NEMESIS

Sophia-4

Il lui semblait que cela faisait une éternité qu'elle écoutait Olivia, accroupie, malgré les fourmis dans ses jambes. À voir l'affliction altérer son doux visage tandis que sa belle-sœur lui racontait comment elle en était arrivée à trahir son amie d'enfance, Sophia comprit deux choses : le temps ne guérit pas toutes les blessures ; la perversité de son frère n'avait aucune limite.

Sur le papier, l'histoire était dépourvue d'originalité : Il était une fois, une jeune fille tombe amoureuse du prince charmant. Beau, riche, célèbre, attentionné, généreux. Elle le présente à sa meilleure amie, commettant sans le savoir une erreur monumentale. Jalouse de la jeune fille, l'amie séduit le prince charmant et le persuade de l'épouser à sa place. Aussitôt dit, aussitôt fait. La jeune fille n'a plus que ses yeux pour pleurer. Sur le papier, Emily Davidson était la victime de cette histoire. Sur le papier, Olivia Murphy était une garce sans scrupules. La réalité, hélas, n'était pas aussi simple et bien plus cruelle car Sophia était bien placée pour savoir qu'avec Patrick, les apparences étaient trompeuses. Emily Davidson ignorait la chance qu'elle avait eue de ne pas tomber entre ses griffes.

Durant toute sa narration, Olivia avait regardé droit devant elle, les yeux perdus dans le vague, se détachant complètement du présent, revivant les souvenirs d'un passé pas si lointain où sa vie était tellement plus facile.

- Maman ? Pourquoi tu pleures ?

Il était très aisé d'oublier la présence de Rose. Que ce soit en public ou en privé, elle parlait très peu, à tel point que lorsqu'elle avait deux ans, Patrick avait ordonné à Olivia de lui faire passer un test de Q.I pour vérifier qu'elle n'était pas « attardée mentale », selon ses propres mots. Au souvenir de la voix monocorde d'Olivia, lorsqu'elle lui avait raconté ce que Rose et elle avaient vécu aux côtés de cet homme qu'elle avait un jour appelé frère, Sophia sentit sa colère affleurer à la surface. Une fillette de cinq ans devrait passer ses journées à rire et à s'amuser et non à veiller à ne pas faire le moindre bruit en présence de son père afin de ne pas l'énerver. Une fillette de cinq ans ne devrait même pas avoir à penser à ce genre de choses.

- Pour rien ma puce. Maman est fatiguée, c'est tout. Et si tu me montrais ton joli dessin ?

Combien de fois Olivia avait-elle dû servir ce mensonge pour rassurer sa fille ? Combien de fois avait-elle dû lui dire que tout allait bien alors que l'enfer se déchaînait autour d'elle ? Tandis qu'elle protégeait sa fille, qui la protégeait, elle ? Moi. Déterminée, Sophia se releva et alla récupérer son portable. En novembre dernier, elle avait fait une promesse à Olivia et elle la tiendrait quoiqu'il arrive.

Olivia tourna la tête vers elle. Malgré son sourire, Sophia pouvait voir l'inquiétude dans son regard. Une expression qu'elle avait hâte de chasser définitivement.

- Où est-ce que tu vas ?

- Je vais m'assurer que plus personne ne te causera du tort.

- Oh non, Sophia ! Je ne peux pas te laisser t'occuper de tous mes problèmes. Tu t'es déjà trop impliquée.

Ce n'est pas assez. Ce ne sera jamais assez. Elle avait cinq ans de retard.

- Ta mère utilisera n'importe quel prétexte pour se débarrasser de moi, tu le sais bien. Cette histoire avec Emily tombe à pic pour elle mais même sans ça, elle aurait trouvé autre chose. Quoiqu'elle fasse, elle aura toujours gain de cause. Ne te la mets pas à dos, pas pour moi.

- J'ai passé vingt-et-un ans à tenter de satisfaire les caprices de ma mère. J'ai tout fait pour lui plaire. Pour qu'elle m'aime. Pour qu'elle me déteste. Pour qu'elle ressente quelque chose à mon égard. C'est tout ce que je voulais.