Je me réveille avec un horrible mal de crâne étrangement familier, celui que j'éprouve lorsque j'ai la gueule de bois. Oh non ... Mes paupières s'ouvrent difficilement et me dévoilent une vision de l'infirmerie floue et bien trop lumineuse à mon goût. Les gémissements de mon voisin de chambrée me parviennent aux oreilles à mesure que j'émerge. Bon Dieu, mais il ne sait pas la fermer celui-là ? Il me casse les oreilles ! Je voudrais porter mes mains à mes oreilles pour les boucher mais tique lorsque ces dernières ne bougent pas. Mes yeux descendent jusqu'à mes poignets et je constate avec horreur qu'ils sont attachés au lit.
Mais qu'est-ce que c'est encore que ce bordel ? Je commence à m'agiter sur mon lit, tentant en vain de défaire mes liens, et me fige lorsque j'entends un ricanement sur ma gauche. Je tourne la tête vers un Jean hilare et le fusille du regard, ce qui accentue son fou rire. Un sourire en coin orne ses fines lèvres lorsqu'il désigne mes liens d'un signe de tête.
– Alors, Rose, tu tentes de nouvelles expériences avec le caporal ? ricane-t-il.
Mais de quoi il parle encore cet idiot ? Je le dévisage avec incrédulité tout en me creusant la tête. Qu'ai-je encore fait hier soir ? J'ai volé une bouteille de rhum dans la réserve et je suis montée sur le toit pour la boire en toute tranquillité. Le caporal m'a rejointe, nous avons parlé, puis il m'a raccompagnée à l'infirmerie. Et là, c'est le trou noir. A peine installée dans mon lit, je me suis endormie comme une masse. Ses paroles lors de mon premier jour à l'infirmerie me reviennent alors en tête.
« Tu as plutôt intérêt à rester alitée sinon je te ligote moi-même au lit. »
Il n'a quand même pas osé faire ça ? Mon regard décontenancé se pose à nouveau sur mes poignets liés et je serre les poings. Je vais le tuer. Je m'agite de plus belle dans mon lit et déchante lorsque je comprends que mes chevilles sont également ligotées. Je vais assassiner ce foutu caporal de mes deux. Je pousse un cri de rage en gigotant dans tous les sens avant de me laisser lourdement retomber sur mon oreiller, sous le rire tonitruant de Jean. Tiens, je l'avais oublié celui-là.
– Jean, détache-moi sur le champ, exigé-je.
Il calme son rire et essuie même une larme qui a fait son apparition au coin de son œil. Son regard conciliant me rassure et, jusqu'au dernier instant, je suis certaine qu'il va me libérer de mes entraves.
– Alors là, même pas en rêve.
Mon visage se décompose, lui arrachant un nouveau fou rire. Lui aussi, je vais le tuer. Je fulmine intérieurement et lance mon regard le plus meurtrier à Jean.
– Détache-moi tout de suite ou je te brise les rotules, tête de gland, menacé-je.
– Désolé, mais j'ai plus peur du caporal Livaï que de toi, pouffe-t-il.
Alors comme ça le caporal lui a ordonné de ne pas me détacher ? Je le déteste ! Je les déteste tous les deux en fait. Je bougonne et j'aurais voulu croiser mes bras sur ma poitrine, mais je me rappelle qu'ils sont ligotés. Putain, fait chier !
– Je dois faire pipi, mens-je.
– Rien à foutre, il a dit de ne te détacher sous aucun prétexte.
Le gnome s'était montré amical hier soir pour mieux revenir à la charge en m'attachant à mon lit. Je le déteste. Je le déteste. Je le déteste. Bien, étant donné que la menace ne semble avoir aucun effet sur Jean, je décide d'adopter une autre stratégie. Je penche la tête légèrement sur le côté et dévisage mon ami avec une mine de chien battu.
– S'il te plaît, Jean, je dois vraiment faire pipi, supplié-je.
Son regard s'adoucit, si bien que je crois dur comme ferme qu'il va craquer. Cependant, c'est sans compter sur la peur que lui inspire le caporal demi-portion.
– Tu n'as qu'à te pisser dessus, je ne te détacherai pas, me nargue-t-il.
Je m'enfonce dans mes coussins et tourne ma tête de l'autre côté, bien décidée à l'ignorer. Je me contorsionne même pour pivoter une partie de mon corps sur la droite, ignorant les courbatures mordantes qui s'emparent de moi. Jean ricane dans mon dos, récoltant un doigt d'honneur de ma part. Je suis rapidement lassée par la vue qu'offre mon voisin de chambrée, se tortillant de douleur dans son lit. Mais il ne peut pas arrêter sa comédie juste un instant ? Il a simplement une jambe cassée, qu'il arrête de simuler comme ça bon sang ! Excédée, je me recouche normalement dans mon lit et fixe le plafond, morose.
– J'ai soif, déclaré-je sèchement.
Je jette un regard en biais à Jean qui lève les yeux au ciel avant de soupirer et de se lever de sa chaise. Il se dirige vers l'évier et j'esquisse un sourire narquois lorsque j'entends l'eau couler. Il revient vers moi, un verre plein à la main, tandis que je me redresse du mieux que je peux à cause de mes liens. Jean m'aide à boire quelques gorgées normalement, avant de pencher brusquement le verre et de renverser son contenu sur mon buste. Un peu d'eau rentre dans mon nez et je tousse bruyamment, manquant de m'étouffer.
– Oups, je suis si maladroit, s'excuse Jean.
Je lui jette un regard en biais et mes doutes se dissipent suite à son hilarité, il l'a bel et bien fait exprès. Je serre les poings et tente de me redresser avant de me rappeler que je suis toujours ligotée.
– Sache que, du plus profond de mon cœur, je te hais, déclaré-je froidement.
Ses sourcils se froncent et il me sonde de ses yeux noisette, tentant de déterminer si je suis sérieuse ou non. Quant à moi, je scrute attentivement l'araignée qui se balade au plafond, le visage fermé, ne laissant paraître aucune émotion. En cet instant, on pourrait presque me confondre avec le caporal Livaï.
Avant que Jean ait le temps de répliquer, la porte de l'infirmerie s'ouvre à la volée et plusieurs de mes camarades de la 104ème brigade font leur entrée. Armin, Connie et Christa viennent s'asseoir au pied de mon lit. Ymir décide de rester debout derrière Christa, comme un chien montant la garde.
– Qu'est-ce que vous faites ici ? m'étonné-je.
– On est venus voir comment tu allais, répond joyeusement Christa.
Elle me lance un sourire franc et, pour une fois, sa constante bonne humeur ne me tape pas trop sur le système.
– On s'inquiétait pour toi, explique Armin.
Je hausse les sourcils, surprise qu'il m'annonce une chose pareille. Il est le meilleur ami d'Eren, n'est-il pas en colère que j'aie envoyé son ami au trou ? Bon, après, on ne peut pas dire qu'Eren ne l'ait pas cherché. Il m'a tout de même tendu une embuscade et violemment tabassée, je suis certaine qu'il aurait pu continuer si le caporal Livaï n'était pas intervenu.
– Ils s'inquiétaient pour toi, corrige Ymir. Moi, je suis juste venue voir dans quel état pitoyable tu étais pour pouvoir me moquer.
Elle est toujours aussi aimable celle-là à ce que je vois. Nous nous échangeons un regard froid en silence. Je suis sûre qu'elle est venue uniquement pour garder un œil sur Christa, comme toujours. Absolument tous les gestes qu'elle fait sont guidés par son amour et sa dévotion pour la petite blonde. Ses yeux sombres quittent les miens et se posent sur mes liens, tandis qu'un sourire en coin prend place sur ses lèvres.
– On dirait bien que ta nuit était plutôt torride avec le caporal, ricane-t-elle en désignant mes poignets.
– Tu ne peux même pas imaginer à quel point, réponds-je de manière on ne peut plus sérieuse.
Ymir et moi nous lançons dans une nouvelle bataille de regards, elle n'a même pas cillé lorsque j'ai menti. Mes autres camarades écarquillent les yeux tout en affichant des mines mi-horrifiées mi-étonnées. Apparemment, eux ont pris ça au pied de la lettre.
– C'était une blague hein, précisé-je. Il m'a attachée pour me forcer à me reposer et pour que j'arrête de me pavaner dans les couloirs la nuit.
Leurs regards semblent toujours méfiants, bien qu'ils s'adoucissent quelque peu. Je vois tout de même le doute persister dans leurs pupilles. Génial ! Que vont-ils penser maintenant ? Que je me suis encore envoyée en l'air avec un mec ... Fort heureusement, Armin reprend la parole en changeant de sujet, ce qui dissipe le malaise qui s'était installé.
– Je suis désolé pour ce qu'a fait Eren, je suis certain qu'il ne pensait pas à mal.
Je lève les yeux au ciel avant de lui lancer un regard blasé. Il m'a quand même bien amochée, moi je suis persuadée qu'il pensait à mal. On ne tabasse pas quelqu'un à ce point-là « sans faire exprès ». Je suis certaine qu'il s'en mord les doigts uniquement parce qu'il s'est fait prendre et qu'il se retrouve au trou. De plus, si j'en crois les dires de Livaï, il devrait subir ce qu'il m'a fait endurer. Ça ne doit probablement pas être une partie de plaisir là en bas.
Je me mords la lèvre, j'éprouve à présent quelques remords pour mes ravisseurs. Ils ont probablement été aveuglés par leur haine pour Reiner et Bertolt et c'est moi qui ai pris pour eux. Si le caporal Livaï a décidé de les tabasser, ils risquent de me détester encore plus.
– Eren t'en voulait d'avoir libéré Reiner, poursuit Armin, mais maintenant il regrette. Il a compris ce que tu ressentais, et il a avoué qu'il aurait fait la même chose que toi si ça avait été Mikasa ou moi à la place de Reiner.
– Il est un peu tard pour avoir des regrets, rétorqué-je amèrement.
Armin m'envoie un regard désolé ainsi qu'un sourire crispé. Je ne suis même pas sûre qu'il soit sincère dans ses propos. Est-ce qu'il ne dit pas ça simplement parce que c'est ce que le caporal veut entendre ? Je n'ai aucun moyen de le savoir. Super, j'ai à nouveau plombé l'ambiance, nous nous échangeons tous des regards gênés.
Fort heureusement, Sasha débarque à son tour dans l'infirmerie, mettant fin à ce silence malsain. Elle referme précautionneusement la porte et je vois à son air coupable et enjoué qu'elle a encore volé de la nourriture. Sasha a pris la fâcheuse habitude d'aller dérober de la nourriture çà-et-là. Etonnamment, elle n'a pas encore été attrapée mais, à ce rythme-là, ça ne saurait tarder. Elle tire une chaise pour s'asseoir à droite de mon lit, tournant ainsi le dos à mon voisin de chambre qui semble un petit peu trop curieux à mon goût.
– Regardez ce que j'ai trouvé, s'extasie-t-elle avec l'eau à la bouche.
Elle décale un pan de sa veste pour nous laisser découvrir un saucisson à moitié entamé. Il s'agit probablement de l'autre moitié du saucisson que j'ai volé hier soir, je n'ai pas osé le dérober en entier. Je jette un regard en biais au blessé voisin et constate qu'il nous écoute attentivement, le regard braqué sur nous. Je voudrais donner un coup sur la main de Sasha pour l'empêcher de le sortir au grand jour mais mon bras est retenu par mes liens.
– Cache ça ! m'affolé-je.
Je lui désigne d'un bref signe de tête le patient d'à côté et, fort heureusement, elle semble comprendre où je veux en venir. Elle range le saucisson dans sa cachette avant de se lever et de se diriger vers le soldat. Ce dernier n'a pas le temps de protester qu'elle l'a déjà assommé, sous nos yeux médusés.
– Mais t'es complètement malade espèce de morfale ? s'affole Jean.
– Ben quoi ? s'étonne Sasha. Au moins maintenant on peut manger tranquilles.
J'éclate de rire face à sa mine déconfite.
– Je suis certaine que si tu devais te couper une main pour de la nourriture, tu le ferais, ricané-je.
Sasha hausse les épaules et vient se rasseoir sur sa chaise. Comme personne ne proteste, elle découpe soigneusement son saucisson en parts égales et nous le partageons tous ensembles. Enfin, en parts égales, c'est ce qu'elle a dit, mais je la soupçonne de s'être octroyé un morceau plus important que les autres.
Nous sursautons lorsque la porte de l'infirmerie s'ouvre brusquement sur le caporal Livaï. Nous nous empressons d'avaler notre butin volé, je manque même de peu de m'étrangler, tandis qu'il sonde la pièce de son regard imperturbable. Il nous dévisage étrangement et je suis certaine qu'il nous a démasqués.
– Je venais simplement voir comment tu allais, explique-t-il en me fixant.
– Ça irait mieux si vous pouviez me détacher, énoncé-je froidement.
Son regard se pose sur mes liens et il esquisse même un rictus moqueur. Alors ça, il va me le payer. Il ignore mon regard noir et jette un dernier regard sur la salle avant de nous tourner le dos et de s'en aller tout aussi rapidement qu'il est venu.
– Il faut vraiment qu'on mette un cadenas sur cette réserve, marmonne-t-il avant de fermer la porte.