Un silence pesant règne dans la salle. Nous nous dévisageons, nous demandant si c'est bien vrai ou s'il s'agit d'une fausse alerte.
– Remuez-vous ! Allez seller vos chevaux, vous n'avez pas le temps de vous équiper.
Nanaba saute par la fenêtre et repart aussi vite qu'elle est venue tandis que les recrues se jettent sur les portes du réfectoire. J'attrape Jean par le bras et le tire vers la fenêtre pour sortir plus vite du bâtiment. Nous sommes les premiers arrivés et nous préparons nos chevaux en toute hâte. Je crois que je n'ai jamais sellé un cheval avec autant d'entrain, ni autant de rapidité.
Le sol tremble au rythme des pas des titans lorsque nous sortons les chevaux de l'écurie. Les animaux sont agités, comme s'ils pouvaient sentir que quelque chose clochait. Nous sautons sur le dos de nos chevaux et partons au galop au moment où deux titans de dix mètres font leur apparition à l'autre bout de la plaine. Ben dis donc, c'était moins une !
Les soldats dispensent leurs ordres et nous obéissons. Armin et Mikasa sont envoyés à Trost pour prévenir le major Erwin de la situation. Mikasa ne semble pas apprécier d'être séparée d'Eren mais, néanmoins, elle obéit aux ordres sans broncher. Jean et Pete, le second acolyte d'Eren lorsqu'ils m'ont tabassée, sont envoyés à Ehrmich, au sud du mur Sina, afin de prévenir les soldats pour qu'ils puissent organiser leurs défenses. Ce dernier semble soulagé de pouvoir fuir vers le centre des terres et de ne pas devoir cavaler à travers champs, au milieu des titans. Quant à moi et toutes les autres recrues, nous devons avertir les villages voisins afin qu'ils puissent évacuer au plus vite.
Mes mains tremblent sur mes rênes, je suis terrorisée. Se retrouver face à des titans muni d'un équipement tridimensionnel n'est déjà pas une mince affaire, alors sans équipement, nous sommes fichus. Je me retrouve dans la même équipe que Connie et Frock, et nous sommes accompagnés de deux soldats possédant un équipement tridimensionnel en cas de pépin. Je ne suis pas rassurée à l'idée de laisser ma vie entre les mains de deux soldats que je ne connais même pas. S'ils se font bouffer, nous nous retrouverons complètement démunis face aux titans et, si c'est le cas, je ne donne pas cher de notre peau.
Frock a perdu son air arrogant et ne me prête plus aucune attention, ses mains sont crispées sur ses rênes et ses traits sont tendus. Derrière ses airs de dur à cuir, il panique dès que le danger approche. Connie aussi semble tendu mais, contrairement à Frock, ce n'est pas par peur de croiser des titans. Nous sommes en route pour prévenir les habitants de son village natal qu'il faut évacuer de toute urgence, sa famille vit toujours là-bas. Arriverons-nous avant les titans ?
Avant d'arriver à Ragako, nous passons par un autre petit village qui semble désert à première vue. Nous nous arrêtons à l'entrée du village, l'oreille aux aguets, guettant le moindre signe trahissant la présence de titans. Après plusieurs minutes, nous n'entendons rien d'autre que le bruit du vent dans le feuillage des arbres.
– On se sépare, déclare notre chef d'escouade, soyez prudents. Si vous apercevez quoi que ce soit de louche, lancez un fumigène ou criez. Restez bien en selle pour pouvoir fuir en cas de pépin.
Connie, Frock et moi hochons la tête avant de nous séparer. Je décide d'aller directement à l'autre bout du village étant donné que les autres restent groupés à l'entrée. Mes mains moites raffermissent leur prise sur mes rênes et mes yeux épient chaque recoin avec attention. Un silence pesant règne dans le village abandonné, je n'entends que le bruit de ma propre respiration ainsi que mon cœur qui cogne violemment dans ma poitrine.
Ce village me fout les chocottes, on dirait une ville fantôme. Il n'y a pas l'ombre d'âme qui vive. Je passe devant les écuries et constate qu'elles sont vides, signe que les habitants se sont probablement enfuis à temps.
Ou que les chevaux se sont échappés, abandonnant les habitants à leur triste sort, me souffle ma conscience.
Je secoue la tête pour chasser ces idées sombres. Non, c'est impossible que ce village ait été attaqué. Les maisons semblent intactes et il n'y a aucune effusion de sang, signe que personne ne s'est fait croquer vivant. Si les titans étaient arrivés dans ce village, il y aurait des traces de leur passage : des empreintes de pas, des bâtiments détruits, du sang ou des morceaux de corps éparpillés au hasard. Mais il n'y a rien de tout ça.
J'ignore les ordres du commandant qui nous a bien spécifié de rester sur nos chevaux pour pouvoir fuir en cas de problème et saute à bas de ma monture. J'attache mon canasson à une clôture près d'une maison pour ne pas risquer de me retrouver à pied et m'avance lentement vers la demeure. Je pose une main sur ma poitrine pour tenter de calmer les battements affolés de mon cœur qui s'accélèrent à mesure que j'approche.
La porte de la demeure s'ouvre dans un grincement sinistre lorsque je la pousse du bout des doigts. La pièce de vie dans laquelle j'arrive est complètement en pagaille. La table et les chaises sont renversées, les placards sont ouverts et semblent avoir été vidés à la hâte. J'observe un instant cette scène macabre avant de rejoindre le couloir. L'escalier en bois grince à chaque pas sous mon poids, me donnant la chair de poule. Cette maison est vraiment flippante, et le silence pesant qui y règne ne me rassure pas le moins du monde.
Je visite les chambres une à une et constate qu'elles sont toutes dans le même état. Le lit est défait, les placards sont grand ouverts, recrachant des vêtements éparpillés çà et là sur le sol. Je traine les pieds en pénétrant dans une chambre d'enfant et sens mon cœur se serrer à la vue d'un doudou à l'abandon sur le parquet. Le sommier du lit grince sous mon poids lorsque je m'y assieds après avoir ramassé l'ourson.
– On dirait bien que ce môme a oublié son doudou, marmonné-je.
Je pousse un long soupir de soulagement. Vu l'état impeccable du village et celui, ravagé, de cette maison, j'en déduis que les habitants ont pu s'enfuir à la hâte avant l'arrivée des titans. D'un côté, je suis rassurée. J'ignore comment j'aurais réagi si ce village avait été saccagé et recouvert de corps à moitié dévorés. Perdue dans mes pensées, je sursaute lorsque quelqu'un hurle mon nom dans la rue.
– Stark ! T'es où, abrutie ? On y va espèce de débile, amène-toi !
Je grince des dents et serre les poings en reconnaissant la voix de Frock. Je repose le nounours sur le lit et me lève pour rejoindre la fenêtre de cette chambre. A travers celle-ci, je vois Frock se pavaner dans la rue sur son cheval. Il se sert de ses mains comme porte-voix et je vois qu'il s'apprête à crier de plus belle.
– Traite-moi encore une fois d'abrutie et tu vas le regretter sale petit con ! hurlé-je par la fenêtre.
Il sursaute, ne s'attendant pas à ce que je sois aussi près de lui, et tombe de son cheval. Je ricane bruyamment par la fenêtre, sous son regard noir, avant de tourner le dos et de redescendre les escaliers. Je prends tout mon temps pour retraverser la maison et ressors juste au moment où Frock se hisse à nouveau sur sa selle, une belle tâche de boue sur les fesses. J'explose de rire et récolte un nouveau regard meurtrier de la part du rouquin.
– On nous a ordonné de rester à cheval, me reproche-t-il.
Je lui fais un doigt d'honneur sans même prendre la peine de le regarder pendant que je m'approche de mon cheval.
– Si tu savais à quel point je m'en bats les reins, pouffé-je.
Je me remets en selle, toujours sous le regard noir de l'autre imbécile, et talonne mon cheval pour rejoindre le centre du village. Frock ne semble pas apprécier que je l'ignore de la sorte puisqu'il me rattrape rapidement.
– Je vais le dire au commandant ! menace-t-il.
Je lève les yeux au ciel et ne peux m'empêcher de ricaner. Ce mec est vraiment un débile profond, je me demande comment ça se fait qu'il soit encore en vie.
– T'as quel âge ? Huit ans ? Abruti.
Il s'apprête à répliquer mais s'interrompt lorsque je pointe du doigt quelque chose derrière lui avec un visage horrifié.
– Attention, un titan !
Frock se retourne, surpris et paniqué, et tombe une nouvelle fois de sa monture. Je lâche un rire gras et lance mon cheval au galop, abandonnant cet idiot.
– Abruti ! hurlé-je en m'éloignant.
Je galope dans les rues de ce village abandonné et rejoins Connie et les deux autres soldats dont j'ignore toujours le nom sur la place du village. Frock arrive bien après moi en bougonnant et notre petit groupe repart de plus belle à l'aventure. Notre prochaine destination est le village de Ragako où a grandi Connie. Ce dernier est tendu par la situation, bien qu'il tente de ne rien laisser paraitre. Ses doigts sont crispés sur ses rênes et son regard reste braqué sur l'horizon, déterminé.
– Ne t'en fais pas, le rassuré-je, les habitants de ce village ont eu le temps de s'enfuir, je suis certaine que ce sera pareil pour Ragako.
Je lui adresse un sourire maladroit mais il ne semble pas y prêter attention. Il faut dire que je n'ai jamais été très douée pour remonter le moral des gens. Il se contente simplement de hocher la tête en m'adressant un sourire crispé.
– J'espère que tu as raison, souffle-t-il.
Je l'espère aussi. Je n'ose imaginer le drame si nous découvrons les cadavres des habitants du village en arrivant à Ragako, Connie ne s'en remettrait probablement pas. Nous vivons dans un monde d'une cruauté sans pareille. Combien d'enfants ont vu leurs parents mourir sous le joug des titans ? Beaucoup trop. Je sens une larme poindre au coin de mon œil à l'évocation de ce douloureux souvenir et la chasse rapidement d'un geste rageur. J'espère du fond du cœur que nous trouverons Ragako dans le même état que le village précédent.
Les toits des habitations du village de Ragako finissent par apparaitre dans notre champ de vision, et aucun signe des titans. Le soulagement que nous avons ressenti en apercevant le village s'évapore à mesure que nous nous approchons et que nous remarquons certains bâtiments ravagés. C'est la douche froide lorsque nous pénétrons dans Ragako et que nous constatons les dégâts de plus près.
– Nous arrivons trop tard, lâche tristement Connie.
Je ne peux qu'imaginer la peine qu'il doit ressentir en cet instant. Les maisons et les bâtiments sont complètement ravagés, signe que des titans sont passés par là. Cependant, il n'y a aucune trace de sang ni aucun cadavre. C'est étrange, vraiment très étrange. Les habitants de Ragako auraient-ils réussi à fuir ? Mais alors, pourquoi les titans se seraient-ils acharnés ainsi sur les bâtiments ?
– Les chevaux sont toujours dans l'écurie, constate l'un des soldats. Ils seraient partis à pied ?
Je secoue la tête pour rejeter cette hypothèse. Non, ce serait complètement stupide de s'enfuir en courant alors qu'on a des chevaux à disposition. Il s'est passé quelque chose de louche ici. Nous progressons lentement dans les rues désertes, dans un silence de plomb. Je vois que Connie serre les mâchoires pour retenir ses larmes. Fort heureusement, les titans ne semblent plus être dans les parages.
– C'est quand même bizarre qu'il n'y ait aucun corps, aucune tache de sang, mais que les bâtiments soient quand même défoncés, remarqué-je. Pourquoi les titans auraient attaqué ce village s'il n'y avait plus personne ?
Notre chef d'escouade s'apprête à répondre mais s'interrompt lorsque, à l'angle d'une rue, nous apercevons un titan complètement avachi sur le dos sur le toit d'une maison. Les yeux de Connie se révulsent et sa mâchoire se décroche à cette vue.
– C'est ... c'est ma maison, balbutie-t-il.
Je pose une main amicale sur son épaule pour tenter de le réconforter, sans grand résultat. Etonnamment, il ne pleure pas. Aucune émotion ne transparait sur son visage, il semble absorbé dans la contemplation de cet immense titan écroulé sur sa maison. Le titan aussi nous dévisage de ses grands yeux ronds, un sourire béat aux lèvres.
C'est alors que quelque chose me frappe chez ce titan. Son corps parait immense et recouvre bien toute la surface de la maison, mais ses membres semblent atrophiés. Avec des jambes pareilles, il n'aurait jamais pu marcher du mur jusqu'ici. Alors comment diable est-il parvenu à s'empaler le dos sur la maison de Connie ?
– Vous avez vu ses bras et ses jambes ? Comment a-t-il fait pour arriver là ? demandé-je.
Personne ne prend la peine de me répondre, nous sommes tous absorbés par la vue de ce titan. Je jette un regard en biais à Frock et esquisse un sourire en le voyant trembler de peur. Il est clair que ce titan est incapable de bouger, il n'y a aucune raison d'avoir peur. Décidément, Frock est une vraie mauviette. Il était beaucoup plus téméraire quand il s'agissait de s'attaquer à trois contre moi.
– On dirait ma mère, murmure Connie.
A ces mots, le titan réagit et s'agite légèrement avant de s'immobiliser à nouveau, comprenant qu'il ne pourrait pas se dégager. Soudain, le titan remue la bouche, comme s'il tentait de parler. Ma mâchoire se décroche sous le choc, les titans sont incapables de parler. Il fixe Connie de ses grands yeux et ce dernier avance lentement vers lui. Notre chef d'escouade tente de le retenir par le bras mais Connie se dégage aisément et continue d'avancer.
– Tu ... es ... revenu, articule difficilement le titan.