Abby-10

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Après être restée une bonne minute entière devant la maison des Miller, Abby se décida à toquer à la porte. La fausse agression d'Emily Davidson suivie de son arrestation pour le meurtre de Patrick l'avait maintenue très occupée ces derniers jours. À présent que cette affaire était bouclée, elle pouvait se concentrer sur celle qui lui tenait à cœur depuis plus d'une décennie, le meurtre de sa petite Rose. Depuis les aveux de Becky Carmichaël, Abby était taraudée par la même question lancinante. Si elle ne l'avait pas abandonnée à la naissance, Rose serait-elle toujours en vie aujourd'hui ?

Abby était tombée enceinte avant même d'avoir terminé le lycée, une nouvelle que son père avait très mal prise.

- Je ne te laisserais pas gâcher ton avenir, tu m'entends ? Bon sang, Abigaïl ! Tu n'as même pas terminé le lycée.

- Tu n'as à décider pour moi ! C'est ma vie !

- Quand tu auras appris à te servir de ta tête, tu auras le droit de mener ta vie comme tu l'entends. Comme ce jour n'est pas prêt d'arriver, tu me laisses régler cette histoire.

- Tu n'as pas le droit !

Abby avait eu beau tempêter, hurler, le supplier, son père était resté inflexible. En un claquement de doigts, il avait tiré un trait sur tous les beaux projets que son petit ami avait prévu pour elle quand elle lui avait appris la nouvelle. Dès qu'on finit le lycée, on se marie à Las Vegas et on ira s'installer où tu voudras pour élever nos enfants. Il avait obligé Harper à rompre avec elle, le terrorisant si bien que le pauvre faisait systématiquement demi-tour dès qu'il la croisait au lycée, et il l'avait contrainte à abandonner son bébé. Elle l'avait à peine tenue dans ses bras.

Sentant ses yeux lui piquer, Abby sortit un mouchoir de son sac. Cette blessure datait d'il y a plus d'un quart de siècle et elle ne s'était toujours pas refermée. Elle avait sacrifié son bonheur pour suivre la voie que son père avait tracé pour elle. Elle voulait être institutrice, elle était devenue flic. Elle voulait être une épouse. Elle était devenue flic. Elle voulait être mère. Elle était devenue flic.

- Protéger et servir. À présent que tu es des nôtres, ces deux mots doivent constituer le centre de ton existence.

- J'ai aussi le droit de vivre non ?

- Ta vie ne t'appartient plus. Tu dois la mettre au service des autres. Être policier, ce n'est pas seulement porter un uniforme et une plaque. C'est faire des sacrifices. Tu ne pourras jamais concilier ta vie privée avec ta vie professionnelle. L'une empiètera forcément sur l'autre.

- Tu l'as bien fait, toi.

- Ce n'est pas la même chose. Je ne suis pas une femme, Abigaïl. Je n'ai pas à prouver ma valeur ni auprès de mes collègues ni auprès de mes supérieurs.

- Papa, nous sommes en 1996 pas en 1950.

La vision archaïque et patriarcale de son père était le résultat d'un héritage ancestral. Il ne faisait que lui enseigner ce qu'il avait appris de son propre père, qui le tenait lui-même de son père et ainsi de suite, remontant l'arbre généalogique jusqu'au tout premier Monroe ayant intégré les forces de l'ordre. Devoir, honneur, loyauté. Ces qualités qui définissaient Archibald Monroe, mort en héros pendant son service – du moins, selon l'histoire familiale – étaient rapidement devenues la devise officieuse de sa famille. Le devoir avant tout, lui répétait constamment son père. N'oublie jamais cela, Abigaïl. Le devoir avant tout.

NEMESISWhere stories live. Discover now