Abby-3

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Tout le long du trajet qui la ramenait au poste, Abby se repassait l'entretien qu'elle venait d'avoir avec Becky Carmichaël. Elle n'avait jamais vu un seul de ses tableaux mais elle espérait qu'elle était meilleure peintre que menteuse. Ceci dit, l'artiste n'avait pas menti sur tout. Thomas Boyle, le chauffeur attitré des Murphy, était bien allé récupérer Becky à son hôtel, à dix-huit heures dix. Sur les ordres de Patrick, il avait d'abord fait un crochet au Bright's pour récupérer Sophia. Thomas les avait déposées devant le manoir à dix-huit heures trente.

L'avocat pénaliste Alexander Miles, dont le manque de coopérativité avait surpris Abby, avait affirmé ne pas se souvenir des personnes avec lesquelles il avait parlé, à l'exception de cinq d'entre elles : Patrick, Victoria, Sophia, Becky et Aurore Decker. Cette maudite journaliste semblait avoir parlé à tout le monde à cette réception et Abby espérait que Kenneth avait réussi à en tirer quelque chose, ne serait-ce que pour déterminer l'heure exacte à laquelle Patrick avait quitté la fête. Jusqu'ici, aucun des invités n'avait été en mesure de répondre à cette question. Abby se raccrochait à l'idée qu'en dernier recours, elle pourrait s'adresser à Victoria. Son appel avait été la meilleure nouvelle de la journée car jusqu'ici, Abby ne pouvait pas dire qu'ils avaient progressé. Chaque réponse apportée entrainait de nouvelles questions.

Patrick avait été frappé à neuf reprises mais les deux premiers coups, qui avaient atteint l'os occipital et l'os temporal, avaient été portés avec moins de force que les autres. D'après le médecin légiste, la mort avait été causée par les coups portés à l'os frontal. Le docteur Crawford avait réussi à déterminer l'heure du décès dans une fourchette comprise entre vingt-deux heures et vingt-trois heures.

L'absence de marques défensives sur le corps indiquait que Patrick devait certainement connaître son meurtrier. Ou ses meurtriers. Car le docteur Crawford était catégorique. C'était un droitier qui avait porté le coup à l'os occipital et un gaucher qui avait frappé l'os temporal. Avec cette révélation, Abby et son équipe allait devoir éplucher méthodiquement les alibis de chacun, tâche rendue extrêmement compliquée par les mensonges de certains invités, à commencer par Becky Carmichaël. L'artiste avait prétendu avoir été reléguée à la table la plus au fond de la salle, à cause de son invitation de dernière minute mais ce n'était pas le cas, puisque Kenneth s'y trouvait en compagnie d'Ashley et d'Aurore. Un imprévu découlant du la crise de nerfs piquée par Ashley, scandalisée à l'idée de ne pas se retrouver au centre de l'attention générale. Kenneth avait choisi de s'attabler avec elle, pour éviter le scandale – Lindsey se trouvait déjà avec Sophia à cette heure-ci.

Si Becky Carmichaël ne se trouvait pas dans la salle, où était-elle passée et surtout à quelle heure avait-elle réellement quitté le domaine ? En tout cas, pas après le feu d'artifice, c'était une certitude. Robinson et Lowell avaient interrogé séparément les membres de l'équipe engagée par Victoria pour patrouiller dans le domaine et ils avaient été unanimes. Le portail s'était automatiquement verrouillé à vingt-heures précises. À partir de ce moment, si un invité désirait s'en aller, il devait obligatoirement passer devant l'agent placé à l'entrée, seul habilité à ouvrir le portail. Un roulement ayant été effectué toutes les heures entre les divers membres de l'équipe, le portail n'avait jamais été laissé sans surveillance. Et personne n'avait vu Becky Carmichaël s'en approcher.

Abby mit son clignotant et pénétra sur le parking. Elle se gara, coupa le moteur mais ne sortit pas tout de suite du véhicule. Elle devait d'abord rassembler toutes ses idées avant le débriefing organisé par Kenneth.



Les déclarations des agents de sécurité avaient permis à son équipe de mettre en lumière d'autres mensonges et de non-dits. Ainsi, si Sophia avait bien rejoint Lindsey dehors pour la ramener au manoir, elle avait oublié de préciser qu'elles étaient restées pratiquement deux heures à l'extérieur et qu'elles s'étaient disputées. À propos de quoi, Abby l'ignorait – par discrétion, les agents s'étaient éloignés et n'avaient donc rien entendu – mais Sophia paraissait furieuse et Lindsey bouleversée. Aurore Decker avait été surprise à fouiner près de l'arrière-cuisine pendant le feu d'artifice, ce qu'elle avait omis de mentionner dans son témoignage, obligeant Kenneth à s'entretenir de nouveau avec elle afin de lui rafraîchir la mémoire. Olivia avait été aperçue vers vingt-deux heures, rôdant seule près du labyrinthe et lorsque l'un des agents – qui ne l'avait pas reconnue – lui avait poliment demandé de retourner à la réception, elle l'avait violemment pris à parti. Confus, l'agent l'avait laissée repartir et Olivia s'était dirigée, non pas vers la salle mais vers le fond du domaine. Autre détail important, Rose n'était pas avec elle.

Ceci étant dit, il existait une faille dans ces déclarations et non des moindres. Patrick avait formellement interdit à ses agents de patrouiller le long de la haie qui séparait le parc du sous-bois. Or, et Abby était bien placée pour le savoir, bien caché par la végétation se trouvait un portillon en bois, qui n'était jamais fermé à clé. Si quelqu'un était passé par là, que ce soit pour entrer ou sortir du domaine, personne ne l'aurait vu.

Quant Abby repensait aux indices récoltés sur la scène de crime, elle voulait se réfugier sous sa couette, se mettre un oreiller sur sa tête et tout oublier. D'abord le nettoyage partiel de la scène de crime, puis la mystérieuse inconnue dans le lit conjugal et enfin la douche post meurtre. Sans oublier la disparition de l'une des voitures de la victime et de l'arme du crime. Et l'enquête n'en était qu'à son quatrième jour.



La scientifique avait retrouvé de minuscules traces de sang dans le siphon de la baignoire de l'une des salles-de-bain, la plus proche des escaliers. Le duo de meurtriers avait décidément été bien négligent. C'était à se demander pourquoi il s'était donné la peine d'astiquer le sol. Étant donné la violence des coups, celui qui avait porté le coup fatal avait dû se retrouver couvert de sang. Pour ne pas attirer l'attention, il avait pris une douche et ensuite nettoyé la baignoire après son passage mais il avait oublié le siphon. Je n'ai encore rencontré aucun meurtrier qui pensait à le nettoyer, lui avait dit Kenneth en apprenant la nouvelle. En revanche, il n'avait pas oublié de prendre ses vêtements souillés avec lui. Qu'en avait-il fait ? Les avaient-ils également lavés ? Et si oui, où étaient-ils passés ? Se trouvaient-ils au même endroit que l'arme du crime ?

Le docteur Crawford avait confirmé que le meurtre avait été commis avec un objet contondant, de forme sphérique ou arrondie, et des minuscules éclats de nacre avaient été retrouvés incrustés dans la boite crânienne de Patrick. Ils avaient donc fouillé la villa et ses alentours mais sans retrouver quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à l'objet en question. Abby avait chargé Lowell se renseigner à ce sujet auprès d'Olivia mais elle avait fait chou blanc. Soit la toute nouvelle veuve était indisponible soit elle refusait délibérément de répondre au téléphone. Abby devait se rendre au manoir en fin d'après-midi pour s'entretenir avec Victoria, ce qui serait l'occasion de faire d'une pierre deux coups. Indisponible ? C'est ce qu'on verra.

Les empreintes retrouvées sur la poignée intérieure de la porte d'entrée, qui correspondaient à celles de l'iPod, n'étaient pas référencés dans la base de données, ce qui excluait donc Olivia qui, comme l'ensemble des personnes vivant au manoir – Victoria excepté – avait accepté que la scientifique lui prenne ses empreintes et son ADN. Les cheveux blonds retrouvés sur l'oreiller provenaient en réalité d'une perruque et étaient donc inexploitables. Pour identifier la mystérieuse inconnue, Abby ne pouvait compter que sur les milliers de photos et de vidéos stockées dans l'appareil et prier pour que l'une d'elles dévoile son visage. Jusqu'ici, le seul sujet présent était Patrick lui-même. Qui qu'elle soit, cette femme semblait obsédée par lui.

Enfin, la voiture. Le garage, dont la surface était équivalente à celle de sa propre maison, contenait des dizaines de véhicules, qui appartenaient tous à Patrick mais qu'ils ne conduisaient jamais. Mon mari n'achetait ces voitures que pour son propre plaisir. Il ne voulait pas les conduire. Il voulait les posséder. Je conduisais toujours Monsieur dans ses déplacements. En cela, le témoignage d'Olivia coïncidait avec celui de Boyle. Patrick semblait n'avoir jamais touché un volant de sa vie mais pour transformer cette hypothèse en certitude, Abby allait devoir attendre son entretien avec Victoria.

Ni Olivia, ni Boyle n'avaient su éclairer Abby sur la marque ou la couleur du véhicule manquant. Boyle ne s'occupait que de la Rolls qui était garée devant le manoir et Olivia n'avait jamais mis les pieds dans le garage. Abby doutait que Sophia puisse l'éclairer davantage mais elle lui poserait la question, en même temps qu'elle lui demanderait l'autorisation de fouiller tout le parc ainsi que le manoir. La jeune femme lui avait assuré de sa pleine coopération. Il était temps de voir si elle allait tenir parole.

NEMESISOù les histoires vivent. Découvrez maintenant