Sophia-2

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22 décembre 2018,

Dix-huit heures



Sophia se retourna pour saluer une dernière fois Tim et Lindsey puis se dirigea vers la Rolls où Thomas, son chauffeur, l'attendait patiemment à l'intérieur. Sans lui laisser le temps de sortir du véhicule, elle s'installa sur le siège passager.

- Ne commence pas Thomas, je ne suis pas d'humeur, l'avertit-elle, en bouclant sa ceinture de sécurité.

- Je n'ai rien dit.

- Ton regard désapprobateur parle pour toi.

Sophia enleva ses escarpins et fit bouger ses doigts de pieds pour vérifier qu'ils étaient encore fonctionnels. Elle avait troqué ses confortables bottes noires en daim signées Stuart Weitzman contre la paire de Manolo Blahnik que Lindsey lui avait offerte l'année dernière. Contrairement aux années précédentes où elle ne mettait ces engins de torture qu'à la toute dernière seconde, avec pour résultat une démarche boitillante fort inélégante, cette fois, elle s'était préparée. Depuis un mois, elle s'entrainait à faire des allers-retours, perchée sur des talons de six centimètres, sous l'œil critique de Lindsey. Son amie possédait au bas mot une centaine de paires de chaussures, de tous les modèles, de toutes les formes, de toutes les couleurs. Payées soit avec l'argent que sa mère lui envoyait de temps à autre soit avec le sien – Sophia adorait faire plaisir à sa meilleure amie. Heureusement pour Lindsey car ce n'était pas avec le salaire de policier de son père qu'elle aurait pu s'offrir ses Louboutins, ses Charlotte Olympia ou encore ses Prada.

Avec nostalgie, Sophia se rappelait l'époque où l'unique ambition de Lindsey était d'avoir une paire de chaussures pour chaque jour de l'année. Une époque désormais révolue. Cela faisait maintenant cinq mois que l'ancienne fashionista s'était transformée en copie presque parfaite de Sophia, troquant ses tenues à la pointe de la mode pour un look casual, à la fois chic et décontracté. Ses anciennes robes avaient toutes été récupérées par sa mère qui avait aussi, pour faire bonne mesure, fait main basse sur ses sacs-à-mains, ses bijoux et autres accessoires de mode. De toute façon, je comptais les donner, fut la seule réponse que Sophia avait obtenue de Lindsey et le sujet n'était plus jamais revenu sur le tapis.


La Rolls ralentit silencieusement mettant fin à ses rêveries. D'ici quelques secondes, Thomas arrêterait la voiture devant l'immense portail en acier forgé, redémarrant uniquement après qu'elle eut migré vers le siège arrière. Si à l'extérieur Sophia pouvait se donner l'illusion d'être une femme ordinaire en traitant son chauffeur en tant qu'ami et non en tant qu'employé ou en s'empiffrant de pancakes et de chocolat chaud, celle-ci se dissipait une fois de retour au manoir. Elle redevenait Sophia Murphy. Une Murphy ne montait jamais à l'avant d'un véhicule. Une Murphy ne tutoyait pas les employés de maison. Une Murphy attendait que son chauffeur vienne lui ouvrir la portière avant de saisir délicatement la main gantée de blanc qu'il lui tendait pour l'aider à descendre. Sophia aurait pu écrire un livre sur les règles qu'un Murphy devait respecter.

Quelle ne fut pas sa surprise quand elle aperçut, en lieu et place du portail, la devanture de l'unique hôtel de la ville.

- Monsieur m'a demandé de récupérer une invitée, fit Thomas, devançant sa question.

Ce doit être une invitée très spéciale si Patrick se donne la peine de lui envoyer la Rolls.

- Pourquoi ne me l'as-tu pas dit plus tôt ? demanda-t-elle, en se baissant pour remettre ses chaussures.

NEMESISWhere stories live. Discover now