai quitté des yeux. A présent, Eren maintient fermement Reiner au sol, laissant sa nuque à découvert pour les soldats du bataillon. Tous ensembles, les soldats envoient leurs lances foudroyantes dans la nuque du cuirassé et la font exploser en mille morceaux. Je grimace lorsque l'explosion retentit, je n'aurais pas aimé être à sa place.
Un épais nuage de fumée sort de la nuque du cuirassé et laisse apparaitre le corps voûté de Reiner en se dissipant. Je hoquète et manque de vomir en voyant l'état dans lequel se trouve Reiner. La moitié supérieure de sa tête semble avoir été arrachée suite au choc de l'explosion. Je ressens un pincement au cœur en voyant l'état dans lequel il est et suis obligée de détourner le regard tant cette vue me met mal à l'aise.
Alors que les soldats s'apprêtent à porter le coup de grâce au titan cuirassé, ce dernier redresse brusquement la tête et pousse un puissant hurlement qui me force à me boucher les oreilles. Pendant de longues secondes, le temps semble s'être arrêté. Les soldats se dévisagent, surpris et ne sachant comment réagir. Mon sang se fige dans mes veines lorsqu'un tonneau volant franchit le mur et s'approche à toute vitesse de l'endroit où nous nous trouvons.
– Attention ! hurlé-je. En voilà un autre.
– Si c'est le colossal il risque d'exploser, indique Armin, éloignez-vous !
Réagissant au quart de tour, les soldats s'empressent de s'éloigner de Reiner, redoutant l'explosion suivant la transformation du titan colossal. L'escouade Hanji, celle du caporal Livaï ainsi que le titan d'Eren s'empressent de nous rejoindre, Jean et moi, au sommet de ce clocher afin d'observer la scène. Contre toute attente, Bertolt ne se transforme pas en titan en sortant du tonneau. Au lieu de ça, il s'approche de Reiner et semble lui parler. À cette distance, il est impossible de deviner ce qu'il est en train de lui dire.
– Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demande Sasha.
– On dégomme ce fumier, grogne Mikasa.
Pour une fois, j'apprécie sa férocité et son état d'esprit. J'éprouve la furieuse envie d'enfoncer ma lame profondément dans la gorge de cet enfoiré pour me venger de ce qu'il m'a fait. Je voudrais tant le buter de mes propres mains pour voir la vie lentement s'éteindre dans ses yeux.
– C'est notre dernière chance de le raisonner et de discuter, intervient Armin, on doit essayer.
– Nous, on s'occupe d'achever le cuirassé, propose Hanji.
Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel et de pousser un long soupir. Qu'est-ce qu'il croit sérieusement ? Ce n'est pas simplement en lui demandant gentiment que Bertolt renoncera à nous attaquer. Qu'est-ce qu'il espère ? Que tout ceci ne soit qu'un simple malentendu ? Bien sûr, je suis sûre et certaine que Reiner et Bertolt n'ont pas fait exprès de briser le mur il y a cinq ans, tout ceci n'est sans doute qu'un malheureux malentendu ... Ou pas.
N'ayant pas froid aux yeux, Armin décolle et s'approche de Bertolt en le hélant. Je soupire une nouvelle fois pour communiquer mon exaspération au reste du groupe. Finalement je me résigne à suivre Armin et les autres et à me rapprocher de Bertolt. Si cet enfoiré décide de se transformer maintenant, nous sommes tous condamnés. Son souffle chaud nous balayera comme de vulgaires mouches et nous carbonisera jusqu'à la moelle.
– Bertolt, arrête ! geint Armin. Je suis certain qu'on peut trouver un arrangement.
Armin a beau être d'une intelligence hors norme, il me semble terriblement naïf en cet instant. Premièrement, je ne suis pas certaine que l'ensemble des soldats partage le point de vue d'Armin et soit décidé à pardonner aussi facilement ce que ces traitres nous ont fait. Deuxièmement, si nos adversaires étaient disposé à trouver un arrangement, ils ne nous auraient pas tendu une embuscade.
– Est-ce que vous êtes prêts à nous livrer Eren et à nous laisser anéantir l'humanité des murs sans opposer de résistance ? demande Bertolt.
Je ne peux réprimer un sourire et me mords la lèvre pour ne pas exploser de rire. Je le savais, il est inutile d'essayer de discuter avec des gens aussi bornés. Armin fronce les sourcils, décontenancé par la réponse de Bertolt, mais ne se laisse pas démonter pour autant. Des larmes font leur apparition au coin de ses yeux et ses traits se crispent. Il semble déçu de la réaction de Bertolt, elle me parait pourtant plus que prévisible.
– Pourquoi, Bertolt ? Pourquoi vous évertuer à vouloir tous nous tuer ? s'époumone Armin. On pourrait négocier.
En cet instant, Armin me fait vraiment pitié. Je ne comprends pas pourquoi il se donne tant de mal à essayer de convaincre Bertolt alors que ce dernier nous a clairement exposé sa position et son refus de coopérer.
– Il n'y a rien à négocier, rétorque Bertolt. Je t'ai exposé mes conditions. Si tu ne les acceptes pas, il va falloir engager le combat.
Bertolt se montre soudain plus agressif et bondit sur le même toit qu'Armin. Ce dernier se décompose lorsque Bertolt dégaine une de ses lames et le menace à l'aide de celle-ci. Là, c'en est trop. Fini les négociations, il est plus que temps de passer à l'action. La rage qui montait peu à peu en moi en écoutant Bertolt parler se déverse en moi tel un flot tumultueux. Je dégaine mes lames et fonds sur Bertolt sans aucune hésitation. Je m'interpose entre les deux et parviens à donner un coup de pied dans l'entrejambe de cet enfoiré. J'esquisse un sourire carnassier en le voyant grimacer.
– Depuis le temps que j'attendais ça, grogné-je.
Avec une rapidité déconcertante, je fige mon câble dans le toit, derrière Bertolt. J'actionne la poignée et me laisse glisser sur le dos. Je dégaine mes deux lames lorsque je passe entre ses jambes et parviens à lui couper les pieds, le faisant lourdement retomber sur les genoux dans un cri effroyable. Mikasa réagit au quart de tour et profite de son inattention pour tenter de lui trancher la gorge. Malheureusement, sa lame se fiche dans sa gorge mais ne parvient pas à le décapiter. Le corps de Bertolt dégringole le long du toit et se cambre en retombant lourdement sur le sol.
– Il va se transformer ! hurle Armin. Tous aux abris !
Armin et Mikasa réagissent rapidement et quittent le toit en précipitation. Je me penche légèrement sur le côté et regarde Bertolt se tortiller sur le sol comme un poisson hors de l'eau. L'espace d'un instant, j'hésite à lui sauter dessus pour l'achever, mais il est déjà trop tard. Mon visage se décompose lorsque le corps de Bertolt est parcouru d'éclairs, signe qu'il est sur le point de se transformer, et je réalise avec horreur que je n'aurai probablement pas le temps de m'éloigner.