La première chose que je vois en me réveillant, ce sont les yeux inquiets de Reiner. Ses bras musclés me portent et je remarque qu'il est penché sur moi pour tenter de me protéger de l'orage qui sévit. Mon corps est légèrement secoué au rythme de la course d'un titan. Je jette un regard perdu tout autour de moi et constate que Reiner est fermement arrimé au titan féminin tandis que ce dernier est en train de courir. Je remarque une tête brune dépasser de l'épaule de Reiner et devine qu'il s'agit sans doute d'Eren, ce dernier doit probablement être fermement attaché sur le dos de Reiner.
Mon corps entier est recouvert d'une substance humide et poisseuse qui me donne envie de vomir. Je tressaille lorsque je sens les doigts de Reiner effleurer délicatement ma joue. J'aurais voulu le repousser mais, étant donné la situation délicate dans laquelle je me trouve, je préfère ne pas m'y risquer. Pris d'un élan de confiance, Reiner se penche en avant et pose ses lèvres contre les miennes. Je reste tétanisée par ce contact et n'ose pas bouger par peur de le vexer. Ses joues sont légèrement rosées lorsqu'il s'éloigne de moi et il arbore un sourire satisfait.
– Rose, murmure-t-il en caressant une nouvelle fois ma joue.
D'un geste vif, j'attrape sa main pour interrompre son geste tout en le fusillant du regard.
– Je rêve ou tu m'as bouffée ? m'offusqué-je.
Me retrouver une nouvelle fois face à l'abysse profond que représente le gosier d'un titan m'a rappelé d'atroces souvenirs. J'aurais juré ressentir une nouvelle fois la douleur que j'ai éprouvée lorsque ce titan a violemment sectionné ma jambe gauche. Reiner me lance un regard désolé pour tenter de se faire pardonner. Il se gratte nerveusement la nuque tout en me dévisagent de ses grands yeux marron.
– Excuse-moi, c'était le seul moyen pour que le caporal Livaï ne puisse pas te récupérer.
Livaï. Mon cœur se serre en repensant à lui. Une fois de plus, il est venu à mon secours en m'empêchant de m'écraser sur le sol comme une stupide mouche. Il doit se faire un sang d'encre à l'heure qu'il est, et surtout il doit terriblement s'en vouloir. Reiner s'acharnait sur lui sans aucune pitié, je n'avais pas d'autre choix que de m'interposer. J'espère au moins qu'il aura pu s'en sortir et que Reiner l'aura laissé tranquille après ça.
– Comment ça s'est terminé ? demandé-je en tentant de masquer l'inquiétude dans ma voix. Tu l'as ... achevé ?
Reiner fronce un instant les sourcils, soupçonneux, avant d'esquisser un rictus arrogant. Un étau vient enserrer ma poitrine et je tente de maitriser les battements affolés de mon cœur. Ce n'est pas parce qu'il agit avec une telle arrogance qu'il est parvenu à avoir le dessus sur le caporal Livaï. Non, Livaï va bien, j'en suis convaincue. Aucun homme ou titan ne pourra jamais avoir le dessus sur lui, même s'il est cloitré au sol à cause d'un équipement défectueux.
– Pendant que je te sauvais de ce déviant, Annie a pu avoir le dessus sur Eren et elle a donc pu l'enlever. On s'est enfuis juste après ça et, jusqu'ici, toujours aucun signe du bataillon.
Mais je m'en fous moi qu'ils aient enlevé Eren, c'est bien le dernier de mes soucis ! Enfin, pas vraiment en fait. En cet instant, tout ce qui m'intéresse, c'est de savoir si mes amis vont bien.
– Et je ... enfin ... vous avez fait des ... victimes dans l'escouade du caporal ?
Je reste pendue aux lèvres de Reiner, attendant le verdict fatidique. J'espère de tout cœur qu'ils sont tous sains et saufs mais tente de le masquer. Reiner ne sait pas que j'ai fini par m'attacher à ces gens. Pour lui, je suis probablement toujours un loup solitaire. Il sonde d'ailleurs attentivement la moindre de mes réactions pour tenter de déterminer si je suis sérieuse ou non.
– Rose ... Ne me dis pas que tu as fini par t'attacher à eux ?
Grillée. Je garde mon calme et hausse nonchalamment les épaules pour lui montrer mon désintérêt. Je suis pratiquement certaine que Reiner nous a vus nous embrasser, Livaï et moi. Fort heureusement, il me semble qu'Eren n'a aucun souvenir de ce qu'il se passe lorsqu'il se transforme en titan, j'espère que c'est la même chose pour Reiner. J'ai peur qu'il tente de s'en prendre à Livaï s'il sait à quel point nous sommes proches.
– Non mais tu me prends pour qui ? Je hais ces connards du bataillon, je demandais ça par simple curiosité. Je me demandais si on allait enfin être débarrassés de ce caporal fouille-merde.
Mes intestins se tordent dans tous les sens tant je suis angoissée. Il y a à peine quelques mois, ces mots auraient été des plus sincères mais, aujourd'hui, tout est différent. J'ai fini par m'attacher à ces connards du bataillon, ou au moins à certains d'entre eux, et je n'aurais peut-être pas dû. Maintenant, me voilà dans de beaux draps. Je ne sais toujours pas quel camp choisir. A qui dois-je livrer Eren ?
– Non, soupire Reiner, on s'est enfuis dès qu'on a récupéré Eren. Entre le caporal Livaï et Mikasa, on a préféré ne pas prendre le risque de s'attarder plus longtemps.
Un lourd poids s'ôte de ma poitrine en entendant ces mots. Maintenant que j'ai un poids en moins sur la conscience, je peux me concentrer sur mon objectif : leur dérober Eren. Je me redresse faiblement pour observer attentivement les alentours. Nous sommes au beau milieu d'une plaine complètement déserte. Reiner est fermement arrimé sur l'épaule du titan féminin et Eren semble être ligoté sur son dos. En me redressant, je peux voir que le titan féminin tient quelque chose dans sa main, ou plutôt quelqu'un. Est-ce qu'il s'agit de Bertolt ? D'un côté, je l'espère du plus profond de mon cœur afin de pouvoir prendre ma revanche sur ce sale petit con. Mais d'un autre côté, j'espère que ce n'est pas lui car, seule face à trois titans, je n'ai que peu de chances de sortir vainqueur.
De toute manière, je ne peux pas agir maintenant. Ce terrain plat et dégagé ne joue pas en ma faveur face à eux, bien au contraire. Dans une forêt d'arbres géants, j'aurais au moins une chance de m'en sortir grâce à mon équipement tridimensionnel. Le seul problème, c'est que Kenny nous attend probablement bien sagement dans cette forêt d'arbres géants et, si nous l'atteignons, je ne pense pas que je pourrai lui dérober Eren. Putain !
– Qui est-ce dans la main d'Annie ? demandé-je par curiosité.
Reiner jette un coup d'œil par-dessus l'épaule du titan pour voir de quoi je parle avant d'esquisser un sourire.
– C'est Ymir, explique-t-il, on a appris qu'elle aussi était un titan, alors on a dû ... enfin ... on doit la ramener chez nous.
Comment ont-ils bien pu savoir qu'Ymir est également un titan ? Aux dernières nouvelles, ils n'étaient pas présents lors de l'incident de la forteresse d'Utgard. Peut-être nous observaient-ils, cachés quelque part, mais j'en doute. S'ils avaient réellement été présents, je pense qu'ils auraient tenté d'enlever Eren à ce moment-là. Nous n'étions que très peu, et nous n'avions pas d'équipements tridimensionnels, nous aurions donc été incapables de nous défendre.
L'autre éventualité la plus probable, c'est qu'ils ont espionné le bataillon, et plus particulièrement les expériences que Hanji faisait sur Eren et Ymir. Oui, je pense que c'est l'hypothèse la plus probable. En espionnant le bataillon pour surveiller Eren, ils ont vu qu'Ymir était également un titan.
– Et c'est où ça, chez vous ? Il n'y a rien à l'extérieur des murs, alors pourquoi est-ce qu'on fonce vers le mur Maria ?
Les titans règnent à l'extérieur des murs, et même dans l'enceinte du mur Maria à présent, alors il est impossible que des humains puissent vivre aussi loin à l'extérieur des murs. Mais, maintenant que j'y pense, peut-être que ce ne sont pas des humains. Après tout, Reiner, Annie, Bertolt, Eren et Ymir sont tous des titans. Peut-être que, loin au sud, il existe un village de titans dotés d'intelligence, contrôlés par des humains, et qu'ils parviennent à survivre dans cet univers hostile.
Mais, si cette hypothèse est vraie, pourquoi m'avoir enlevée avec eux ? Je ne suis pas un titan, ou du moins pas à ma connaissance. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire au beau milieu d'un village de titans ? Peut-être qu'ils ont la capacité de transformer qui ils veulent en titan et que c'est le sort qu'ils me réservent. Je déglutis difficilement et tente de maitriser les tremblements de mes mains.
– Ne t'en fais pas, je suis certain que ça te plaira, me rassure Reiner.
Moi, je n'en suis pas si sûre. Bien au contraire, même si ma vie à l'intérieur des murs est plus que pitoyable, je n'ai pas envie de la quitter. Les yeux de Reiner détaillent attentivement les traits de mon visage avec mélancolie. Il pousse un long soupir avant de jeter un regard désolé sur ma prothèse.
– Décidément, le bataillon t'en a fait voir de toutes les couleurs, souffle-t-il.
J'ignore pourquoi, mais ses paroles ont le don de m'énerver. Ce n'est pas le bataillon qui m'a brûlé le visage et les mains. Ce n'est pas le bataillon qui a bouffé ma jambe.
– Ce n'est pas la faute du bataillon, protesté-je sur la défensive. C'est un crétin de titan qui a bouffé ma jambe, et c'est ton connard de pote qui m'a cramé la gueule !
Excédée, je me dégage de ses bras et m'arrime à mon tour au titan féminin. Son regard méfiant ne me quitte pas, comme s'il avait peur que je m'envole à n'importe quel instant. Voyant que je compte bien rester avec eux, ses muscles se détendent.
– Il est où d'ailleurs ce petit con ? Que je lui refasse le portrait ! grogné-je.
– Comme le titan colossal est beaucoup trop lent, on s'est dit qu'il valait mieux qu'il ne vienne pas avec nous. Il nous attend de l'autre côté de cette forêt d'arbres géants.
Reiner pointe du doigt quelque chose devant nous et je tourne la tête dans cette direction. Mon cœur accélère dans ma poitrine lorsque mon regard se pose sur cette forêt d'arbres géants. Ça y est, le moment fatidique approche. Je lance des regards en coin à Reiner et constate qu'il semble plutôt détendu, malgré la situation tendancieuse dans laquelle il se trouve. Il ne semble pas se méfier de moi, ce qui est plutôt bon signe.
Mon cœur s'emballe à mesure que nous approchons, et je sens que mes mains deviennent moites. Je crispe mes doigts sur les poignées de mes lames, redoutant de passer à l'action. Fort heureusement, Reiner ne s'est pas méfié de moi et m'a laissé mon équipement tridimensionnel, me laissant ainsi l'opportunité de me défendre contre eux. J'inspire profondément et tente de maitriser le stress qui monte en moi. Tout va bien se passer, ils ne se doutent de rien.
Le titan féminin pénètre enfin dans cette immense forêt, signant ainsi son arrêt de mort. Je n'ai pas le choix, je dois agir. Je n'ai aucune envie de les accompagner chez eux, ce lieu m'a l'air si hostile et peu accueillant. Je dois agir vite, car Bertolt nous attend de pied ferme de l'autre côté de cette forêt. En bénéficiant de l'effet de surprise, je pense pouvoir neutraliser Annie et Reiner. Si Bertolt s'en mêle, ça risque de me compliquer la tâche.
– Rose ? murmure Reiner. Qu'est-ce qui ne va pas ?
Je redresse la tête et plonge mes yeux bleus dans les siens, emplis d'incompréhension. J'inspire profondément pour me donner du courage avant de raffermir ma poigne sur mes lames.
– Je suis désolée, soufflé-je.
D'un geste vif, avant même que Reiner ait le temps de réagir, je dégaine mes lames et lui sectionne les bras. La tristesse qui émane de son regard me fend le cœur, il se sent trahi. Je reprends rapidement mes esprits et fonds sur les jambes du titan féminin. Je sectionne les tendons à l'arrière de ses genoux pour la faire tomber, avant de remonter et de m'occuper de ceux de ses bras. Je reste sur mes gardes, sachant pertinemment qu'elle a la faculté de guérir extrêmement vite, et viens me poser à côté de Reiner. Ce dernier me lance un regard suppliant, incapable de dire quoi que ce soit.
D'un nouveau coup de lame, je romps les sangles qui maintiennent Eren attaché à Reiner. J'attrape Eren sous le bras et décolle rapidement de la carcasse de ce titan. Je prends de la hauteur et me pose quelques instants sur une branche pour reprendre mon souffle. Que faire, à présent ? Je ne vois toujours aucun signe de Kenny, ce qui est plutôt étonnant d'ailleurs. Cependant, je ne m'en plains pas. Je n'ai plus aucune envie de lui livrer Eren et, s'il ne se montre pas, je n'aurais pas à le faire.
Nous n'avons pas de chevaux, sortir de cette forêt serait donc du suicide. Dès qu'Annie aura guérit, elle se lancera à notre poursuite et nous rattrapera en un rien de temps. Non, je pense que le mieux à faire, c'est de rester planqués bien haut dans les arbres en attendant l'arrivée du bataillon. Cette forêt est tellement immense, Annie et Reiner ne pourront jamais nous retrouver.
– Ne t'en fais pas, Eren, murmuré-je, on va se planquer jusqu'à l'arrivée du bataillon.
Ce dernier hoche la tête pour me montrer qu'il a compris, surtout qu'il ne peut pas parler à cause de son bâillon. Je pourrais très bien lui enlever mais, pour une fois qu'il ferme sa grande gueule, autant en profiter. Je m'apprête à couper les liens qui maintiennent ses bras lorsque des bruits de câbles métalliques parviennent à mes oreilles. Oh non ...
Je baisse les yeux vers le sol et me fige lorsque je constate que le titan féminin s'est remis sur ses deux pieds, mais ce n'est pas ça qui m'effraie le plus. Non, ce qui m'inquiète réellement, c'est qu'elle est immobilisée par de lourds câbles d'acier, semblables à ceux qu'utilise le bataillon d'exploration. Ça ne peut vouloir dire qu'une seule chose : Kenny est là.
– Beau travail, Rosie, ricane-t-il bruyamment, je ne pensais pas que tu arriverais à les neutraliser.
Quand on parle du loup, le voilà qui vient se poser au centre de cette petite clairière. Merde ! Il tourne plusieurs fois sur lui-même tout en fixant les hauteurs, signe qu'il ne sait pas où je suis. Pour l'instant, Eren et moi sommes camouflés par l'épais feuillage des arbres, mais pour combien de temps ? S'ils fouillent les alentours, les hommes de Kenny finiront forcément par nous tomber dessus. Nous sommes foutus.
– Je sais que tu es là, Rose, reprend Kenny, ne m'oblige pas à venir te chercher ou tu risques de le regretter.
Je tente d'ignorer le regard paniqué et suppliant que me lance Eren. Son sort dépend entièrement de moi. Que dois-je faire ? Pendant que je suis en pleine hésitation, Kenny dispense des ordres à ses hommes et je remarque que ces derniers tentent vainement de s'attaquer à la nuque du titan féminin pour débusquer Annie. Comme toujours, cette dernière a durci sa nuque pour rendre inefficaces nos armes. Je remarque que ses mains sont également durcies et qu'elles sont toutes les deux jointes, elle doit probablement tenter de protéger Reiner et Ymir.
– Pense à Gaïa. Si tu ne te montres pas, c'est elle qui paiera à ta place, menace Kenny.
Je serre les poings, folle de rage mais impuissante. S'il n'y avait pas Gaïa, je foncerais sans hésiter rejoindre le bataillon d'exploration. Seulement voilà, le fait est que je ne peux pas l'abandonner aux mains de Kenny, il n'en fera qu'une bouchée. Elle ne peut pas payer pour mes erreurs. Je ne sais pas quoi faire, je suis totalement perdue. Des larmes de rage coulent le long de mes joues et je me mords la lèvre pour étouffer mes sanglots.
– Allons Rosie, sois raisonnable et livre-moi le garçon.